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LE ROI BARBE-DE-GRIVE
ОглавлениеIl était une fois un roi qui avait une fille très belle, mais excessivement fière et hautaine. Non seulement elle repoussait tous ceux qui aspiraient à sa main, mais encore elle se moquait d’eux. Un jour, le monarque invita à une fête tous les gens de marque des alentours qui avaient envie de se marier; il espérait que dans cette foule de rois, de ducs et de princes, la farouche infante se choisirait enfin un fiancé. Mais, quand on lui fit passer en revue les prétendants, elle trouva quelque chose à reprendre en chacun d’eux. L’un était trop gros, l’autre trop maigre, un troisième trop pâle, un. quatrième trop rougeaud. Bref, tous furent l’objet de ses critiques, et celui qui était le plus beau parmi eux, elle l’affubla du sobriquet de Barbe-de-Grive, sous prétexte que son menton se recourbait en pointe comme un bec de grive. Son père conçut de tout cela une extrême colère, et il jura de donner la revêche péronnelle au premier gueux venu.
A quelques jours de là, parut sous les fenêtres de la résidence royale un musicien déguenillé et sordide, qui se mit à chanter et à jouer si bien que le prince le fit appeler devant lui, et, voyant que l’homme était un gueux accompli, lui dit sans plus de façons: — Ta musique m’a fait tant de plaisir que je te donne ma fille en mariage.
La fille eut beau se trouver mal d’épouvante, le roi envoya sur l’heure chercher le chapelain pour qu’il bénît l’union du couple; puis, la cérémonie terminée, il dit à l’épouse: — Maintenant, tu peux décamper d’ici avec ton gueux de mari, car il n’est pas séant que des mendiants habitent dans le château d’un roi.
Le musicien emmena donc sa belle moitié à travers prés et forêts, jardins et champs, villes et villages, et tout le temps elle dut aller à pied. Quand elle demandait: — A qui appartient ce beau parc? Et cette ombreuse forêt? Et cette verte prairie? Et cette jolie ville? — le gueux répondait invariablement: — Cela appartient au roi Barbe-de-Grive. Et l’infante, chaque fois, de dire en soupirant: — Hélas! malheureuse que je suis! que n’ai-je épousé le roi Barbe-de-Grive! Sur quoi le gueux ne manquait pas de répliquer: — Je trouve fort déplaisant que tu penses sans cesse à un autre homme. Ne suis-je donc pas assez bon pour toi?
Enfin, ils arrivèrent à une misérable chaumière, et, la fille du roi ayant demandé à qui elle appartenait, le musicien répondit d’un ton joyeux: — C’est ma maison, et la tienne aussi; c’est là que nous allons vivre ensemble. — La pauvre princesse eut le cœur bien gros; il n’y avait point de domestiques au logis, et elle fut obligée de tout faire elle-même. Comme elle s’y prenait constamment de travers, son mari finit par lui dire: — Me voilà bien loti avec toi! Il n’y a plus, je le vois, qu’une ressource. Nous allons faire le commerce de la poterie au marché. Tu t’installeras sur la place et tu vendras la marchandise.
On pense s’il en coûta à la fille du roi de se mettre ainsi en évidence au marché et de faire l’article aux passants; mais il lui fallut bien s’y résoudre, sous peine de mourir de faim. Comme elle était jolie, les gens lui achetaient volontiers, et beaucoup même lui donnaient plus qu’elle ne demandait, de sorte qu’elle et son mari gagnaient très convenablement leur vie.
Un jour que la jeune marchande s’était postée avec sa denrée dans un angle de la place, voilà qu’un hussard ivre débouche tout à coup au tournant, et galope au beau milieu de la poterie, qui se brise en mille pièces. La princesse court chez elle en se lamentant raconter ce malheur à son homme. — C’est bien; assez pleuré ! lui répond celui-ci d’un ton quelque peu bourru. Puisque tu es incapable de mener aucune affaire par toi-même, nous allons aller au château de ton père, voir si l’on veut t’accepter comme fille de cuisine.
La fille du roi fut en effet acceptée comme aide par le cuisinier, et la besogne la plus rebutante fut la sienne. Elle avait dans ses deux poches de côté un petit pot qui lui servait à rapporter au logis la part de restes qui lui revenait, et c’était de cela que le couple vivait.
Un jour, eut lieu la noce du fils aîné du roi. La pauvre servante monta comme les autres regarder de la porte ce qui se passait dans la salle de bal. A la vue de tant de pompe et de magnificence, elle pensa avec mélancolie à son propre sort, et maudit son humeur orgueilleuse et hautaine qui l’avait plongée dans une telle misère. Soudain le fils du roi s’approcha d’elle, habillé de velours et de soie, la prit par la main, et voulut danser avec elle. Elle s’y refusa, et quel ne fut pas son effroi, en s’apercevant que celui qu’elle avait pris pour le fils du roi n’était autre que ce même Barbe-de-Grive qu’elle avait si moqueusement éconduit jadis! Mais elle eut beau résister; celui-ci l’entraîna au milieu de la salle; là, les cordons d’attache de ses poches se rompirent, les pots qui y étaient en tombèrent, si bien que la soupe se répandit sur le parquet luisant et ciré, avec une pluie de rogatons de toute sorte. Ce fut un éclat de rire unanime dans l’assistance.
La princesse bondit vers la porte pour se sauver; mais quelqu’un la rattrapa sur l’escalier et la ramena dans la salle. Ce quelqu’un, c’était encore le roi Barbe-de-Grive, qui lui dit d’un ton plein de douceur: — Ne crains rien, moi et le musicien de la maisonnette là-bas, comme aussi le hussard qui a fracassé ta poterie, nous ne faisons qu’une seule et même personne. Tout cela n’a eu pour but que de briser ton orgueil et de te punir de tes railleries envers moi.
La princesse se mit alors à pleurer amèrement: — Oh! dit-elle, j’ai eu des torts bien graves à ton égard, et je ne suis pas digne d’être ta femme. — Mais Barbe-de-Grive lui répondit: — Console-toi, les jours de deuil sont passés; nous allons maintenant célébrer notre noce.
La noce fut célébrée, en effet, avec tout le faste imaginable, et les deux époux vécurent désormais dans une félicité sans mélange.