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ОглавлениеLa connaissance du naturel d’un cheval est une des premières bases de l’art de le monter, et tout homme de cheval en doit faire sa principale étude. Cette connaissance ne vient qu’après une longue expérience, qui nous apprend à développer la source de la bonne ou de la mauvaise inclination de cet animal.
Quand la juste stature et la proportion des parties sont accompagnées d’une force liante, et qu’avec cela on trouve dans un cheval du courage, de la docilité et de la bonne volonté, on peut, avec ces qualités, mettre aisément en pratique les vrais principes de la bonne école Mais quand la nature est rebelle, et qu’on n’est point en état de découvrir d’où naît cette opiniâtreté, on court risque d’employer des moyens plus capables de produire des vices nouveaux, que de corriger ceux qu’on croit connaître.
Le manque de bonne volonté dans les chevaux procède ordinairement de deux causes: ou ce sones défauts extérieurs, ou des défauts intérieurs.
Par défauts extérieurs, on doit entendre la faiblesse des membres, soit naturelle, soit accidentelle, qui se rencontre aux reins, aux hanches, aux jarrets, aux jambes, aux pieds et à la vue. Comme nous avons détaillé tous ces défauts assez au long dans notre traité d’hippiatrique, nous ne les rapporterons point ici.
Les défauts intérieurs, qui forment précisée ment le caractère d’un cheval, sont la timidité, la lâcheté, la paresse, l’impatience, la colère et la malice, auxquelles on peut ajouter la mauvaise habitude.
Les chevaux timides sont ceux que l’on voit dans une continuelle crainte des aides et des châtimens, qt qui prennent ombrage au moindre mouvement du cavalier. Cette timidité naturelle ne produit qu’une obéissance incertaine, intérrompue, molle et tardive; et si on frappe trop ces sortes de chevaux, ils deviennent tout-à-fait ombrageux.
La lâcheté est un vice qui rend les chevaux poltrons et sans cœur. On appelle communément ces sortes de chevaux, des rosses. Cette lâcheté avilit totalement un cheval, et le rend incapable d’aucune obéissance hardie et vigoureuse.
La paresse est le défaut de ceux qui sont mélancoliques, endormis, et, pour ainsi dire, hébêtés: il s’en trouve pourtant quelques-uns dont la force est engourdie par la roideur de leurs membres; en les réveillant avec des châtimens faits à propos, ils peuvent devenir de bons chevaux.
L’impatience est occasionée par le trop de sensibilité naturelle, qui rend un cheval plein d’ardeur, déterminé, fougueux, inquiet: il est difficile de donner à ces chevaux une allure réglée èt paisible, à cause de leur trop grande inquiétude, qui les tient dans une continuelle agitation, et le cavalier dans une assiette incommode.
Les chevaux colères sont ceux qui s’offensent des moindres châtimens, et qui sont vindicatifs; ces chevaux doivent être conduits avec plus de ménagemens que les autres; mais quand avec ce défaut ils sont fiers et hardis, et qu’on sait bien les prendre, on en tire meilleur parti que de ceux qui sont malicieux et poltrons.
La malice forme un autre défaut naturel: les chevaux attaqués de ce vice retiennent leur force par pure mauvaise volonté, et ne vont qu’à contre-cœur. Il y en a quelques-uns qui font semblant d’obéir, comme vaincus et rendus, mais c’est pour échapper aux châtimens; sitôt qu’ils ont repris un peu de force et d’haleine, ils se défendent de plus belle.
Les mauvaises habitudes que contractent certains chevaux, ne viennent pas toujours de vices intérieurs, mais de la faute de ceux qui les ont d’abord mal montés; et quand ces mauvaises habitudes se sont enracinées, elles sont plus difficiles à corriger qu’une mauvaise disposition qui viendrait de nature.
Les différens vices que nous venons de définir sont la source de cinq défauts essentiels et d’une dangereuse conséquence; savoir, d’être ombrageux, vicieux, rétifs, ramingues ou entiers.
Le cheval ombrageux est celui qui s’effraye de quelque objet, et qui ne veut pas en approcher; cette appréhension, qui vient souvent de timidité naturelle, peut être causée aussi par quelque défaut de la vue, qui lui fait voir les choses autrement qu’elles ne sont; souvent encore, c’est pour avoir été trop battu; ce qui fait que la crainte des coups, jointe à celle de l’objet qui lui fait ombrage, lui accable la vigueur et le courage. Il y a d’autres chevaux qui, ayant été trop longtemps dans l’écurie, ont peur la première fois qu’ils sortent, et à qui tout cause des alarmes. Mais cette manie, quand elle ne vient pas d’autre cause, dure peu si on ne les bat point, et si on leur fait connaître avec patience ce qui leur fait peur.
Le cheval vicieux est celui qui, à force de coups, est devenu malin au point de mordre, de ruer et de haïr l’homme: ces défauts arrivent aux chevaux colères et vindicatifs, qui ont été battus mal-à-propos; car l’ignorance et la mauvaise humeur de certains cavaliers font plus de chevaux vicieux que la nature.
Le cheval rétif est celui qui retient ses forces par pure malice, et qui ne veut obéir à aucune aide, soit pour avancer, reculer ou tourner. Les uns sont devenus rétifs pour avoir été trop battus et contraints, les autres pour avoir été trop respectés par un cavalier qui les aura redoutés. Les chevaux chatouilleux, qui retiennent leurs forces, sont sujets à ce dernier défaut.
Le cheval ramingue est celui qui se défend contre les éperons, qui y résiste, et qui s’y attache, qui rue continuellement, qui recule ou se cabre au lieu d’obéir et d’avancer. Lorsqu’un cheval résiste par poltronnerie, c’est un indice qu’il est une rosse; quoiqu’il fasse de grands et furieux sauts, c’est plutôt malice que force.
Le cheval entier est celui qui refuse de tourner, plutôt par ignorance et faute de souplesse, que par malice. Il y a des chevaux qui deviennent entiers à une main, quoiqu’ils y aient d’abord paru souples et obéissans, parce que l’on aura voulu trop tôt les assujettir, et passer trop vite d’une leçon à une autre. Un accident qui vient à la vue, ou à quelque autre partie du corps, peut aussi rendre un cheval entier à une main, et même rétif, en ce que le cheval rétif ne veut pas tourner par malice, quoiqu’il le sache faire; et l’entier ne tourne point parce qu’il ne le peut, soit par roideur, soit par ignorance.
Quand les défauts que nous venons de définir viennent du manque de cœur et par faiblesse , la nature du cheval étant alors défectueuse, et le fond n’en étant pas bon, il est difficile d’y suppléer par l’art.
L’origine de la plupart des défenses des chevaux ne vient pas toujours de la nature; on leur demande souvent des choses dont ils ne sont pas capables, en les voulant trop presser et les rendre trop savans. Cette grande contrainte leur fait haïr l’exercice, leur foule et leur fatigue les tendons et les nerfs, dont les ressorts font la souplesse, et souvent ils se trouvent ruinés quand on croit les avoir dressés; alors, n’ayant plus la force de se défendre, ils obéissent de mauvaise grâce et sans aucune ressource.
Une autre raison fait encore naître ces défauts. On les monte trop jeunes, et comme le travail qu’on leur demande est au-dessus de leurs forces, et qu’ils ne sont pas encore assez formés pour résister à la sujétion qu’ils doivent souffrir avant d’être dressés, on leur force les reins, on leur affaiblit les jarrets, on les gâte pour toujours. Le véritable âge, pour dresser un cheval, est cinq, six ou sept ans, suivant le climat où il est né.
La rébellion et l’indocilité, qui sont si naturelles sur-tout aux jeunes chevaux, viennent encore de ce qu’ayant contracté l’habitude d’être en liberté dans les haras, et de suivre leurs mères, ils ont peine à se rendre à l’obéissance des premières leçons, et à se soumettre aux volontés de l’homme, qui, profitant de l’empire qu’il prétend avoir sur eux, pousse trop loin sa domination; joint à ce qu’il n’y a pas d’animal qui se souvienne mieux que le cheval, des premiers châtimens qu’il a reçus mal-à-propos.
Il y avait autrefois des personnes préposées pour exercer les poulains au sortir des haras, lorsqu’ils étaient encore sauvages; on les appelait cavalcadours de bardelle; on les choisissait parmi ceux qui avaient le plus de patience, d’industrie, de hardiesse et d’intelligence, la perfection de ces qualités n’étant pas si nécessaire pour les chevaux qui ont déjà été montés; ils accoutumaient les jeunes chevaux à se laisser approcher dans l’écurie, lever les quatre pieds, toucher de la main, à souffrir la bride, la selle, la croupière et les sangles; ils les rassuraient et les rendaient doux au montoir; ils n’employaient jamais la rigueur ni la force qu’auparavant ils n’eussent essayé les plus doux moyens dont ils pussent s’aviser, et par cette ingénieuse patience, ils rendaient un jeune cheval familier et ami de l’homme, lui conservaient la vigueur et le courage, le rendaient sage et obéissant aux premières règles. Si on imitait à présent la conduite de ces anciens amateurs, on verrait moins de chevaux estropiés, ruinés, recours, roides et vicieux.