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JEANNOT

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Table des matières

Jeannot était un drôle de garçon, pas plus malin qu’il n’en avait l’air, mais toujours d’humeur joyeuse et le visage souriant, principalement quand les choses allaient à son gré. Un beau matin, il résolut de courir un peu le monde pour tâcher de faire fortune. Il prit congé de sa mère, qui lui donna sa bénédiction (c’était tout ce qu’elle pouvait lui donner), en lui recommandant de ne jamais cesser d’être probe et honnête, et le voilà quittant son village.

Après diverses pérégrinations, il rencontra enfin un particulier qui l’engagea à son service. Sept années durant Jeannot resta auprès de lui, puis, un jour, pris du mal du pays, il dit à son bourgeois: — Cher maître, seriez-vous assez bon de me payer mes gages; je retourne chez moi voir ce que devient ma bonne mère.

— Très volontiers, répondit le bourgeois. Je n’ai eu toujours qu’à me louer de toi, et j’entends te récompenser comme il faut. Tiens, prends ce lingot d’or.

Le lingot était presque aussi gros que la tête de Jeannot, laquelle avait à peu près les dimensions d’une superbe citrouille. Le garçon, qui n’avait jamais vu autant d’or d’une seule pièce, chargea joyeusement le lingot sur ses épaules, remercia son maître, et se mit en chemin à pas mesurés, dans la crainte de tomber.

On était en été, et le soleil piquait ferme. Jeannot fut bientôt tout en sueur. Comme il continuait d’aller cahin-caha, la tête raide, sans pouvoir regarder ni à droite ni à gauche, il vit venir à lui un cavalier tout flambant, qui lui cria de loin: — Holà ! mon garçon, où vas-tu comme cela? Tu ressembles à un escargot traînant sa coquille... Une coquille en or, excusez du peu!

Jeannot répondit d’un ton de mauvaise humeur:

— Vous avez belle à vous moquer de moi du haut de vos étriers... Ah! que ne puis-je trotter sur une fringante monture comme la vôtre! D’abord, je n’userais pas mes souliers, et cela vaudrait mieux que de gémir sous cette charge... Aïe! ajouta-t-il, je n’en puis plus.

— C’est donc bien lourd ce que tu portes là ? reprit le cavalier.

— Essayez un peu, repartit Jeannot.

— Essayer! Je le veux bien, mon garçon. Et, puisque mon cheval te plaît tant, faisons un échange entre nous. Donne-moi ton lingot, je te cède ma bête.

— Tope là, — fit Jeannot au comble de la joie, en tapant tout de suite dans la main de l’étranger.

Celui-ci se hâta de mettre pied à terre, de prendre le lingot d’or, et de passer la bride à Jeannot. Le garçon enfourcha l’animal, et partit de l’avant enchanté de chevaucher ainsi sur la route.

Mais sa joie fut de courte durée. Le cheval, effrayé à la vue d’une grosse pierre qui se trouvait en travers du chemin, fit brusquement un écart; Jeannot, au lieu de serrer la bride — genre d’exercice auquel d’ailleurs il s’entendait comme à jouer de la flûte, — lâcha au contraire tout ce qu’il en tenait, et, patatra! le voilà s’étalant comme un sac de noix au milieu du fossé.

Par bonheur, passait justement un jeune paysan menant une vache maigre à la laisse. En apercevant le cheval, il se hâta de le saisir par la bride et de l’attacher à un arbre; puis, après avoir aidé le malencontreux écuyer à sortir du fossé : — Allons, dit-il à Jeannot, ce n’est rien, remets-toi en selle.

— Merci bien, répliqua l’autre, j’en ai assez. De ma vie je ne veux toucher à une de ces rosses ombrageuses.

Il regarda la vache du paysan: — Ah! reprit-il, parle-moi d’un animal d’humeur douce et docile comme celui que tu tiens! Voilà ce que j’aimerais!

— Eh mais! répondit le paysan, si ma vache te plaît à ce point, ne te gêne pas. Je te la troque contre ton cheval.

— Je te prends au mot, s’écria Jeannot. Vite, faisons l’échange.

Le rusé paysan ne se le fit pas dire deux fois; il jeta la longe qu’il tenait à Jeannot, enfourcha le dada et disparut au grand trot.

Jeannot ne se sentait pas de joie, à l’idée que la vache lui appartenait. — Je ne crois pas, se disait-il, qu’il existe un être plus chançard que moi sous le soleil. Où doncavais-je l’idée de vouloir m’embarrasser d’un cheval, qui n’est bon qu’à manger du foin et à ruer? Mais, une vache, à la bonne heure! A-t-on soif? On la trait. A-t-on faim? Vite un peu de beurre sur du pain. Que peut-on désirer de plus ici-bas?

Au bout de quelque temps, Jeannot aperçut une auberge, et, comme il lui restait encore quelques sous en poche, il résolut de se reposer un instant, tout en faisant une petite collation. Le fond de son gousset y passa; après quoi il se remit en route, avec son ruminant encorné.

La chaleur était de plus en plus forte. Le pauvre bouvier suait à grosses gouttes, la langue lui collait au palais, et la vache, elle aussi, commençait à se faire tirer plus qu’il n’eût voulu. Il se sentait sur le point de défaillir, quand tout à coup il se frappa le front en s’écriant: — Mais, quel nigaud tu es, mon pauvre Jeannot! Puisque tu as soif, trais donc ta vache.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Le garçon attacha la vache à une souche, tendit son bonnet de cuir en guise de seau, et se mit en posture. Mais, il eut beau s’y prendre de toutes les façons imaginables, pas une goutte de lait ne vint. En revanche, la vache, impatientée de son insistance, finit par lui détacher un si vigoureux coup de pied sur la nuque que le malheureux trayeur roula par terre sans connaissance.

Juste à ce moment survint un boucher menant un jeune cochon. A la vue de Jeannot, étendu sous le derrière de la vache, l’homme s’approcha, et, tirant sa gourde, il entonna une gorgée d’eau-de-vie au blessé, qui ne tarda pas à rouvrir les yeux, et se tâta l’encolure en gémissant.

— Jésus Maria! quel coup de maillet! J’ai cru que j’en avais la tête détachée du tronc!

Il narra ensuite son aventure au boucher, qui examina de plus près la vache, et dit alors à Jeannot: — Je n’ai pas peine à croire que cette bête-là ne te donnait pas de lait. C’est une toute vieille vache qui n’est plus bonne qu’à abattre.

— A abattre? répliqua Jeannot. Ma foi, je n’en voudrais même pas pour un pot-au-feu. Je n’aime pas la viande dure. Ah! si j’avais un beau cochon comme le vôtre, ce serait une tout autre affaire! Le bon lard, les fameuses saucisses, l’excellent boudin! fit-il en se passant la langue sur les lèvres.

— Eh, mon ami, repartit le boucher d’un ton de parfaite indifférence, qu’est-ce qui nous empêche de faire un troc entre nous? Je ne suis pas si regardant que cela, quand il s’agit d’être agréable à un ami. Prends mon cochon, je m’arrangerai comme je pourrai de ta vache.

— Oh! comment vous remercier? — s’écria Jeannot au comble de la joie. Il sauta bien vite sur la corde à laquelle Dom pourceau était attaché, et prit le large, en lâchant sa vache.

Quelques instants après, il croisa un villageois qui tenait sous son bras une oie blanche comme neige. — Bonjour, l’ami! fit le gars au passage, et, d’un mot à l’autre, la conversation s’engagea. Jeannot ne manqua pas de raconter à son compagnon tout ce’ qui lui était arrivé depuis le matin, et comme quoi de chacun de ses embarras il avait l’insigne chance de tirer toujours un nouvel avantage.

L’autre, qui vit tout de suite à quel paroissien naïf il avait affaire, résolut de profiter, lui aussi, de sa bêtise. — Certes, fit-il, ton cochon est ce qu’on appelle une belle bête; malheureusement.....

Sur ce mot, il regarda d’un air inquiet autour de lui.

— Qu’est-ce donc? fit Jeannot intimidé de ces façons mystérieuses.

Le villageois se rapprocha de Jeannot, et lui dit à l’oreille: — Tu ne sais pas; on a volé hier un cochon au maire du village ci-près, et je parierais que c’est celui-ci. Il lui ressemble depuis le bout du groin jusqu’à l’extrémité de la queue. Le larron, qui est un malin, n’a eu rien de plus pressé que de te le repasser. Gare à toi, si l’on t’attrape! La police, je le sais, est déjà en campagne.

— Ah! mon Dieu! s’écria Jeannot épouvanté. Faut-il avoir du guignon! Que faire? Aide-moi, je te prie, à me tirer d’affaire.

Le compère se gratta un moment l’oreille, puis il finit par dire: — Ecoute, je ne vois qu’un moyen. Prends mon oie, et donne-moi ton cochon. Comme je connais par cœur les moindres sentiers, les gendarmes ne réussiront jamais à me dépister, et toi, tu pourras continuer ton chemin la tête haute.

Jeannot lâcha vite la corde de son porc, et saisit à bras-le-corps Madame l’oie, tandis que le villageois, de son côté, s’empressait de filer avec le cochon.


— Ouf! se dit Jeannot, je l’ai échappé belle! Et me voilà, de plus, assuré d’un rôti sans pareil, sans compter la graisse à plein pot que cette bête me donnera, et aussi les belles plumes soyeuses, à s’en bourrer tout un oreiller. Comme, ma mère et moi, nous allons faire bombance!

Tout en se livrant à ces réflexions, il atteignit l’avant-dernier village de sa route. Sur la place, près de la fontaine, un remouleur avait installé son appareil ambulant, et c’était plaisir de l’entendre chanter et siffler, tout en faisant aller sa machine et en affilant ses lames d’acier sur la meule tour à tour grinçante et ronflante.

Tout à coup, à la vue de Jeannot, l’homme interrompit sa besogne. — Holà ! garçon, cria-t-il, tu es, ma foi, tout bonnement à croquer avec ce que tu tiens sous le bras!.. Mais, à propos, où as-tu donc acheté ce beau brin de volaille.

— Mon oie! fit Jeannot, je ne l’ai pas achetée; je l’ai eue en échange d’un cochon. — Et le cochon? — Je l’ai eu pour une vache. — Et la vache? — Pour un cheval. — Et le cheval? — Pour un lingot d’or. — Et le lingot d’or, mon petit renard? — C’était le prix de sept années de services.

— Ah! coquin et finaud que tu es! s’écria l’homme. Pour que ton bonheur soit complet, il ne te reste plus qu’à te faire rémouleur.

— Comment s’y prend-on? demandaJeannot déjà alléché.

— Oh! ce n’est pas difficile. Il suffit d’une pierre à aiguiser. En voici une justement dont je ne me sers plus.

Jeannot étendit la main aussitôt.

— Mais, voyez-moi donc ce petit rusé ! s’écria le gagne-petit en éclatant de rire. Il sait bien que les rémouleurs n’ont qu’à fouiller dans leur poche, pour en retirer un beau jaunet comme celui-ci, — ajouta-t-il en levant en l’air une pièce d’or toute neuve étincelante.

Jeannot était rouge de plaisir.

— Ecoute, reprit le tourne-meule, donne-moi ton oie, et la pierre est à toi.

Jeannot se dessaisit bien vite de son oie, s’empara de la pierre magique, laquelle n’était qu’un vulgaire caillou ramassé par le rémouleur sur le chemin, et s’en fut enchanté de nouveau de son aubaine.

Mais sa joie ne fut pas de longue durée. La chaleur était de plus en plus accablante; à peine s’il avait la force de se traîner; sa pierre lui paraissait presque aussi lourde que lui avait paru le lingot d’or, au début de son voyage.

— Ah! se disait-il en s’essuyant le front, que je serais donc heureux de n’avoir rien du tout à porter, et de pouvoir marcher les mains vides!

Sur l’entrefaite il arriva près d’un puits, et, désireux d’étancher sa soif, il posa son précieux fardeau sur le rebord, et se mit en devoir de tirer de l’eau. Mais, dans le mouvement qu’il fit en se penchant, il heurta la pierre qui se trouvait sur la margelle du bassin, et, ploump, elle tomba lourdement au fond du puits.

Qui fut ravi? Ce fut le sieur Jeannot. Il sauta aussitôt en l’air, en agitant triomphalement son bonnet.

— Enfin, se dit-il, me voilà les bras libres! Merci, mon Dieu, de cette dernière grâce! Décidément, tout me vient à point depuis ce matin.

Et, d’un pas accéléré, il fila jusqu’à son village, où il raconta à sa chère mère, en riant aux éclats, l’étonnante succession de coups de fortune qu’il avait eus en une seule journée. L’histoire s’en répandit bientôt dans le pays, et le garçon ne fut plus désigné désormais que par le nom de Jeannot-la-Chance.

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