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Ouverture.

Nous n’avons aujourd’hui ni Lambert, ni Molière, ni M. Ingres, ni M. Delacroix, ni M. Decamps, ni M. Diaz, ni M. Coulure, ni M. Trayon, ni Mlle Rosa Bonheur, ni M. Riesener, ni M. Jules Dupré, ni M. Paul Huet, ni M. Heim, ni M. Barye, ni quelques autres noms célèbres qu’il m’est permis d’oublier, puisqu’ils ne se montrent plus. Mille raisons diverses ont engagé ou forcé des artistes éminents à se tenir à l’écart et à rester hors du concours. Les uns se reposent de leurs travaux et de leurs années; les autres décorent nos édifices publics, et leurs ouvrages sont des immeubles. M. Delacroix, qui vient d’entrer à l’Institut comme Henri IV dans son Paris, est malade: il n’a pas même pu assister aux délibérations du jury. M. Riesener est malade aussi depuis la décision du jury. Deux ou trois peintres brillants boudent la critique et ne veulent plus livrer leurs tableaux à la discussion des hommes. Les expositions lucratives de la rue Laffitte et les succès de l’hôtel Drouot nous ont privés de plusieurs toiles qu’on aimerait à voir aux Champs-Élysées. La mort a pris sa part; elle a eu ses expositions, qui font tort à la nôtre. Roqueplan, Chassériau, Delaroche, viennent d’obtenir leur dernier succès, qu’ils n’ont pas vu. Ziégler, David, Rude, Simart|, Gayrard, soldats morts entre deux batailles, n’enverront plus rien au Salon.

Et cependant le monde marche! Et si vous voulez bien me suivre où je vous conduis, je me fais fort de vous prouver que le progrès ne s’arrête pas au seuil des Beaux-Arts. Les amateurs que l’été a laissés à Paris assisteront à un spectacle intéressant. Des lutteurs que nous avions crus fatigués reviennent, frais et dispos, remplacer ceux qui se reposent. De grands talents, gâtés par des défauts qui semblaient incorrigibles, se sont dépouillés de leurs imperfections et de leurs ridicules, comme d’un masque de carnaval. Des jeunes gens pleins de hardiesse et de confiance, souriant au premier rayon de leur gloire naissante, réclament les places que la mort a laissées vides, et succèdent aux maîtres qui ne sont plus.

Mais, si nous voulons être justes envers nous-mêmes, commençons par oublier l’Exposition universelle, et déposons au vestiaire nos souvenirs de 1855.

En ce temps-là, la France avait convoqué l’arrière-ban de ses chefs-d’œuvre pour étaler aux yeux de l’univers un demi-siècle de travail et de gloire. Le palais des Beaux-Arts ressemblait à un château où l’on a convié cérémonieusement des hôtes illustres. Nous y traitions les hauts seigneurs de l’école allemande, les gros bonnets de la Flandre et les barons élégants de la peinture anglaise. En pareille occasion, le châtelain n’épargne rien pour éblouir ses invités, au risque de les humilier un peu. On découvre les vieux lampas et les meubles héréditaires qui dormaient sous la housse; on vide les armoires; on étale les cristaux précieux, les services de Sèvres et les grandes pièces d’orfèvrerie. On va chercher au fond du vivier les poissons les plus énormes; on extrait du caveau réservé les vins les plus respectables.

L’hiver est venu, les visiteurs sont partis, nous sommes chez nous et entre nous. On a étendu une housse sur la Vénus Anadyomène, et la Barque du Dante est remisée au Luxembourg. Nous dînons dans la porcelaine neuve; nous mangeons nos truites de deux ans et nous buvons le vin de l’année. Mais n’ayez pas peur: la maison est bonne. Les plus difficiles se contenteraient de notre ordinaire, et le vin du cru est généreux.

Suivant la coutume établie depuis un siècle, nos artistes ont envoyé plus d’ouvrages que le Salon n’en a reçu. Il est de toute justice qu’on ne s’installe pas dans une maison sans l’agrément du propriétaire. Le jury chargé d’admettre ou d’exclure, et de remplir les fonctions de maître des cérémonies, se compose des membres de l’Institut. L’Institut jouissait de ce privilége il y a dix ans. Entre 1848 et 1857, il l’a partagé avec un certain nombre de connaisseurs et de critiques, et cette association n’a pas exercé sur nos progrès une influence sensible. L’Institut est dépositaire des traditions de l’art sérieux. C’est à lui qu’il appartient de réagir contre le mauvais goût du public et les fantaisies déraisonnables des artistes. La mode, qui gouverne tout, sans excepter l’opinion des critiques, ne trouve aucune prise sur des hommes nourris de l’antique et familiers avec les maîtres. Leurs talents sont de diverse mesure, mais ils n’ont qu’une mesure pour juger le talent d’autrui.

Je me souviens du temps où l’iniquité du jury passait en proverbe, et où le dernier barbouilleur de toile se croyait victime de la jalousie de l’Institut. Ces doléances bruyantes ont été pendant plusieurs années une des formes de l’opposition: nous ne les entendons plus aujourd’hui. Le jury de 1857 ne peut être accusé que de bienveillance et d’indulgence. Il a commencé par ouvrir la porte à deux battants pour faire entrer les bonnes choses. Après quoi, considérant que les chefs-d’œuvre sont rares, et qu’il ne faut décourager personne, il a laissé passage aux œuvres médiocres. Peut-être a-t-il refusé quelques tableaux d’une originalité dangereuse, où des défauts énormes se cachaient derrière des qualités brillantes. Enfin, je ne sais quel jour on a oublié de tourner la clef dans la serrure, mais il s’est glissé çà et là quelques tableaux furtifs qui serviront à rehausser le mérite de leurs voisins.

Tous les ouvrages admis au Salon reçoivent la même lumière, et le soleil y luit pour tout le monde à travers des vitraux dépolis. La seule inégalité à laquelle on n’ait pu porter remède, c’est que certains tableaux sont plus près de terre, et certains autres plus près du ciel. Tout serait pour le mieux si l’indulgence du jury n’avait reçu quelques ouvrages de plus que les salles n’en peuvent contenir. Cet excédant s’est répandu dans les galeries latérales.

Un large escalier, décoré de bustes et de statues, conduit le public à dix salons carrés, disposés en enfilade, comme l’appartement d’un château. Le salon d’honneur, où l’on entre d’abord, renferme, outre les œuvres capitales, un certain nombre de grandes toiles où le public s’arrête par curiosité. Les portraits de l’Empereur et de l’Impératrice, la guerre de Crimée, le Congrès de Paris, les scènes de l’inondation, sont les premiers objets qui frappent les yeux des visiteurs. Il était facile de prévoir que notre gloire et nos malheurs tiendraient une grande place dans l’exposition de peinture, et il ne fallait pas être prophète pour prédire une inondation de batailles et une bataille d’inondations. Au milieu des souvenirs de la Crimée, en face du maréchal Pélissier, une intention pieuse a placé la statue de Saint-Arnaud.

A droite et à gauche du salon carré, les salles se suivent et se ressemblent, au moins pour le premier coup d’œil. C’est une chose que les jeunes gens eux-mêmes peuvent avoir remarquée; lorsqu’on entre dans une exposition de peinture, on se demande si l’on n’y est pas déjà venu. Les portraits qui se détachent çà et là sont aussi indistincts et aussi confus que les têtes mélangées qu’on voit dans une foule. Les paysages, les batailles, les intérieurs se fondent ensemble; le regard nage dans une pâte de couleurs qui n’a rien de nouveau, et où l’attention ne s’accroche à rien.

Peu à peu la lumière se fait, le regard se pose. On commence à petits pas un voyage d’exploration tout parsemé d’heureuses découvertes. On retrouve les maîtres qu’on aimait; on mesure ce qu’ils ont gagné ou perdu. On se refroidit un peu pour celui-ci; on se réconcilie avec celui-là ; on lui sait gré de ses progrès comme d’une concession qu’il nous aurait faite. On rencontre aussi de nouvelles connaissances qu’on épouse sans hésiter, à la vie, à la mort. En présence de certains tableaux, on se rejette en arrière, comme si l’on avait mis la main dans l’encre; on revient à certains autres pour déguster le dessin, pour savourer le coloris, avec une volupté douce et friande.

Enfin, après quelques jours de cet exercice mêlé de plaisirs et de peines, on rentre au logis, on s’assied, on ferme les yeux, et l’on regarde en soi-même. On a l’esprit tout échantillonné de tableaux, comme un grand mur de l’exposition. On refait pour soi la besogne du jury; on ne garde devant les yeux que ce qui est bien, et l’on passe l’éponge sur le reste, car la critique n’est pas une croisade contre les maladroits, mais la recherche sévère du beau dans les arts. Alors seulement on peut embrasser d’un seul regard toute une époque, la comparer aux précédentes, et lui assigner son rang dans l’histoire. On peut calculer la distance qui nous sépare des grands siècles, observer le mouvement qui nous entraîne, soit en avant, soit en arrière, et classer les artistes contemporains suivant le coup d’épaule que chacun d’eux donne au progrès.

J’essayerai de dire à combien de lieues nous sommes de Raphaël et de Titien, comme les astronomes ont mesuré l’espace qui s’étend entre la terre et le soleil. Je rechercherai parmi les artistes vivants ceux qui ont une part, petite ou grande, dans l’héritage des maîtres. Je ne dirai rien de ceux qui n’ont rien: la pauvreté n’est pas un vice.

Les critiques ont pris l’habitude de ranger les peintres de tout talent dans deux catégories: on est coloriste ou dessinateur. J’ai remarqué depuis longtemps que tous les maîtres anciens étaient l’un et l’autre, et que la plupart des peintres modernes ne sont ni l’un ni l’autre. Je tenterai donc une autre classification, qui s’appliquera à la statuaire aussi bien qu’à la peinture.

Je n’ose pas espérer de contenter tout le monde, mais je serai plus que content si je gagne mon procès devant les artistes sérieux.

Nos artistes au Salon de 1857

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