Читать книгу Le meurtre de la vieille rue du Temple - Edouard Cassagnaux - Страница 8

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La Maison

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de l’Image Notre-Dame.

On y entendait des soupirs, des plaintes, des cris aigus, des pleurs; mille langages divers, les gémissemens de la douleur, les accens de la rage et du désespoir, des hurlemens horribles, des clameurs épouvantables, des sons sourds et con fus, un bruit continuel, une cacophonie bruyante et tumultueuse qui se prolongeait en retentissant.

DANTE.

LA maison de l’image Notre-Dame était située en face de l’hôtel de Rieux, dans la vieille rue du Temple, entre la rue des Rosiers et celle des Poulies; la porte de cette maison était surmontée d’une image de la Vierge, en plomb, placée dans une niche à couverture gothique qui s’avançait en saillie.

Dans une salle nue, sale et obscure, du premier étage, sont une vingtaine d’hommes à figures farouches: les uns jouant aux dez, d’autres assis autour d’une grosse table placée au milieu de la chambre, buvant à même de grandes outres pleines d’un vin qui semblait leur plaire; quelques-uns étaient restés gisans, ivres morts; plusieurs dormaient étendus sur un banc grossier qui régnait tout au tour de la muraille noircie par la fumée des torches. Une grosse chandelle de suif puant éclairait à peine cette espèce d’antre, et sa fumée se déroulait et s’échappait à travers le grillage de la croisée, encore assombrie par un auvent de toile que la bise agitait et faisait comme gémir. Des vivres sont entassés dans tous les coins, des armes de toutes les sortes sont pendues aux murailles, quelques-unes jettent des lueurs ternes et sinistres, d’autres projètent une ombre vacillante et bizarre, qui se mêle aux silhouettes allongées de ceux-là d’entre ces hommes qui jouent ou se promènent d’un air ennuyé. On n’entendait dans ce hideux repaire que des juremens et des blasphèmes, que des vociférations et des chansons obscènes, ou bien des récits affreux de guerre et de pillage, de meurtre et d’expéditions de grands chemins.

Cependant tout-à-coup le silence a régné : on a frappé trois coups à la porte de la rue.

— Va ouvrir, Guillaume, dit une voix.

Bientôt on entendit monter l’escalier, et la voix bien connue de Cordelant se fit ouïr. Il reprochait aigrement à Guillaume de l’avoir fait attendre. Mais à peine est-il entré avec ses deux compagnons, qu’un de ceux qui jouaient à croix ou pile se levé joyeusement, et s’avançant vers la Rescousse:

— Quoi! te voilà, mon brave, par saint Polycarpe, tu nous manquais!

— Jean de la Motte! corps de Dieu, la rencontre est heureuse!

— Les honnêtes gens se connaissent tous, fit observer l’écolier.

— Sois le bien-venu, la Rescousse, murmurent alors cinq ou six voix rauques.

— Oui, et vidons une outre à sa bienvenue, dit Guillaume.

— Non pas une, mais deux, s’écria Cordelant: compagnons, imitez-moi, et il avala un pot de la divine liqueur.

— Ces écoliers, comme ça boit, fit observer de la Motte, et il s’empara d’une outre qu’il ne quitta qu’après l’avoir aux trois quarts vidée. La Capette, qui déjà ne pouvait plus guère se soutenir, voulut imiter le Routier, il saisit l’outre d’une main peu assurée.

— Soutiens donc l’honneur de l’université, lui cria son camarade d’un voix tonnante... il le voyait faiblir: animal, bélitre...

La Capette, ranimé par ces paroles, fait un dernier effort, il vide l’outre.. mais ce fut son dernier exploit; il tomba, et roulant sous la table, s’endormit profondément.

— Vous aurez soin, braves amis, de veiller sur ce drôle, dit Cordelant, surtout qu’il ne puisse pas sortir avant...

— Avant quoi, demanda Guillaume de Courteheuse?

— Je m’entends, cela suffit.

— Ah ça, continua Guillaume, puisque nous en sommes sur ce chapitre, parlons un peu d’affaires, Jean, crois-tu donc que nous avons envie de rester long-temps enfermés dans ce trou? pour moi je commence furieusement fort à me lasser de cette vie de moine; nous sommes habitués à vivre en plein air.

— Aussi y mourrez-vous.

— Qu’est-ce que le sire d’Octonville veut de nous? par la mort de Dieu! qu’il se dépêche, qu’il parle.

— Est-ce qu’il n’a pas parlé, imbécille? patience, encore un peu de patience, te dis je, et les écus au soleil pleuvront sur vous comme la grêle en hiver et la pluie en été ; d’ailleurs vous avez du vin, et l’on vous promet de l’or, que vous manque-t-il? vive Dieu!

— Des femmes, grogna un routier, des femmes, par la hart qui doit un jour me serrer le cou; j’ai perdu jusqu’à mon dernier parisis avec ce lépreux que l’enfer confonde.

— Pas de blasphème, s’écria Courteheuse, pas de blasphème; ne peux-tu parler en chrétien?

— Oui, oui, des femmes, dirent en chœur les routiers, des femmes et du vin.

— Silence donc, vous m’empêchez de jouer, leur cria Jean de la Motte.

— Va au diable, lui répondit-on, des femmes, oui des femmes!

— Une idée, par le grand Aristotelès, une idée lumineuse; eh! qu’est-ce qui nous empêche, compagnons, de faire venir, n’importe comment, deux ou trois ribaudes, pourvu qu’en suite nous les gardions toutefois, nous les empêchions de sortir, de retourner à leurs clapiers: qu’en dites-vous?

— Il a raison, l’écolier, il a raison, des femmes!

Malgré tout ce que put dire Guillaume, qui prétendait que c’était profaner l’image Notre-Dame, des femmes furent amenées, et une orgie épouvantable commença; les uns juraient, les autres chantaient, tous buvaient; c’était un bruit, des cris, des hurlemens; en vain Courteheuse assurait-il que les voisins pourraient prendre l’éveil, que le prévôt pourrait être averti:

— Le prévôt! s’écria Cordelant, le prévôt, je me moque du prévôt, moi, je suis écolier de l’université ; je veux rire, je veux chanter, qu’est-ce qui m’en empêcherait? le prévôt! qu’il vienne donc dans la rue du Fouarre, lui et ses argoulets, qu’ils viennent! et on leur brisera les côtes; ah! bien oui, le prévôt... d’ailleurs la maison est à moi, et j’y puis faire ce que je veux; le prévôt! nous sommes sous la protection immédiate du duc de Bourgogne, mes braves... est-ce clair cela? donc que pouvons-nous craindre?... Allons, à Monseigneur de Bourgogne, vieux sanglier!

— Oui, répondit la Rescousse, à Monseigneur de Bourgogne! Sang de Dieu, celui-là qui refuse de boire, je lui brise les dents avec la monture de ma lame.

— Vive le duc de Bourgogne! dirent les routiers tout d’une voix, et les outres circulaient, et les dez retentissaient sur les bancs et la table. Tout-a-coup Jean de la Motte furieux s’est écrié :

— Tu as un sort, sur mon ame, et c’est de la magie.

— Tu mens, répond l’autre en fureur, et saisissant un pot, il le brise sur la figure de de la Motte.

— Par l’ame de mon père, tu mourras, dit celui-ci, et frémissant de rage, il a plongé son poignard dans le cœur de son adversaire. Au même instant les amis du mort se lèvent, exclamant de furie; ils saisissent les premières armes qui leur tombent sous la main, et s’élancent sur le meurtrier; d’autres, et la Rescousse à leur tête, se précipitent à leur rencontre; les sabres se croisent, les masses d’armes se choquent, le tumulte va devenir sanglant... Les femmes poussaient des sanglots qui, se mêlant au choc des armes, aux vociférations et aux blasphèmes, formaient une harmonie digne d’un pandémonium; mais Guillaume avait conservé son sang froid, et jeté au milieu de la mêlée, il s’efforçait de rétablir la paix, aidé de l’écolier qui, sentant par un reste d’instinct qu’il fallait, n’importe comment, appaiser ce tumulte, pérorait au nom de Raoul d’Octonville et du duc de Bourgogne. L’ivresse vint à leur secours; comme la plupart des combattans pouvaient à peine se maintenir debout, ils parvinrent enfin à les séparer. Des horions seuls avaient été échangés; par ainsi ceux qui le purent se remirent à l’orgie, et les autres s’endormirent comme des porcs surchargés de nourriture. Fallait-il donc nous égorger pour un corps mort, fit judicieusement observer Cordelant, en poussant le cadavre du pied? Cette réflexion parut si profonde, qu’après avoir jeté le corps sur l’escalier, on se remit à boire et à chanter.... et la nuit se passa.


Le meurtre de la vieille rue du Temple

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