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LA CHARITÉ DE BOUDDHA
ОглавлениеUN jour, les pieds meurtris et brûlés de poussière,
Las d'avoir trop marché sous un soleil de feu,
Gautama, le doux prince aux yeux pleins de lumière,
Vit d'humbles murs surgir dans l'air ardent et bleu.
Ce n'était plus le temps de ses splendeurs mondaines,
Des repos nonchalants dans ses jardins fleuris,
Tandis qu'au bruit charmeur des sonores fontaines
Dansent rêveusement les lascives houris.
Il avait tout laissé des voluptés royales,
Car il ne pouvait plus les goûter sans remord
Depuis qu'il avait vu ces trois choses fatales,
Savoir: la pauvreté, la souffrance et la mort.
Recherchant le secret de la douleur humaine,
Durant des jours sans nombre il avait médité,
Et sur l'arbre où mûrit la science certaine
S'était formé pour lui le fruit de charité.
Dans ses rêves profonds sous le divin ombrage,
Lui, l'éternel Bouddha, venait d'apprendre enfin
Que l'homme, ignorant tout, a pour meilleur ouvrage
D'aimer, et de donner lorsque son frère a faim.
Maintenant il allait sous le ciel impassible,
Cherchant un malheureux pour lui prendre la main,
Et murmurant les mots de tendresse indicible
Qui devaient éclairer notre aride chemin.
Et voici que vers lui, la cruche sur l'épaule,
Venait, à pas lassés, la femme d'un soudra.
Le grand Réformateur alors comprit son rôle,
Un céleste sourire à ses lèvres erra.
Il vit en un éclair l'infranchissable abîme
Que la caste maudite entre les cœurs creusait
La femme que voilà ne pouvait pas sans crime
Approcher l'Aryen, dont l'orgueil l'écrasait.
Et c'était une atroce et honteuse souillure
Que rien dans l'avenir ne pouvait effacer,
Pour lui, que partager le pain ou bien l'eau pure
Avec celle qui, lente et triste, allait passer.
Et le prince du sang, dont la très noble race
Se peint sur son front blanc et dans son fier regard,
S'avance... Mais la femme, en hâte, lui fait place,
Puis, l'entendant parler, s'arrête, l'œil hagard.
Et Gautama disait, d'une voix dont la terre
Toujours, de siècle en siècle, entend l'écho sacré:
«J'ai soif, ma route est longue et l'âpre vent m'altère.
Penche vers moi ta cruche, ô femme! et j'y boirai.»
Mais elle, doucement, lui répliquait, confuse:
«Hélas! je suis en tout ta servante, seigneur;
Mais mon père est soudra. Vois quelle erreur t'abuse.
A boire par ma main tu perdrais ton honneur.
—«Femme, dit Gautama, je te demande à boire,
C'est tout. Ne me dis point que ton père est soudra.
Ces mots sont vanité, sœur, et tu peux me croire,
Car par ma voix demain le monde l'apprendra.»
Et la femme inclina, muette de surprise,
Sa cruche, et regarda cet homme au noble sang
Dont la lèvre effleurait la rude argile grise,
Et qui semblait joyeux de l'acte avilissant.
Elle ne savait pas, la pauvre dédaignée,
Que celui qui buvait, humblement, de sa main,
Verrait à ses autels la terre prosternée
Et plierait sous sa loi le tiers du genre humain.
Et lorsque, se perdant sur la poudreuse route,
Le voyageur eut dit son fraternel adieu,
Elle, qui le suivit d'un long regard sans doute,
Dans le passant songeur n'entrevit pas le dieu.