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Le Juif Négromant.

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Table des matières

C’est un homme de conséquence,

Rempli d’esprit et de science.

Les Almanachs.

Si un Juif outrage un Chrétien, quelle est la modération de celui-ci? la vengeance. Si un Chrétien outrage un Juif, comment le Juif doit-il le supporter? d’après l’exemple du Chrétien, en se vengeant.

SHAKESPEARE.

LE Juif Moïse Mousque habitait une petite maison, vieille et retirée, et l’on disait qu’il travaillait depuis long-temps au grand œuvre, dans une cave profonde. Ce qu’il y avait de certain, c’est que sa maison était pleine de cornues, fourneaux, charbons et soufflets. Il s’adonnait aux sciences occultes, était profondément versé dans les mystères de la cabale, et passait pour bon astrologue. Il était aussi médecin, et guérissait les plaies et maladies par philtres et paroles. Avait-il fait un pacte avec le diable? Il était protégé par plusieurs seigneurs de la cour, l’avait été puissamment par madame Valentine, et espérait l’être bientôt par le duc de Bourgogne. Seulement on ne savait pourquoi, mais les plus fortes sommes ne l’avaient pu décider à entreprendre la maladie du Roi; et pourtant il aimait l’or, il est vrai qu’il n’en était jamais dépourvu; du reste, il ne sortait que la nuit, et cela quand il ne travaillait pas dans son souterrain. Moïse n’avait guère plus de quarante ans, on aurait pu lui en donner cinquante, tant sa figure était déjà vieillie, et ses cheveux d’un roux jaune, blanchis par les travaux auxquels ils s’était assidûment livré. Il était grand, olivâtre et d’une maigreur repoussante. Rien qu’à voir sa longue figure aux traits larges et profondément gravés, ses deux petits yeux noirs, creux et luisans, ses sourcils épais, hauts et arqués à l’orientale, on eût dit: c’est un Juif. Il avait laissé croître sa barbe; elle était courte, rase, et se terminant en pointe aiguë, allongeait encore cette figure si singulièrement remarquable; elle accompagnait bien le sourire perfide qui jaillissait de ses lèvres minces et profondément rentrées. Moïse Mousque était toujours vêtu d’une robe noire, fendue sur la poitrine, de manière à laisser voir une sorte de rationnal de soie rouge, richement brodé de caractères d’or; une ceinture de cuir, sur laquelle une main habile avait dessiné en laiton les douze signes du zodiaque, serrait cette longue soutane recouverte d’une grande casaque de drap à manches pendantes. Sa coiffure consistait en un turban rouge roulé jusque sur les sourcils, et surmonté d’un gros saphir entouré de perles.

Ce personnage était tranquillement occupé à lire un vieux manuscrit de parchemin enfumé, dans un petit cabinet obscur, construit dans le grenier de la maison, et rempli d’instrumens de chimie, de manuscrits et de livres; il était là dans un vieux fauteuil, sur le dossier duquelétaient perchés deux hiboux qu’on eût pu croire morts, tant ils étaient immobiles, et tant leurs grands yeux d’or restaient fixes. Deux gros chats noirs demeuraient accroupis sur la lourde table, et leur nombreuse progéniture jouait dans un coin avec des peaux de crapauds desséchés.

Moïse Mousque semblait profondément à sa lecture, cependant il jetait de temps en temps un coup-d’oeil sur la porte, et chaque fois ses sourcils se rapprochaient, comme s’il eût été impatienté de ne pas voir entrer quelqu’un d’attendu. A la fin, son oreille attentive entendit monter le petit escalier, et un sourire diabolique se dessina sur ses lèvres sèches; mais il se remit soudain à lire, de telle sorte qu’il semblait comme pétrifié, ou plutôt comme une statue sur un tombeau..... la porte s’ouvre, et Raoul d’Octonville entre, et la referme soigneusement; mais le Juif ne bougeait.... les hiboux poussaient des cris, battaient des ailes, voltigeaient de tous côtés, les chats miaulaient, roulaient dans l’ombre leurs yeux verts et flamboyans, et un ours énorme sortant de dessous la table, où l’avait caché jusqu’alors un large tapis rouge, vint se dresser devant le sire d’Octonville qui recula, un moment effrayé.... le Juif sourit, fit un signe, l’ours docile vint se coucher à ses pieds, et tout rentra dans le silence; mais Moïse ne voulut point encore s’interrompre, il montra une escabelle au confident du duc de Bourgogne et reprit sa lecture. A la fin, Raoul, impatienté et frappant du pied, s’écria:

— Messire Mousque, je ne suis pas venu pour voir un ours et des chats seulement!....

Mousque ne répondit pas.

— Chien de Juif, murmura Raoul! puis: Maître Mousque, au nom du diable ou du ciel, parlerez-vous aujourd’hui? L’ours gronda et les hiboux crièrent.

— Ne parlez ici ni du ciel ni de l’enfer, sire Raoul, dit enfin le Juif en roulant son manuscrit.

— Pourvu que nous parlions, peu m’importe! je t’apporte deux cents moutons d’or, car nous viendrons cette nuit. Tu peux tout disposer.

Une joie satanique brilla dans les petits yeux de Mousque:

— Vous êtes donc décidés?

— Tu sais si je le suis, Juif, répondit Raoul d’un air sombre, et mordant sa lèvre dédaigneuse.

— Et votre maître?

— Il l’est depuis long-temps... et grâce âmes soins, il frappera bientôt.... d’ailleurs, tu l’as dit, les astres sont pour nous.

— Oui, ils sont toujours pour les ames fermes.... Ainsi la réconciliation?...

— C’est un acte politique; d’ailleurs il dépendrait de toi de l’empêcher.

— Le duc d’Orléans est donc mort, s’écria brusquement le Juif en s’élançant de son siège! et ses traits prirent une teinte de férocité, telle que d’Octonville lui-même en fut stupéfait. Mais les traits de l’Israélite se remirent peu à peu, et il se tint immobile, ses yeux perçans fixés sur Raoul..... Celui-ci, se levant brusquement:

— Ainsi donc à minuit?

— Un moment, un moment.... j’exécuterai tout ce dont nous sommes convenus, oui, mais à une condition.

— Tout n’est-il pas convenu?

— Je ne promis rien.

— Quoi, dit Raoul en colère! mais s’arrêtant soudain: Allons, c’est encore de l’argent, combien te faut-il?

— Je méprise ton or.

— Que te faut-il donc?

L’Hébreu garda quelque temps un silence terrible... puis, d’une voix sourde:

— Il me faut de sa chair! il me faut de la chair de l’infâme débauché ! de la chair du duc d’Orléans!

— Eh! qu’en voudrais-tu faire, demanda Raoul, ne pouvant s’empêcher de frémir?

— Eh! tu parles de te venger, répondit Mousque avec mépris!... Au surplus, cela doit peu t’importer, ajouta-t-il froidement... c’est ma condition.

— Eh bien donc! qu’à cela ne tienne; comme tu dis, cela doit peu m’importer, j’y consens.... Il sortait, mais le Juif:

— Un moment.... jure, foi de chevalier, de me donner de sa chair.

— Je le jure.

— Un moment encore; jure-le sur ce livre: il tira d’une petite cassette de bois de cèdre un livre à fermoirs d’or et à couverture de soie brodée.

— Jure encore sur ce livre sacré de me donner de sa chair.

— N’as-tu pas ma parole de chevalier, Juif?

— C’est ma condition.

— Qu’est-ce que ce livre?

— Les Livres de la loi.

— Moi, jurer sur ce livre payen! non.

— Aime-tu mieux jurer sur ton ame?

— Misérable!... mais allons, puisqu’il le faut, je jure sur Dieu et sur mon ame de te donner de sa chair.

— Et les cinq cents écus d’or.

— Et les cinq cents écus d’or.

— Je vais donc achever de préparer tout.

— A minuit, Juif.

— A minuit! les astres sont pour nous.

Raoul sorti, Mousque se hâta de serrer les deux cents moutons d’or qu’il avait reçus; et, les traits enluminés d’une joie digne du prince de l’abîme: J’aurai donc de sa chair!.. je me vengerai donc... ces chrétiens qu’ils sont lâches et faibles!.. Ah! continua-t-il, riant affreusement, il ne se doute guère, ce superbe Bourguignon, ce stupide Octonville, qu’ils ne vont être que les vils instrumens d’un Juif, d’un être qu’ils détestent, qu’ils haïssent, qu’ils méprisent, qu’ils appellent chien! qu’ils regardent comme un animal immonde!... et toi, infâme et perfide débauché, je vais donc t’atteindre! je ne t’aurai donc pas maudit sept fois le jour en vain! je montrerai donc de ta chair à cette Lia que tu as entraînée dans le crime, à cette Lia qui t’a préféré à moi! puis après je la jeterai aux chiens et aux pourceaux, cette chair immonde!... J’aurais dû demander son cœur... pourquoi n’ai-je pas demandé son cœur?... A cette heure peut-être il est près de Lia... Il ne se doute pas que sa mort approche, et que c’est un Juif, un misérable, moi, qui la prépare.... qui va.... la préparer.... Je le hais.... Il ne pourra que mourir après tout.... Ah! si je pouvais le torturer moi-même!!!..

Moïse Mousque vit alors devant lui son valet, le fidèle Josué.

— Ah! Josué, réjouis-toi; Lia, cette Lia, la honte de la tribu, elle va être punie, la main de Jehovah va s’appesantir sur elle; depuis long-temps elle est maudite.

— Je venais vous dire, maître, que Daniel est revenu, il a exécuté vos ordres.

— Bien, Josué, bien, réjouis-toi, les chrétiens vont bientôt encore s’entredéchirer.... Le Bourguignon est né pour leur être fatal!...

— Je lui ai dit, maître, de descendre dans le laboratoire.

— Tu as bien fait, Josué ; mais réjouis-toi, il va bientôt mourir celui-là que j’ai sept fois maudit, celui-là sur qui j’ai appelé la lèpre et les plaies, sur qui j’ai dit depuis long-temps raca, celui-là que nous aurions dû lapider comme Achan, et couper par morceaux comme la femme du lévite, il mourra, et de la main d’un chrétien!...

Mousque resta quelques instans encore, les yeux fixés sur les ongles retors de son ours, sur ses dents larges et blanches.

— Allons commencer nos préparatifs.... S’arrachant comme à regret à cette douce contemplation: Viens, Balaam, dit-il à l’ours.... Josué, n’oublie pas le Talmud, et surtout la poudre magique.

Ils sont sortis, suivis de l’ours qui gronde, des chats et des hiboux qui miaulent et crient.

Le meurtre de la vieille rue du Temple

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