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FANTÔMES DIVINS
ОглавлениеA l'heure où votre ciel croule,
O dieux des siècles passés!
Quand le monde rit et foule
Tous vos trônes renversés,
Je m'attendris et je songe
Que votre subtil mensonge
De l'Idéal qui nous ronge
Est le radieux flambeau.
Tous nos rêves dans votre ombre
Ont flotté, formes sans nombre,
Et votre gloire qui sombre
Met notre espoir au tombeau.
Heureux ceux que notre sphère,
En ses horizons étroits,
Peut désormais satisfaire,
Sous les cieux vides et froids!
Heureux ceux dont la pensée,
Parfois déçue et lassée,
Vers la chimère effacée
Ne se retourne jamais,
Et dont le rêve impassible,
Restreint au monde sensible,
Ne poursuit pas l'impossible
Jusqu'aux plus lointains sommets!
Pour moi, dans la vieille Égypte,
Je m'égare sans remords
Au sein de la sombre crypte
Où vivent toujours ses morts.
J'aime à croire qu'endormie
Dans l'étroite tombe amie,
La somptueuse momie
Songe encore aux jours anciens,
Et qu'en sa fixe prunelle,
Durant la vie éternelle,
Luit la vision charnelle
Des bonheurs qui furent siens.
Ou bien, sur les bords du Gange,
Dans un lumineux décor,
Je contemple un monde étrange
Et j'ai des ailes encor.
Parmi les temps insondables,
Mes destins inévitables
Par des nombres formidables
Comptent les ans révolus,
Car les siècles par centaines
Font les âmes incertaines
Dignes de boire aux fontaines
Où s'enivrent les élus.
Sous l'arbre au feuillage antique,
Je m'assieds avec Bouddha,
Épris du songe mystique
Dont la beauté l'obséda.
Là, sa douce âme pensive
Vit s'approcher, agressive,
La tentation lascive
Des corps éclatants et nus;
Ferme, il poursuivit sa voie,
Car l'éclair de notre joie
Est dérisoire et se noie
En des gouffres inconnus.
Parfois, dans la steppe aride
De l'Iran sec et poudreux,
Sur le désert, qui se ride
Vers l'horizon vaporeux,
Je distingue dans la brume,
Parmi l'air qui se parfume,
Une simple pierre où fume
Et flambe quelque tison:
De l'Arya des vieux âges,
Suivant ses pieux usages,
C'est là l'autel où ses sages
Murmurent leur oraison.
Des hauts remparts de Carthage,
Où la terre aux flots s'unit,
J'adore, un soir, sans partage,
Le front si pur de Tanit.
Dominant la mer tranquille,
Elle sourit, immobile,
Et sa puissance subtile
Enchante et dissout le cœur;
Ou bien son fin croissant grêle,
Effleurant quelque tourelle,
Semble, fantastique et frêle,
Un hiéroglyphe moqueur.
Et devant quelque humble toile
D'un vieux maître florentin,
Où les mages voient l'étoile
Qui blanchit dans le matin,
Je nais aux siècles gothiques,
Pour chanter de doux cantiques,
Sous les merveilleux portiques
Tout embrumés par l'encens,
Et pour baiser avec joie,
Sous le vitrail qui flamboie,
De Jésus, dont le front ploie,
Les membres éblouissants.
Non, je ne puis vous maudire,
Vous, nos charmeurs, vous, les dieux!
En vain le jour se retire
De votre ciel radieux,
De vous en vain mon cœur doute...
Pour éclairer notre route
Ce Demain, que je redoute,
Qu'a-t-il de meilleur que vous?
Dans notre existence brève,
Vaut-il mieux marcher sans trêve,
Ou s'enchanter d'un grand rêve,
Les mains jointes, à genoux?