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LES TROIS SOUHAITS
ОглавлениеUn jeune couple vivait fort uni, ayant tout ce qu’il fallait pour être parfaitement heureux; seulement, le mari et la femme avaient un travers, commun à presque tous les humains: c’était de toujours désirer le mieux quand ils avaient le bien. Tantôt, c’était le champ du maire qui leur faisait envie; tantôt, c’était l’argent de l’hôtelier voisin; une autre fois, la maison du notaire; puis, le troupeau de celui-ci, le jardin de celui-là ; bref, ils n’étaient jamais satisfaits.
Un soir qu’ils étaient assis près du poêle, en train d’écaler des noix, une petite femme blanche, pas plus haute qu’une coudée, mais d’une beauté merveilleuse, entra soudain dans la chambre, qui se trouva remplie d’un parfum de roses.
La lumière s’était éteinte; mais une lueur rosée, pareille à celle qui éclaire l’Orient quand le soleil est près de se lever, rayonnait de la mignonne apparitîon, et projetait son reflet sur les murs. Le jeune couple, d’abord effrayé, se remit bientôt en entendant l’inconnue leur dire d’un ton de voix suave et argentin: — Je suis votre amie, la fée de la montagne Anna Fritz, qui habite là-bas un palais de cristal, et commande à une armée de sept cents gnomes. Je vous permets de formuler trois vœux; ils seront accomplis.
Le mari donna un coup de coude à sa femme, comme pour lui dire: voilà qui va bien! L’autre ouvrait déjà la bouche pour demander toutes sortes de colifichets, bonnets de dentelle, fichus de soie, et autres atours féminins de ce genre, quand la fée l’arrêta, son index levé, pour lui dire: — Vous avez huit jours pour réfléchir. Pensez-y bien, ne vous pressez pas!
Là-dessus, la naine disparut; la lampe se remit à brûler comme auparavant, et au parfum de rose évanoui succéda une âcre odeur d’huile.
Nos époux demeurèrent bien embarrassés de savoir ce qu’ils demanderaient, et n’osant pas même ébaucher intérieurement le moindre souhait, dans la crainte d’être pris au mot par la fée. — Bah! dit la femme, nous avons tout le temps jusqu’à vendredi.
Le lendemain soir, pendant que les pommes de terre du souper cuisaient dans la poêle, l’homme et la femme, assis l’un auprès de l’autre, regardaient sans mot dire crépiter les étincelles du foyer; chacun ruminait sa félicité future. Enfin, les pommes de terre se trouvant frites à point, la femme les retira du feu en disant: — Cela sent bon! — Puis, elle ajouta, sans plus y penser: Si seulement nous avions avec cela un bout de saucisson!
A peine eut-elle lâché cette parole imprudente, qu’une lueur aurorale et un parfum de rose s’épandirent par la chambre, et un superbe saucisson parut sur le plat près des pommes de terre. Le premier des trois souhaits venait d’être exaucé.
On pense si le mari se mit en colère contre sa femme. — Tu ne peux donc pas tenir ta langue? — s’écria-t-il; et il ajouta, sans plus y penser, lui-même: «Je voudrais que tu eusses ce saucisson pendu au bout du nez! — Il n’avait pas achevé de parler que le saucisson était au bout du nez de sa moitié, et s’y balançait comme un appendice naturel de l’organe.
Que résoudre? L’embarras des pauvres époux était grand. Ils venaient de faire étourdiment, et sans le vouloir, deux vœux qui ne leur avaient rien rapporté. Pas un denier de surcroît dans leur bourse! Pas un sac de blé en plus dans leur grange! Rien qu’un méchant bout de saucisson, et encore mal placé.
Il leur restait, il est vrai, la ressource d’un troisième souhait. Ils pouvaient demander la richesse. Oui, mais la richesse ne suffit pas à faire le bonheur quand on a le cartilage nasal enjolivé d’un morceau de charcuterie. Bon gré, mal gré, le couple imprudent dut donc prier la fée de la montagne de débarrasser la maîtresse du logis de l’objet qui la gênait tant. Le vœu fut incontinent exaucé, et les pauvrets se retrouvèrent comme auparavant, avec un peu d’expérience en plus, dont ils pouvaient profiter par la suite; seulement, la bonne fée aux souhaits ne leur en fournit pas l’occasion, attendu qu’elle ne reparut jamais.