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CHAPITRE II.

Table des matières

MAM’SELLE GARGANTUA.

Il y avait, l’une à la droite et l’autre à la gauche de Satin-Bleu, deux poupées très jolies aussi, mais plus petites, que nous appellerons d’après leur toilette Peluche-Rose et Crêpe-Vert. Elles étaient choquées des airs méprisants de leur superbe voisine, et elles entreprirent de rabattre son outrecuidance.

«Il ne faut pas vous imaginer, lui dit Peluche-Rose, que vous soyez plus belle que nous. Vous êtes grande, et, comme vous crevez les yeux des gens, ils sont bien forcés de vous voir; mais notre taille, à nous autres poupées, est l’affaire du fabricant. Nous n’y sommes absolument pour rien; il est donc fort ridicule et fort niais de tirer vanité de quelques pouces qu’on peut avoir de plus que les autres.

— Assurément, ajouta Crêpe-Vert, et, pour ma part, quand je serais haute comme la maison, je ne mépriserais pas à cause de cela les toutes petites poupées, pas même celles qui ne me vont qu’au genou; je sais trop bien que nous sommes les unes et les autres de la même pâte.

— Moi, d’abord, reprit Peluche-Rose, je serais très fâchée d’être de la taille de Satin-Bleu; on risque trop de rester en magasin quand on est si grande que ça.

— Certes! cria d’une vitrine en face un malin petit Pierrot, il ne faut pas que les poupées soient plus grandes que les enfants. Mam’selle Satin-Bleu est une poupée de géant, et comme il n’y a plus de géants, elle ne pourra convenir à personne.

— Elle est trop grande, assurément! firent d’autres poupées qui jusque-là avaient écouté sans rien dire.

— Elle est trop grande! répétèrent comme des échos toutes les poupées du magasin, même celles qui ne pouvaient la voir, elle est trop grande!

— On dirait la fille à Gargantua, dit un Arlequin. Bonjour, mam’selle Gargantua!»

Et toutes les poupées, tous les arlequins, tous les pierrots, de crier en chœur:

Mam’selle Gargantua!

Il n’y eut pas jusqu’à un bataillon de soldats tout de bleu habillés qui ne se missent à chanter avec un accent délicieux:

Mam’selle Karkantouah!

Mam’selle Karkantouah!

Mais un bel officier, qui était non loin d’eux, à la tête d’un autre régiment, ne put les entendre de sang-froid.

«Nous ne souffrirons pas, cria-t-il, que vous insultiez une dame. Cessez vos croassements, ou, par ma foi, nous allons dégainer!

— Oui, oui, la guerre! la guerre! crièrent ses hommes avec ensemble; vengeons la beauté outragée!

— Bravo! dit un jeune colonel moulé dans son uniforme blanc, donnez-leur une leçon de courtoisie; s’il faut vous appuyer, nous sommes prêts.

— Et nous aussi, dit un hussard chamarré d’or. Honneur aux dames!»

Les soldats bleus se comptèrent. Ils n’étaient pas en nombre; ils se turent prudemment et se contentèrent de ricaner tout bas.

A peine l’incident terminé, les poupées, les arlequins, les pierrots, sachant bien que les militaires ne se mêlent pas de ce qui se passe dans le monde des pékins, recommencèrent à crier:

Mam’selle Gargantua!

et continuèrent jusqu’à ce qu’ils fussent endormis.

La pauvre Satin-Bleu avait subi cette explosion de moqueries sans trouver le plus petit mot pour se défendre. Ce n’est pas qu’elle manquât d’intelligence. La nature, ou plutôt le fabricant, l’avait aussi bien douée que n’importe quelle poupée; mais elle n’avait encore fait que se mirer, et, depuis Narcisse de vaniteuse mémoire, jamais la contemplation de soi-même n’a donné d’esprit à personne. Elle ne dormit guère cette nuit-là, et, pour la première fois de sa vie, elle réfléchit.

Nous voyons toujours clairement nos torts à la lueur de notre intérêt; elle comprit qu’elle s’était attiré par sa faute la malveillance de son entourage, qu’elle avait fort mal fait de dédaigner ses petites compagnes, qu’à la vérité elle était infiniment plus belle, mais qu’elle aurait dû paraître l’ignorer. Elle conclut que, lorsqu’on a une supériorité, il faut se la faire pardonner par beaucoup de modestie, et elle se promit de regagner l’estime publique à force d’amabilité. Ce n’était vraiment pas mal pour une personne à ses débuts de raisonnement.

Elle s’endormit sur le matin, tout heureuse de ses excellentes résolutions; mais elle fut bientôt réveillée par le désobligeant refrain de la veille. Messieurs les joujoux, bien reposés par un bon somme, en avaient plus de voix pour crier:

Mam’selle Gargantua!

Au lieu de prendre une mine attristée, Satin-Bleu, se rappelant ce qu’elle s’était promis, se mit à rire d’un rire franc et sonore qui étonna d’abord les autres, et commença à ranger les railleurs de son côté :

«Monsieur Arlequin, dit-elle gaiement au personnage bariolé qui, le premier, avait prononcé le nom fatal, expliquez-moi, je vous prie, qui était ce Gargantua dont vous dites que je suis la fille?

— Oui, oui! clamèrent les autres, qui jusque-là avaient crié bêtement sans chercher à comprendre, dis-nous qui c’était Gargantua?

— C’était, répondit Arlequin, flatté de cet appel à son érudition, un roi géant dont on parlait à la manufacture où je suis né. Je crois bien qu’il faudrait cent poupées comme Mlle Satin-Bleu, et autant de pierrots comme mon voisin, et autant d’arlequins comme moi pour atteindre sa hauteur. Il aurait pu nous mettre tous dans la plus petite de ses poches, avec tous les commis et Mlle Charmotte elle-même. Quand il n’était encore qu’un bébé, il buvait à son déjeuner le lait de quatre cents vaches, et ensuite il les mangeait en vie toutes les quatre cents.

— Oh! firent les joujoux.

— Il était donc pétri de méchanceté ? demanda Satin-Bleu.

— Aucunement, mais il possédait un appétit. formidable, et il paraît que l’appétit c’est une chose terrible. Nous sommes bien heureux, nous autres, de ne pas savoir ce que c’est que la faim. Au moins, si nous nous querellons quelquefois, nous ne nous entre-dévorons pas comme font les hommes quand ils sont affamés et qu’ils n’ont pas de vivres. — Non, Gargantua n’était point méchant, ni fier de sa haute taille; s’il écrasait les petites gens, c’était par mégarde, et il ne les méprisait pas.

— Je vous remercie, monsieur Arlequin, dit Satin-Bleu. Que vous êtes heureux de vous rappeler ce qu’on disait en vous fabriquant! moi, je ne me souviens de rien.

— Oh! moi, insinua Crêpe-Vert, je me rappelle beaucoup de choses.

— Et moi aussi! et moi aussi! cria-t-on de tous côtés... moi, j’ai entendu ceci... moi, cela.»

Ce fut un tohu-bohu, un charivari de souvenirs qui tout à coup, on ne sait pourquoi, se fondirent dans le refrain de la veille.

«Silence! dit l’Arlequin, que la politesse de la belle poupée avait touché ; c’est bête de répéter toujours la même chose. Mlle Satin-Bleu avait l’air trop fier, nous lui avons donné une leçon; c’est assez, d’autant plus qu’elle paraît corrigée.

— Je le suis, monsieur Arlequin, dit-elle, et je ne dédaignerai jamais les petites choses et les petites gens, pas plus que ne faisait Gargantua; mais, si l’on voulait bien ne plus me donner ce nom, que je ne trouve pas joli, je serais tout à fait contente.»

Cette bonne grâce charma l’assemblée entière, et l’on promit à Satin-Bleu de ne plus jamais la taquiner. Il y eut bien dans les bas-fonds du magasin quelques poupées envieuses qui essayèrent de crier encore: «Mam’selle Gargantua!» mais les bons joujoux firent entendre des «chut!» si énergiques qu’elles furent obligées de se taire; et notre héroïne, voyant les avantages de l’amabilité, se jura d’être aimable toujours.

Cependant elle avait à cœur de remercier l’officier qui, la veille, avait pris sa défense contre les impudents soldats bleus, et qu’on appelait Épaulette-d’Or. N’osant pourtant crier son remerciement à travers le magasin, elle le dit tout bas à Peluche-Rose, qui le dit à une Bretonne, qui le dit à une pierrette, et ainsi de suite. Cela fit une chaîne de reconnaissance qui arriva jusqu’à la cantinière du régiment français, une gentille brunette, laquelle transmit à l’officier le message de Satin-Bleu. Épaulette-d’Or répondit galamment et à pleine voix, pour être entendu de tous, «que Mlle Satin-Bleu était mille fois bonne; que, militaire et Français, il était doublement obligé de défendre les dames; qu’il n’avait fait que son devoir, et qu’en cette occasion le devoir avait été un plaisir.»

Ces paroles courtoises donnèrent à notre héroïne la plus haute idée de l’armée française en général et d’Épaulette-d’Or en particulier.

Rose et Rosette : odyssée d'une trop belle poupée

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