Читать книгу Le meurtre de la vieille rue du Temple - Edouard Cassagnaux - Страница 10

La Scène Magique.

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Oh!.....

CALDERON.

Un miracle! c’est un fait dont on ne peut se rendre compte, une fantasmagorie, ou une assiette cassée par une cuisinière.

Un Casuiste.

A l’heure de minuit, deux hommes descendaient l’escalier de la cave de l’Hébreu, précédés de Josué qui tenait un flambeau dont la lumière rendait affreusement livides les objets qu’elle allait découper.

A sa haute taille qui se projetait informe sur les pierres de la muraille suante, on reconnaissait le sire d’Octonville; l’autre était bref, mais robuste, son visage plein, sombre et sévère, annonçait la vigueur et la force, et ses yeux d’un bleu pâle, encore que petits, n’en lançaient pas moins un regard ferme et menaçant. Il ne portait point de barbe, et ses cheveux noirs et longs étaient surmontés d’un chaperon noirâtre. Une cotte hardie de drap brun qui cachait une chemise de maille, une robe de drap sombre et fort ample, tel était son costume. Ils entrèrent dans le souterrain du Juif, après avoir franchi un assez long corridor plus ténébreux encore qu’humide.

La salle souterraine était séparée en deux par un grand rideau noir, et n’était éclairée que par deux longues flammes bleues et jaunes qui s’élançaient d’une sorte de trépied. Moïse restait non loin, entouré de ses chats et des hiboux aux yeux étincelans; l’ours lêchait ses pieds nus. A droite, était un grand tableau de bois, peint de noir, entouré d’un long chapelet de chauves-souris et de serpens séchés, que surmontait une tête de mort d’un blanc éblouissant, tant elle avait été bien polie. En face du tableau on avait placé un grand coffre de bois; les deux étrangers s’y assirent, et Mousque fixa son œil de lynx sur la figure du plus petit, que la flamme magique revêtait alors d’une nuance verdàtre: le Juif sourit lentement, et à ce sourire long et progressif, les cheveux des deux hommes se mouillèrent de sueur.

— Que voulez-vous de moi, dit-il enfin d’une voix brusque? Il y a du sang sur vos poignards et vos mains. Raoul répondit:

— Tu dois savoir ce qui nous amène.

— Oui, la mort du duc d’Orléans!... l’homme bref tressaillit.

— Cette mort s’accomplira-t-elle, demanda-t-il d’un air sombre?

— Elle est tracée au ciel, répondit le Juif.... un long silence suivit.

— Explique-toi, Juif: que t’ont découvert les sciences mystérieuses, que te disent les cieux? Balaam se prit à hurler, les chats à gémir et les hiboux à battre des ailes.

— Silence, et laisse faire à ton maître, a répondu le négroman. Alors les flammes s’éteignent, et le rideau noir s’agite violemment; une obscurité profonde règne dans le souterrain.

Mais bientôt, non ce n’est point une illusion, le tableau noir s’éclaire peu à peu, et un fantôme s’y dessine; c’est le feu duc de Bourgogne, il s’avance lentement, pâle, immobile.

— Mon père! s’écrie l’homme au sombre chaperon, le fantôme a disparu.

Tenez, voici une salle de l’hôtel d’Artois, maintenant plusieurs seigneurs y sont assemblés; ils tiennent conseil, je crois; celui-ci, c’est encore le feu duc; cet autre, c’est son fils, le comte de Nevers: oh! quel est celui-là ? et qui pourrait-ce être, sinon le beau duc d’Orléans! voyez plutôt sa bonne mine, ses manières gracieuses et courtoises; mais l’on discuste, je crois,.... Oui, paix!... tous les personnages se meuvent et semblent se quereller; la dispute, elle est vive.... Dieu! le duc d’Orléans s’avance; il donne un soufflet au comte de Nevers! oui, un soufflet; Nevers veut tirer son épée, mais son père, le prudent Philippe de Bourgogne, l’en empêche. Il a bien fait, oui, c’est agir sagement.

Alors que le fantôme du duc d’Orléans avait donné le soufflet, un cri terrible, un cri de rage, pareil au hurlement de Balaam, avait fait retentir la voûte.

— Par le sang de Dieu, dit le petit homme en s’élançant vers le tableau....

— Calmez-vous, Monseigneur.

— Raoul!.. Le tableau s’éteignit...

Cependant voilà qu’une troisième scène surgit, se déroule, brille et paraît. On entend aussitôt les chants d’une viole, on est au bal, on danse, on rit, on s’ébat. Quelle est cette belle et noble dame assise à l’écart, écoutant les tendres propos de ce beau seigneur? c’est madame Marguerite, l’épouse du duc Jean, dont vous voyez plus loin la figure sombre et sévère... La dame semble hésiter, mais enfin elle cède et se laisse doucement entraîner par le duc d’Orléans derrière la tapisserie...on entend le bruit de leurs baisers.

— Tu mens, s’écrie, furieux, Jean de Bourgogne; tu mens, jamais Marguerite ne s’est livrée à l’infâme!...

— On l’a dit pourtant, répond une voix.

Repoussant Raoul, le duc s’élance vers le tableau; mais le tableau recule, s’efface, et la main du duc ne touche que la froide tête de mort.... au même instant, des caractères de feu se dessinent et étincèlent. Au bas Raoul lit:

Conteret brachium peccatoris!

— Il écrasera le bras du pécheur, dit encore la voix.

— Le pécheur, c’est lui, murmure Jean-sans-Peur.

— Duc de Bourgogne, regarde ces lettres, décompose-les; qu’y trouves-tu? Novembre MCCCCVII, il écrasera le bras du pécheur! Novembre 1407! Duc de Bourgogne, est-ce assez t’en dire?

Alors le rideau s’écarte violemment, et le souterrain s’illumine; vingt tètes bizarres qui semblent vomir des flammes, mêlent des lumières rouges à celles du trépied, et le Juif reparaît vêtu d’un costume de pourpre rehaussé d’or; il tient une verge d’une main, un livre de l’autre, et devant lui sur une table d’acier scintille un long poignard....

Le duc de Bourgogne sourit amèrement.... Le Juif lui montra le ciel. Un immense soupirail avait été ouvert, et laissait voir les cieux où quelques étoiles alors étincelaient.

— En ce moment placée sur ce poignard, vois-tu cette pâle étoile qui semble se mourir? c’est celle du duc d’Orléans;... cette autre, si brillante, qu’on la prendrait pour une petite flamme; c’est la tienne; elle s’avance vers son ennemie, guidée par l’astre imperceptible, qu’il n’est pas donné aux yeux du vulgaire de pouvoir contempler.... Après demain cette brillante étoile aura dévoré celle qui correspond au point milieu de ce poignard....

— Tu es un habile négromancien, Juif, dit le duc après quelques instans de silence....

Le Juif ne répondit pas, mais il laissa tomber sur Jean-Sans-Peur un regard dédaigneux.

— Raoul m’a répondu de ta discrétion: Moïse s’inclina.

— Tu peux compter sur ma protection. Elle est puissante, bientôt vous allez être maître de ce royaume!

— Comment?

— Un seul homme vous en empêchait... La figure de Jean-Sans-Peur devint aussi sombre qu’une nuit d’orage...

— Tu devrais employer ton art à guérir le Roi de la cruelle maladie qui l’obsède.

— Je ne le puis, et ne le pourrai jamais.

— Pourquoi?

— Les destinées s’y opposent, et mon art a des bornes.

— Il est vrai que la duchesse d’Orléans est grande magicienne, dit-on?

Le Juif regarda le duc, et dit:

— Elle est chrétienne....

Raoul tira de dessous sa casaque, une lourde bourse de cuir et la posa sur la table d’acier.

— Le prix du sang... murmura Moïse.

— Adieu, Juif, fit le duc, mais ajouta-t-il d’un air menaçant, oublie ma visite...

— Je te reverrai, Moïse, a dit Raoul, lorsqu’il mit le pied dans le corridor.

— Oui, et souviens-toi que je veux de sa chair....

Quelle différence y a-t-il donc entre ce duc et Balaam, se demanda Moïse, quand ils furent partis; mon ours du moins est apprivoisé, mais ce Bourguignon! tient-il plus du boucher que du bourreau.... du bourreau, il en fait l’office... sans le savoir.... Orléans, je t’ai condamné, et le duc et son valet Raoul vont exécuter ma sentence!... Enfin!... Les traits du Juif s’allumèrent soudain, ses membres tremblèrent, la fureur brilla dans ses yeux creux: Il est sans doute à cette heure près de Lia, pensa-t-il tout-à-coup... mais j’aurai de sa chair!!!...


Le meurtre de la vieille rue du Temple

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