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III

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«Je les tiens!» disait Rouillon tout à l'heure.

Hélas! oui, il tenait la famille Fraisier. C'était un fort habile homme que maître François Rouillon. A vingt-quatre ans, ayant perdu en quelques mois sa mère et son père, il était resté seul à la tête de la maison, une tannerie qui, bon an, mal an, rapportait simplement de quoi vivre. Il s'était mis à la besogne sans fainéantise et avait rapidement amélioré la situation. Sur quoi, attiré par une jolie figure et une jolie dot, il avait demandé en mariage la fille d'un commerçant parisien qui, chaque année, passait une partie de l'été à Verval, d'où la famille était originaire.

La demande ne fut pas agréée. Rouillon en eut un dépit furieux. Il jura qu'on ne l'y prendrait plus; il se promit de rester célibataire jusqu'à sa dernière heure. Il raconta, du reste, que c'était lui qui n'avait pas voulu de la demoiselle; et il répandit les plus méchants bruits contre cette dédaigneuse héritière, à laquelle il finit par rendre le séjour de Verval absolument impossible.

Alors, on le vit courir les fêtes de campagne, buvant sec, jouant gros jeu, cueillant les amours faciles chez les filles mal gardées. A ce train-là, il négligea sa maison, fit des dettes.

A deux doigts de la ruine, il s'arrêta, trop égoïste et trop matois pour compromettre irréparablement son avenir. Et puis, cette existence de Lovelace campagnard commençait à l'ennuyer. Il se rangea, étonna les gens par son acharnement au travail, par son âpreté au gain, par ses progrès méthodiques et incessants. Il étendit considérablement ses relations, voyagea, vint à Paris, observa les manoeuvres des adroits spéculateurs, suivit leur exemple, avec une extrême prudence d'abord, et bientôt avec une hardiesse avisée. Pas une bonne opération ne s'offrait dans le pays, qu'il ne la fît ou ne tentât de la faire. Pour presque rien, il acheta une brasserie toute neuve, superbement montée par un homme intelligent mais sans ordre, qui s'était trouvé vite au bout de son rouleau. Le moulin de la Sorelle tomba de semblable façon entre ses mains. Pour le moulin et la brasserie, comme pour la tannerie héréditaire, il sut dresser d'excellents contre-maîtres; et tout prospérait sous sa haute direction, sans lui donner grand souci.

N'ayant plus guère de plaisir à courir la pretantaine, il prit le parti de domestiquer l'amour. Despotique et sensuel, en guise de maîtresses il eut des servantes, une blonde cette année-ci, une brune cette année-là, congédiant sans tarder celle qui se montrait farouche, et ne gardant celle qui s'apprivoisait que juste le temps de satisfaire sa fantaisie pour elle.

Un tel manège ne pouvait durer sans quelques inconvénients. Il y eut d'assez scabreuses histoires; il y eut même un véritable scandale.

Une grande et belle fille aux sourcils noirs, Madeleine Cibre, devint enceinte à son service. Elle se crut des droits, prit des airs de femme légitime. Il la renvoya brutalement. Déshonorée, reniée, chassée comme une voleuse, elle retourna à pied dans son pays, un village des environs.

Elle ne put aller jusque-là. Brisée de fatigue et de douleur, elle tomba sur le chemin, où elle faillit être écrasée par la voiture du percepteur, M. Dufriche, qui revenait chez lui, à la Villa des Roses, un peu au-dessus de Verval.

Le percepteur était un brave homme. Il la releva, la ramena, la recueillit par pitié dans sa maison.

Madeleine y accoucha d'un enfant mort, et pensa mourir elle-même.

Les gens de Verval n'ont pas la moindre sentimentalité. Pourtant, son malheur la rendit sympathique à tous. Elle était bonne ouvrière, très courageuse, très probe. Mme Dufriche finit par lui donner chez elle un emploi régulier, et Rouillon fut quelque temps regardé comme un monstre. Il ne broncha pas. Aux gens assez hardis pour lui marquer leur désapprobation, il répondit:

«Avait-elle un certificat de chasteté quand je l'ai engagée? L'enfant est-il nécessairement de moi? Si elle a été avec l'un, elle a pu aller avec l'autre. Je ne me mêle pas de vos affaires; et je vous conseille, dans votre intérêt, de ne pas vous mêler des miennes.»

A quoi tient l'amour?

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