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Dans l'abîme sacré, dans l'infini mystique
Où sont assis les dieux, ô Pallas-Athéné,
Daigne écouter l'accent de mon pieux cantique!
Reviens, reviens, Déesse, à la colline antique,
Fais resplendir encor ton temple profané!
Nous avons mutilé ton Parthénon sublime,
Nous, fils lourds et grossiers des Goths aux cheveux roux.
Ton pardon ne saurait effacer un tel crime.
De ses sombres erreurs notre race est victime;
Leur poids l'écrase encor, bien plus que ton courroux.
Mais du moins laisse-moi, noble Reine offensée,
Sur ton autel détruit verser mes pleurs amers!
Car il fut le sommet de l'humaine pensée.
Sitôt qu'il a péri, la nuit s'est abaissée
Sur ce triste Occident déchiré par les mers.
Mille ans elle a régné, la nuit épouvantable.
Tu te taisais alors et détournais les yeux,
O Raison, ô Beauté sereine et redoutable!
Lorsque fondit sur nous l'horreur inévitable,
Muette, tu voilas ta face au fond des cieux.
Le jour pourtant revint. Une tremblante aurore
Palpita tout à coup vers l'horizon sanglant.
Le vague écho lointain de ton clairon sonore,
O Vérité, passa, puis grandit plus encore...
L'Art ancien du tombeau surgit en chancelant.
C'est qu'une vision, pâle encore et divine,
Dans les cœurs torturés montait avec lenteur;
C'est qu'au souffle venu de ta sainte colline,
O Pallas-Athéné, sur le front qui s'incline
Planait le vol puissant de l'Idéal sauveur.
Le Moyen Age obscur tressaillit d'allégresse;
Le monde crut renaître en retrouvant tes lois.
Des vrais amants du Beau n'es-tu pas la maîtresse?
La Grèce nous inspire et tu guidas la Grèce.
Tous les grands siècles d'art sont éclos à ta voix.
Mais jamais l'Idéal, dont l'âme est altérée,
Qu'elle poursuit toujours et qui toujours s'enfuit,
Ne manifesta mieux sa présence adorée
Que dans l'antique Hellas, dans la terre sacrée,
Dont seul l'éclat splendide a vaincu notre nuit.
Jamais il ne trouva de plus parfait symbole
Que toi-même, ô Pallas: Beauté, Force et Raison!
Nul temple n'égala celui de l'Acropole.
Sous un clair ciel d'azur, merveilleuse coupole,
Quel peuple fier et doux remplissait ta maison!
Quels nobles citoyens, devant tes Propylées,
S'abordaient pour parler des dieux et des destins!
Leurs paroles de feu, dans l'espace envolées,
Enchantent aujourd'hui nos âmes consolées
Et sont le vrai flambeau de nos pas incertains.
Telle est ton œuvre immense, ô Reine salutaire!
Mais quelle ingratitude a payé tes bienfaits!
Ton culte a cessé d'être en honneur sur la terre,
Tu n'es plus qu'une idole, on rit de ton mystère.
Le respect des dieux pèse à nos cœurs imparfaits.
II
Au temps de Périclès que tu paraissais belle!
Ta force le cédait alors à ta douceur.
De pompeux cavaliers, en file solennelle,
Célébraient sur ta frise une fête éternelle,
Et chaque Athénienne était ta blanche sœur.
O Vierge! pour montrer ta face auguste et pure,
Pour mieux fixer les traits sous lesquels tu survis,
Tu créas Phidias... L'art passa la nature,
Et soudain tu parus, divine sous l'armure,
Toute d'ivoire et d'or au fond du saint parvis.
De ton sublime front, d'où la clarté ruisselle,
Sans cesse descendit dès lors la vérité.
De tes rayons brûlants quelque ardente parcelle
Chaque jour du génie alluma l'étincelle,
Et le monde ébloui vécut pour ta beauté.
Ton culte universel n'avait point de sceptique,
Tout mortel était prêtre à tes divins autels.
Euripide charmait les paysans d'Attique,
Et l'humble mendiant, assis sous ton portique,
Discutait de Platon les dogmes immortels.
Qu'il était donc aisé de suivre ta loi douce
Lorsque sur l'Acropole on pouvait t'approcher!
Mais le front de ton temple a roulé sur la mousse.
Toujours vers l'avenir notre destin nous pousse.
Où faut-il, où faut-il à présent te chercher?
Jamais nous n'atteindrons la grâce athénienne,
Minerve, car en nous survivent nos aïeux,
Durs guerriers, descendus de la Scythie ancienne,
Dont la fureur brisa cette ville, la tienne,
Où, fière, tu posais ton pied victorieux.
Que d'efforts il nous faut pour secouer une heure
Le lourd fardeau sanglant des siècles entassés!
L'abeille de l'Hymette en vain passe et m'effleure...
Pour moi, triste étranger, qui lutte, implore et pleure,
Ce doux frisson subtil, hélas! n'est point assez.
III
A peine ai-je compris, ô Minerve d'Athène,
La pensée enfermée en ton front radieux.
Qu'es-tu? Qu'enseignes-tu, Vierge pure et hautaine?
Vois, mon âme est fervente et pourtant incertaine...
Découvre à mes regards ton sens mystérieux.
Toi que l'Amour jamais n'a trouvée accessible,
Toi dont le sang jamais sous ses dards n'a coulé,
Es-tu la Pureté, ferme, austère, inflexible,
Qui sur les chastes mœurs, sur le foyer paisible,
Pose des peuples forts l'empire inébranlé?
Mais n'es-tu pas, ô toi qu'invoquait Praxitèle,
Du génie enflammé l'étincelle de feu?
Dans ses moindres débris ton Parthénon révèle
Un tel souci du Beau, que nul peuple fidèle
N'offrit pareil présent en hommage à son Dieu.
Oh! si tu descendais de ta lointaine cime,
Dans le vide et la nuit las enfin de crier,
Nous courberions nos fronts sous ta règle sublime.
Vois, tous nos dieux brisés ont glissé dans l'abîme,
Pourtant nous ne pouvons désapprendre à prier.
Il s'éteint sans écho, le blasphème farouche
Par ce siècle hardi lancé contre le ciel.
La grâce du divin nous attire et nous touche,
L'infini nous reprend... Nous fermons notre bouche,
Mais notre cœur charmé chante un hymne éternel.
Minerve, c'est pourquoi les hommes de notre âge,
Las de leurs durs travaux, s'émeuvent à ton nom.
Dans nos songes troublés vient flotter ton image,
Et l'incrédule aussi, qui se croit le plus sage,
Pleure, et baise, incliné, le seuil du Parthénon.