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IX

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Le dimanche suivant, quand Rouillon revint, Lucile était absente. Mme Dufriche, cousine de sa mère, l'avait invitée, ainsi que Linette, à passer la journée à la Villa des Roses. Le soir, M. et Mme Fraisier devaient y dîner avec leurs deux filles, pour fêter le cinquantième anniversaire du percepteur.

Fraisier, la mort dans l'âme, reçut Rouillon avec une physionomie souriante. Afin de chasser les idées noires, il but en sa compagnie quelques gouttes d'un généreux cognac. Il semblait n'avoir à lui dire que les choses les plus agréables.

Il lui fit les plus chaleureux témoignages d'estime et d'amitié. Il parlait déjà comme un beau-père. Pas l'ombre d'une difficulté à l'horizon. C'était parfaitement entendu, convenu. Seulement, insinua-t-il, en dorant ses paroles d'un gros rire amical, seulement Rouillon était trop pressé. Il fallait patienter un peu. Lucile avait une santé si délicate! Tout l'hiver et tout le printemps, elle avait dû se soigner, prendre des toniques. Et le docteur ne voulait pas la marier avant la vingtième année. On avait beau dire, il restait inexorable, le terrible docteur!

Ainsi le pauvre Fraisier défilait, avec le plus gracieux naturel, tout son chapelet de phrases soigneusement préparées, atténuant bien vite la moindre expression dangereuse, mettant une conviction persuasive en tout ce qu'il disait, s'arrêtant parfois une seconde pour juger de l'effet produit, guettant un mot, un geste de Rouillon, puis reprenant son petit discours d'un air dégagé, mais avec une anxiété profonde. Rouillon, devenu tout d'un coup très pâle, le laissa parler jusqu'à épuisement total de son éloquence familière. Il y eut alors un silence gênant.

«Avez-vous fait part de ma demande à Mlle Lucile? dit enfin Rouillon d'une voix sèche.

—Non. Sa mère avait des scrupules et a voulu, tout d'abord, consulter le docteur. Après quoi, nous avons cru préférable de ne rien dire à Lucile pour le moment. Nous devons la ménager. Pour vous, c'est quelques mois à attendre; voilà tout. Il ne faut pas nous en vouloir.»

Rouillon baissa la tête.

«J'aurais dû, l'autre soir, parler devant elle, fit-il tout bas.

—Venez nous voir quand il vous plaira, s'écria Fraisier avec empressement; et parlez-lui à votre guise! Je m'en rapporte à vous. Mais je vous conseille de ne rien brusquer. Allez doucement. Elle vous saura gré de votre réserve et de vos attentions.

—C'est juste, répondit Rouillon; je verrai ce que je dois faire.

Adieu.»

Et tandis que Fraisier lui prodiguait les bonnes paroles, il s'en alla lentement, les yeux troubles, la tête lourde.

Au bout d'une vingtaine de pas, il se souvint qu'il avait encore dans sa poche un petit bracelet d'or, dont il devait faire cadeau à Lucile. Superstitieusement, il s'imagina que, s'il le gardait, ce serait un mauvais signe. Vite, il rebroussa chemin. Trouvant la porte du magasin fermée, il prit une ruelle latérale qui menait au jardin. Sur le point d'entrer, il s'arrêta. M. et Mme Fraisier, absorbés par une vive altercation, ne l'avaient pas entendu, ne le voyaient pas.

«C'est toi qui lui montes la tête contre Rouillon, disait Fraisier avec colère.

—Lucile l'a pris en aversion, répliquait sa femme. Je n'y puis absolument rien. Elle ne veut pas entendre parler de lui. Ce mariage ne se fera jamais. Arrangeons-nous en conséquence.»

Rouillon chancela, comme sous un coup de massue. Blême, la sueur froide au front, il s'appuya contre le mur et resta une minute anéanti. Puis, dans un obscur sentiment de honte, de douleur et de rage, à pas de loup, sans faire de bruit, il s'éloigna.

A quoi tient l'amour?

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