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ОглавлениеLA MAIN DE LA MOMIE A un Voyageur.
Vous m'avez rapporté de l'Égypte mystique
Un austère présent, digne d'elle et de nous,
Un sombre objet, choisi dans l'hypogée antique
Que garde le colosse au front superbe et doux,
Assis dans le désert, les doigts sur ses genoux.
Ce présent, c'est la main délicate et raidie
D'une reine, portant—voilà bien trois mille ans—
Sur sa tête petite, élégante et hardie,
Avec le bandeau d'or brodé de feux tremblants,
La vipère divine aux yeux étincelants.
Cette main—quand la femme aux longs yeux ceints de bistre,
Fille des Pharaons, belle et jeune, vivait—
Dans le fond des parvis faisait frémir le sistre
Devant le dieu, vers qui ce bruit seul arrivait,
Ne troublant point le songe éternel qu'il rêvait.
Ou bien elle tenait—la main frêle et mignonne—
Un lourd sceptre massif à la crosse d'or fin,
Dont l'ombre dominait le désert monotone
Et, sur l'âpre étendue où les lions ont faim,
Loin du grand Nil d'azur, se prolongeait sans fin.
Lorsque les courtisans, nombreux, comme une houle,
Encombraient du palais les larges escaliers,
Cette petite main, ils la baisaient en foule,
Elle qui, levant un de ses doigts déliés,
Pouvait faire tomber leurs têtes par milliers.
Et souvent, dans la paix des nuits calmes et chaudes,
Sur la terrasse haute où meurt tout bruit de cour,
Sous la lune faisant luire ses émeraudes,
Lente, elle errait, la main si douce, au fin contour,
Parmi les noirs cheveux d'un prince fou d'amour.
Ces choses se passaient voilà trois mille années.
Elle est là, cette main, parmi mes bibelots.
Sa grâce, sa fierté sont encor devinées:
Aussi, des temps lointains bravant les sombres flots,
J'évoque à son aspect de magiques tableaux.
Pauvre petite main de royale momie,
Dont l'aromate encore a d'étranges parfums,
Je t'aime... je te prends comme une main d'amie.
Loin du présent morose et des jours importuns,
Emmène-moi, veux-tu? vers les soleils défunts.
Hélas! ma main de chair, ma main vivante et rose
Qui sur la bandelette autour de ton poignet
Ou sur tes maigres doigts sans nul effroi se pose,
Doit vivre moins que toi, que l'Égypte craignait
Et sauva par les soins que son art enseignait.
Mes doigts vivants, à moi, se réduiront en cendre,
Et les tiens garderont leur exquise raideur.
La tombe où promptement il me faudra descendre
Des sépulcres du Nil n'a point la profondeur,
Car la mort est chez nous, ô Reine, sans grandeur.
Reste au moins avec moi durant ma courte vie,
Petite main rigide et que baisait un roi.
Ce qui t'a fait frémir et ce qui t'a ravie,
Vois, après trois mille ans m'enchante ainsi que toi:
De l'éternel amour c'est l'éternel émoi.