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VIII

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«Ma pauvre Lucile!» fit douloureusement Mme Fraisier, en embrassant sa fille, quand il les eut laissées seules.

Sous ses bandeaux plats de cheveux grisonnants, Mme Fraisier était restée la femme tendre et un peu romanesque, qui naguère avait passionnément aimé son mari. N'ayant pu le tenir longtemps en haute estime, délaissée, ruinée par lui, elle ne vivait plus maintenant que pour ses deux enfants.

«Sois tranquille, mère! lui répondit Lucile; je saurai me défendre.»

Et l'entraînant doucement au jardin, baigné des calmes rayons blancs, la jeune fille s'achemina avec elle vers la rivière, par l'allée du milieu, entre les poiriers en quenouille, les ifs sombres et les hautes bordures de buis.

«Il ne faut pas désespérer, reprit-elle. Quelqu'un nous attend, là, sous les charmilles, qui nous donnera, j'en suis sûre, bon conseil et bon secours.

—Qui? André?

—Oui. J'ai pu le prévenir tout à l'heure, comme il passait devant la maison.

—Tu ne crains pas?…

—Avec toi et avec lui, mère, que puis-je craindre? Nous n'avons fait et ne ferons rien de mal. Tu sais comment, André et moi, nous nous aimons. En ta présence, avec ton assentiment, nous nous sommes engagés l'un envers l'autre, loyalement, pieusement, pour toujours. Nous resterons fidèles à notre parole, quoi qu'on fasse contre nous. C'est notre droit, c'est notre devoir. Regarde, voici André!»

Le jeune homme était devant elles.

«Un malheur vous est-il arrivé? leur dit-il précipitamment.

—Il est arrivé, affirma Lucile, ce qui devait arriver tôt ou tard.

François Rouillon a demandé ma main.

—Ah!… c'est grave, en effet. Savez-vous exactement ce que M. Fraisier lui doit?

—Nous lui devons vingt mille francs, fit Mme Fraisier.

—Vingt mille francs! Je ne croyais pas la somme aussi forte. J'ai vendu mes terres un bon prix; mais, avec tout l'argent que j'ai pu réunir, je reste loin de compte. Il est vrai que la liquidation de votre magasin produirait quelque chose. Vous êtes décidés à céder le fond, n'est-ce pas?

—Il faudra bien que mon mari s'y résigne. Nous perdons de l'argent chaque année. Mais nous n'avons pas d'acquéreur, et une vente forcée serait désastreuse. Pour que la cession nous donne à peu près de quoi désintéresser M. Rouillon, il est indispensable qu'elle ait lieu dans de bonnes conditions. Nous irions vivre alors avec mes parents. Au moins, l'héritage de mon père ne serait pas compromis d'avance. Je voudrais sauver cela pour mes deux filles. Comment faire? Comment gagner du temps? M. Rouillon doit revenir dimanche; il exigera une réponse définitive. Un refus ferait immédiatement éclater l'orage.

—Mère, je suis incapable de ruser avec lui. Si je lui laissais la moindre espérance, je me croirais inexcusable.

—Lucile a raison, madame. Elle doit rester en dehors de cette affaire.

—Croyez-vous que ce soit possible?

—Si vous ne trouvez rien de mieux, dites qu'elle est trop jeune pour se marier maintenant.

—Il ne se paiera point d'une semblable défaite.

—Opposez donc la question de santé. Le docteur Farel vous est dévoué. Confiez-vous à lui. Qu'il ajourne le mariage à six mois, à un an! Que peut objecter Rouillon? D'ici là, nous aviserons.

—C'est encore le moyen le plus simple et le plus sûr, dit Mme Fraisier.

—Et jusqu'à nouvel ordre, ajouta vivement Lucile, que personne, même mon père, surtout mon père, ne se doute que je refuse M. Rouillon pour André! Mon père pourrait nous trahir sans le vouloir, sans y prendre garde. Et M. Rouillon est capable de tout. Il me fait peur.»

Un instant, ils restèrent tous les trois silencieux et pensifs. Onze heures sonnèrent dans la nuit claire et paisible, au vieux clocher dont le double pignon brun se dessinait non loin d'eux, sous la blancheur du ciel. Il fallut se séparer. André regagna le bord de la rivière, se retourna pour envoyer un dernier baiser à Lucile et disparut dans la feuillée.

«Jamais je n'accepterai M. Rouillon, j'aimerais mieux mourir!» répétait Lucile à sa mère en revenant vers la maison, tandis qu'une brise légère inclinait la pointe effilée des grands ifs.

A quoi tient l'amour?

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