Читать книгу Au pays des féeries - Diverse Auteurs - Страница 9

LE CŒUR DU GÉANT

Оглавление

Table des matières

Il y a déjà longtemps, vivait un roi qui avait sept fils. Quand ils furent devenus grands, il leur dit:

— Allez-vous-en par le monde accomplir quelques actions d’éclat, et, au retour, ramenez-moi de belles et dignes fiancées. — Seul, le plus jeune des fils dut rester jusqu’à nouvel ordre au logis.

Voilà donc les six aînés partis. Après maintes pérégrinations et maintes aventures, ils arrivèrent à la cour d’un monarque où ils se plurent tout de suite, d’autant mieux qu’il y avait là six filles d’une beauté vraiment extraordinaire. Ils les demandèrent pour femmes, et, ayant obtenu le consentement du roi, ils se mirent en devoir de retourner chez eux avec leurs fiancées.

Chemin faisant, ils longèrent un massif de roc escarpé au sommet duquel se dressait un énorme castel. C’était la demeure d’un géant qui changeait en pierre tous les gens qui passaient dans les environs. Avant que les frères eussent pu s’enfuir, ils furent, ainsi que leurs fiancées, métamorphosés en blocs de rocher.

Le vieux roi leur père, après avoir, pendant bien longtemps, attendu en vain leur retour, finit par envoyer le fils cadet à leur recherche. Le jeune homme sauta en selle allègrement, et il était déjà loin du château, quand il aperçut sur la route un corbeau qui ne pouvait plus se mouvoir, à force de faim et d’épuisement.

— Donne-moi quelque chose à manger, dit l’oiseau au prince, je t’assisterai à mon tour, quand tu seras dans le besoin.

Le prince tira un morceau de pain de sa poche et le partagea avec le corbeau, qui, une fois rassasié, prit son vol.

Quelque temps après, le voyageur atteignit une rivière sur le bord de laquelle il y avait un gros poisson qui faisait des efforts lamentables pour tâcher de sauter dans l’eau.

— Aide-moi, lui dit la bête; je t’assisterai à mon tour quand tu seras dans le besoin.

Le prince eut pitié de l’animal; il le jeta dans le fleuve, et continua son chemin.

Un peu plus loin, il rencontra un loup qui se tordait de faim par terre en hurlant.

— Donne-moi ton cheval, que je le mange! dit le loup au prince. Il y a juste mille ans que je jeûne.

— Eh bien, soit, s’il le faut, répondit le jeune homme — Et il donna son cheval au loup, qui n’en fit incontinent qu’une bouchée.

Comme, ensuite, il demeurait là fort embarrassé, à se demander comment il poursuivrait son voyage, le loup lui dit:

— Monte sur mon dos, je vais te porter où tu voudras.

Le prince passa le mors dans la bouche du loup, enfourcha la bête, et, hope! le voilà parti d’un tel train, que monts et vallées fuyaient vertigineusement à ses côtés. De sa vie il n’avait fourni une telle chevauchée.

Tout à coup le loup s’arrêta et dit à son cavalier: — Vois-tu, au pied de cet énorme château, ces douze blocs de pierre? Ce sont tes six frères et leurs fiancées. Descends, pénètre dans le château, et fais ce que te dira la princesse qui viendra au-devant de toi.

Le prince obéit, et, comme il entrait dans la cour du château, il voit venir à lui une charmante dame qui lui dit: — Au nom du ciel, comment t’es-tu introduit ici? Ta mort est certaine, si le géant t’aperçoit. — Diable! répond le fils du roi, mauvaise affaire, je le reconnais; mais pourquoi ne prendrais-je pas tout d’abord le temps de délivrer mes frères avec leurs fiancées, et même, si tu ne t’y opposes pas, celui de tuer le géant? — Oh! pour cela, impossible! répliqua la princesse. Il n’a point le cœur dans la poitrine.

Au même moment, on entendit un bruit de pas grinçants et pesants. — Vite! dit la dame. Entre ici, cache-toi sous le lit, et ne bouge pas!

Le prince fit ce qu’on lui commandait. Quand le géant fut dans la chambre et se fut assis, il se mit à flairer l’air en disant: — Tiens, ça sent ici la viande de chrétien! — Eh! c’est toi-même que tu sens, repartit la dame. Dis-moi plutôt où se trouve ton cœur. — Qu’est-ce que cela te fait? commença par s’écrier le géant.

Mais la princesse eut recours à tant de bonnes paroles, elle pria avec tant d’insistance le géant de lui dire où était son cœur, que l’autre finit par répondre: — Mon cœur, eh bien! puisque tu tiens à le savoir, il est sous le seuil de la porte.

Après avoir prononcé ces mots, il grommela encore quelque chose dans sa barbe, puis il se jeta surson lit et s’endormit.

Le fils du roi avait tout entendu. Dès que le monstre fut plongé dans le sommeil, il sortit de sa cachette, et chercha sous le seuil de la porte le cœur du géant; mais il ne trouva rien.

Le lendemain, le géant se leva de bonne heure, et se rendit à la forêt pour y chasser. Le soir, en rentrant, il s’écria de nouveau: — Tiens, ça sent par ici la viande de chrétien! — Et la dame de lui répondre comme la veille: — Eh! c’est toi-même que tu sens... Mais, laissons ces sornettes, dis-moi plutôt où se trouve ton cœur.

Le géant répondit en riant: — Il est là, dans le placard. — Après quoi, il s’étala derechef sur sa couche et se mit à ronfler.

Quand il fut endormi, le prince, qui avait tout entendu, fouilla le placard, aidé de la princesse; mais ni l’un ni l’autre ne trouvèrent rien.

Le matin suivant, le géant s’en alla encore. Le soir, en rentrant, il fit mine de flairer de nouveau la chair humaine dans la chambre. Ce que voyant, la princesse ne lui laissa pas le temps de parler; elle lui dit tout de suite: — Voilà deux fois que tu ne me dis pas la vérité. Ne recommence pas une troisième. Je t’en prie, fais-moi savoir où se trouve ton bon et excellent cœur.

En parlant ainsi, elle lui caressait les joues, si bien que le vieux monstre ébaucha une grimace de satisfaction et répondit: — Oui, tu es une brave fille. Ecoute donc ce que je vais te dire. Loin, bien loin d’ici, au milieu du Grand Océan, il y a une île solitaire; sur cette île, il y a une vieille chapelle; dans cette chapelle, il y a une fontaine très profonde; dans cette fontaine, il y a un canard sauvage; dans le corps de ce canard sauvage, il y a un œuf blanc. Eh bien, c’est dans cet œuf que se trouve mon cœur.

Ce long discours avait tellement épuisé le géant qu’il se laissa choir incontinent sur sa couche et s’endormit profondément.

Le fils du roi, qui avait tout entendu, ne s’attarda pas plus longtemps au château. Il prit immédiatement congé de la princesse, en lui promettant de revenir la voir dès qu’il aurait mis la main sur le cœur du géant.

Dehors, il trouva le loup qui l’attendait, et qui lui dit: — Monte seulement sur mon dos, je sais où tu veux aller.

Le prince enfourcha l’animal, et, hope! hope! les voilà partis par monts et par vaux jusqu’au rivage du Grand Océan. Là, le loup dit au prince: — Ne bouge pas, et ne crains rien. — Sur ce mot, il sauta dans les flots et se mit à nager avec son fardeau jusqu’à l’île en question. Ils y trouvèrent la vieille chapelle, mais elle était fermée, et la clef en était accrochée tout au haut du clocher. Le prince ne savait comment faire pour s’en emparer, lorsque tout à coup un corbeau s’approcha. C’était celui avec lequel il avait naguère partagé son pain. L’oiseau saisit la clef avec son bec, et la laissa tomber aux pieds du prince.

Celui-ci entra alors dans la chapelle. Tout y était bien comme le géant avait dit: dans la fontaine nageait un canard sauvage, qui finit par venir tellement près du bord, que le prince put le saisir. Seulement, comme il le retirait de l’eau, l’animal laissa choir l’œuf, qui s’engloutit au fond du bassin.

Comment le rattraper? Le fils du roi était bien embarrassé. Tout à coup, un énorme poisson sortit de l’onde. C’était celui que le prince avait naguère assisté. Ce poisson tenait l’œuf dans sa gueule. Le jeune homme le prit avec joie; mais il ne savait pas au juste ce qu’il en devait faire. — Serre-le fortement, dit le loup, et tu verras bien. — Le prince serra l’œuf autant qu’il put. Aussitôt une voix lamentable s’écria: — Ah! aïe! holà ! — C’était le géant qui se précipitait dans la chapelle en disant: — Grâce! Je ferai tout ce que tu voudras... Ne me broie pas le cœur.

Le prince répondit: «Eh bien, désenchante mes six frères et leurs fiancées; à cette condition, je t’épargnerai.»

Le géant souffla en l’air: «C’est fait! dit-il; à présent donne-moi l’œuf. — Attends! reprit le fils du roi. Ce disant, il pressa l’œuf de toutes ses forces; celui-ci s’écrasa, et au même moment le géant tomba mort par terre.

Le prince remonta aussitôt sur le loup et regagna le castel des rochers. Là, il trouva ses frères et les six princesses rendus à la vie. Il délivra ensuite la belle captive du géant. Elle était, elle aussi, fille de roi, et elle s’empressa d’accorder sa main au jeune homme, dès que celui-ci lui en eut fait la demande. De cette façon, les choses se trouvèrent réglées à souhait, et les sept frères n’eurent plus qu’à retourner, avec leurs compagnes, au château de leur père, où une septuple noce fut célébrée d’un même coup, avec un éclat et une pompe dont on parle encore dans le pays.

Au pays des féeries

Подняться наверх