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XI

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Rouillon n'eut pas le loisir de poursuivre longtemps son enquête.

Le 15 juillet, la guerre était déclarée entre la France et la Prusse.

Les catastrophes se précipitèrent. L'Empire croula. Paris fut bloqué.

Les Allemands pénétrèrent jusqu'au coeur de la France.

Dès les premiers chocs sur la frontière, on en avait cruellement ressenti le contre-coup à Verval. Quelques jours après la bataille de Reichshoffen, M. et Mme Dufriche ramenaient chez eux leur fils Prosper, grièvement blessé dans la mêlée. Un soldat dévoué avait pu l'emporter à travers un déluge de mitraille.

Aux époques tragiques, les caractères s'accentuent naturellement avec un singulier relief, comme sous l'influence de réactifs violents. Chacun, dans la petite ville, fut surexcité par les désastres. Celui-ci levait au ciel des bras désespérés, et vingt fois par jour déclarait tout perdu; celui-là, sous une gravité triste, gardait l'espoir et la vigueur, comme un arbre toujours vert sous la neige et le vent glacé. Toto Mousse, pour qui son père avait à grand'peine trouvé un remplaçant payé au poids de l'or, ne songeait plus, oh! plus du tout, à la bagatelle; tremblant la peur, il restait nuit et jour terré chez lui, comme un lièvre au gîte.

Tous les hommes valides étaient partis. André Jorre, ancien soldat, avait été rappelé sous les drapeaux.

Un soir, par un ciel étoilé, dans les charmilles du jardin, il fit ses adieux à Lucile. Elle ne put, entre sa mère et lui, se défendre de pleurer.

«André, lui dit-elle à travers ses larmes, en lui donnant un petit nécessaire arrangé par elle et où elle avait glissé son portrait, André, faites votre devoir, tout votre devoir! Autrement, nous ne serions pas dignes d'être heureux. Mais pensez un peu à moi, qui penserai toujours à vous.»

Rouillon, âgé de trente-sept ans, n'avait pas été atteint par la loi de recrutement. Il s'était promis, d'ailleurs, puisqu'il était adjoint au maire, d'en profiter pour ne se laisser imposer d'aucune façon le service militaire.

Il n'avait pas plus renoncé aux affaires qu'à la conquête de Lucile. Sa passion pour Mlle Fraisier, si profonde qu'elle fut, avait laissé intact son instinct commercial. Ayant flairé les événements longtemps à l'avance et prévu une hausse énorme sur les cuirs, il avait fait des achats de tous les côtés avant la déclaration de guerre; maintenant il réalisait de superbes bénéfices.

Cela l'occupait, lui fournissait une diversion utile, mais n'apaisait point sa méchante humeur. La proclamation de la République le rendit furieux.

Cette guerre, qu'on voulait continuer malgré tout, lui semblait inepte et désolante. Il n'y avait plus d'armée. Comment résister aux innombrables envahisseurs? Pourrait-on les empêcher de mettre toute la France au pillage?

Bientôt ils seraient à Verval. Et alors, quel gâchis! Plus de sécurité pour les gens ni pour les biens!

Ah! comme il rabrouait les exaltés; comme il se gênait peu pour les traiter publiquement de fous!

Et comme il rabattait le caquet démocratique de Constant Fraisier, qui prêchait la lutte à outrance!

A quoi tient l'amour?

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