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Quelque temps après les événements qui agitèrent l’Italie, de1860à1862, René de Maugis, lieutenant aux chasseurs d’Afrique, descendit avec sa sœur Valentine à l’Hôtel d’Angleterre, situé dans le beau quartier de Naples, sur la riviera di Chiaja.

Ces jeunes gens ne venaient point uniquement pour leur plaisir dans la patrie du macaroni et de l’opéra-bouffe; René avait reçu, trois ans auparavant, une blessure grave dans une escarmouche contre les Kabyles, et il avait été envoyé en France pour se rétablir.

Cet accident le retardait un peu dans sa carrière militaire; mais, d’autre part, René n’était point fâché de revoir sa sœur, la seule parente qui lui restât au monde, avec une vieille cousine et d’autres cousins aussi indifférents au jeune officier qu’une tragédie en cinq actes.

Valentine, moins âgée que son frère, et cependant plus raisonnable que lui, exerçait sur René une influence presque maternelle. Quand elle l’avait vu arriver, souffrant, à Paris, elle avait abandonné, pour le soigner, toutes ses relations mondaines; elle s’était constituée son ange gardien. Quoique cette conduite fût assez naturelle de la part d’une sœur, les amies de Valentine célébraient ce dévouement comme une chose qu’on ne rencontre pas souvent aujourd’hui.

La blessure de René mit longtemps à se fermer; on soupçonna le sabre qui l’avait faite d’avoir été trempé dans quelque substance vénéneuse; mais comme le Kabyle possesseur du sabre était fort loin à cette heure, les docteurs allopathes ou homéopathes de la rue du Bac ne purent avancer aucune preuve à l’appui de leurs suppositions.

Le malade resta languissant et pâle; la Faculté décréta que René était anémique, terme barbare que nos pères ne connaissaient point et qu’on applique à toutes les maladies dont la cause est ignorée ou dont le remède est inconnu.

Un médecin, à bout de formules, ne tarde pas à se débarrasser de son client. L’homme illustre qui soignait M. de Maugis, voyant que celui-ci mettait à ne point guérir une obstination regrettable, l’envoya aux eaux d’Auvergne, puis dans les Vosges et dans les Pyrénées; mais n’obtenant aucun résultat ni en bien ni en mal, puisque le patient ne se décidait complètement ni à mourir ni à vivre, le savant docteur finit par conseiller à sa victime l’air chaud des contrées méridionales, réputé excellent pour les épuisements, langueurs et faiblesses.

Les jardins parfumés de la Sicile étaient pleins, disait-on, de convalescents frappés naguère sur les champs de bataille de Gaëte ou de Marsala. Cette affirmation décida Valentine à accompagner son frère en Italie.

Ils voyagèrent d’abord à petites journées. A mesure qu’ils avançaient vers le soleil, les forces de René revenaient comme par enchantement. A Turin, il mangea de grand appétit; à Florence, il voulut voir les musées, pour faire plaisir à sa sœur: car, en ce qui le concernait, il avait peu de goût pour les beaux-arts; à Rome, on eut toutes les peines du monde à l’empêcher de monter à cheval. Enfin, c’était un garçon déjà solide lorsqu’il débarqua dans la Parthénope des anciens et qu’il y retint des appartements en face du golfe aux flots d’azur.

Le plan des voyageurs était de séjourner à Naples pendant un ou deux mois, puis de traverser le détroit de Syracuse en tâchant d’éviter le gouffre de Charybde et l’écueil de Scylla; mais René, en vrai soldat, ne comprenait pas plus les bonheurs champêtres que les tableaux du Titien ou d’Andrea del Sarto.

Il ne parut pas fort empressé d’aller s’enfermer dans une villa sicilienne, sous les citronniers; la perspective d’une saison passée à fumer d’horribles cigares, en regardant la mer, ne lui sourit que médiocrement; et comme Valentine insistait pour l’exécution complète du programme, il n’eut pas de peine à démontrer à sa sœur que la traversée le fatiguerait beaucoup, que le repos absolu lui était nécessaire; enfin, que Naples, ville de six cent mille habitants, offrait des ressources morales et matérielles impossibles à se procurer dans le voisinage d’un volcan aussi aride que l’Etna.

Valentine se rendit à ces raisons concluantes; elle jugea fort bien, avec son délicat instinct de femme, que, si son frère venait à s’ennuyer sur ces bords lointains, il retomberait dans la maladie que la distraction avait chassée et que le changement d’air avait vaincue tout à fait.

Au fond, René, Parisien incorrigible, ne connaissait que son régiment ou le boulevard. Dès qu’il n’était plus occupé à tuer des Arabes, il lui tardait de fouler l’asphalte, de humer l’atmosphère poussiéreuse qui circule aux environs de l’Opéra, et les rangées de becs de gaz lui semblaient un spectacle bien autrement imposant qu’une chaîne de montagnes ou que les bords pittoresques d’un lac quelconque.

C’était un homme d’action et non de rêverie, intelligent, brave, chevaleresque même, mais point nuageux; la nature toute nue le faisait bâiller; il aimait mieux les jardins alignés que la campagne inculte, et n’admirait guère une forêt que lorsqu’on y avait établi un restaurant dans les arbres, comme à Robinson.

Naples ne tarda pas à l’excéder. Après avoir regardé d’un œil distrait les collections du museo Borbonico, après avoir arpenté en long et en large la rue de Tolède et avoir goûté aux frutti di mare de Santa Lucia, René de Maugis se demanda pourquoi les empereurs romains avaient si souvent choisi cette contrée pour y passer la belle saison, et il trouva qu’Agrippine, qui s’était laissé construire un palais à Baïa, avait fait preuve d’un bien mauvais goût, ou tout au moins d’une impardonnable faiblesse.

Revenu à l’hôtel d’assez méchante humeur, René fit mander le padrone dicasa et l’interrogea sur les curiosités du pays:

–Le signor étranger, dit l’hôte, a vu sans doute le Groupe du taureau et l’Hercule Farnèse?

–Mon ami, répliqua René, en fait de groupes, j’en ai contemplé trois ou quatre mille, l’un portant l’autre, depuis que je suis ici. Je ne parle ni des églises ni des tableaux; ma sœur et moi sommes rassasiés de chefs-d’œuvre. Je donnerais Saint-Pierre de Rome pour la plus humble chapelle de village, et mon exaspération est telle que j’échangerais ce faquin de Raphaël contre un peintre en bâtiment.

–Eh bien! reprit l’hôte sans se troubler, puisque le signor étranger ne se soucie pas de voir les tableaux, il pourra toujours se distraire en admirant les restes de l’antiquité. Son Excellence n’est pas encore allée à Pompéi?

–Nous comptions visiter Pompéi demain, dit Valentine; mais nous voulions vous demander auparavant quels étaient les moyens de transport pour exécuter ce petit voyage?

–Le plus sûr serait de s’entendre avec un vetturino et d’emmener avec soi un domestique de place. Si Vos Excellences le désirent, demain matin une carozzella les attendra à la porte de l’hôtel. Quant au domestique, je me permettrai de recommander au signor étranger Mateo Tommaso, qui est depuis longtemps attaché au service de la maison.

–Va pour Mateo, s’écria René, séduit par la perspective d’une expédition en carozzella et redevenu gai comme un pinson. A propos, je ne serais pas fâché de lier connaissance avec notre cicerone. Envoyez-le moi, s’il vous plaît.

–Votre Excellence verra un drôle d’original; mais si l’écorce est rugueuse, le fruit est bon. Matoo, je crois, est sorti pour une course; dès qu’il sera rentré, j’aurai l’honneur de le présenter à Vos Seigneuries.

Ce disant, l’hôte salua les deux voyageurs, et s’éloigna sur la pointe du pied, avec cette discrétion diplomatique qui caractérise certains Italiens.

Un drame à Naples

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