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La Rencontre.

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Nous pouvons aller renouveler connaissance au cabaret?

— De tout mon cœur, je ne refuse jamais des parties d’honneur.

RÉGNARD.

DANS la grande salle de l’hôtel d’Artois, un homme se promenait pensif. Sa haute taille, ses traits plus sombres encore que pâles, lui donnaient quelque chose de remarquable et de peu commun, il est vrai, mais qui faisait mal.

— Je me vengerai, se disait-il, oui; n’importe, j’y sacrifierai ma vie s’il le faut, au moins aurai-je le plaisir de lui plonger ma dague dans le cœur.... C’était bien à lui, vraiment qu’il appartenait de me..... oui, il m’a chassé..... chassé de l’hôtel du Roi!.... Lui, m’accuser de malversations! lui, qui dévore chaque jour la substance du peuple; lui, qui pille à loisir le trésor; lui, l’amant de la grande Gaupe, de la femme de son frère! de cette Allemande capable de ruiner dix royaumes par son luxe et son goût effréné des plaisirs!.... Mais, patience.... Ah! si Moïse Mousque me seconde! et il me secondera... je ne connais pas d’animal plus vindicatif; si pourtant... il se prit à sourire.... Comme on les mène tous ces prétendus hommes puissans!.... Le diable excepté... oui, je ne connais que deux hommes, deux hommes selon mon cœur, le Juif et Jean-Sans-Peur Sans-Peur.... ce surnom lui va mal, car il tremble cependant, et qui le fait trembler? un faible débauché, un moine, le duc d’Orléans!.. eh! mais, il est aimable, et la duchesse... ce pauvre duc de Bourgogne!... Je me vengerai!

Jean Cordelant, l’écolier de l’université, vint interrompre l’espèce de monologue du sire d’Octonville.

— C’est toi, eh bien?

— Ils n’y sont que depuis hier, et déjà ils s’impatientent et jurent.... C’est pour quel jour?

— Je ne sais, rien n’est encore arrêté.

— Mais cependant....

— Je te donnerai des ordres quand il le faudra; que vous manque-t-il? vous avez du vin, des dez et de l’or.... tais-toi donc, et recommande-leur surtout de prendre garde de se montrer aux fenêtres, car j’ai une excellente hache d’armes.

— Est-ce que c’est abandonné ?

Raoul ne répondit pas....

— Corps-de-Dieu! je vous engage à vous hâter, autrement les oiseaux pourront bien s’envoler, et moi-même j’avoue que j’aimerais à entrer en danse. Foi d’écolier de l’université, je n’aime pas le repos.

— Va-t-en, et porte ma hache d’armes chez l’armurier, afin qu’on la repasse....

— Bon cela! donc à bientôt la fête, et au diable la réconciliation!...

D’ailleurs Jean Cordelant n’était point fâché d’aller au marché aux pourceaux, près la porte Saint-Honoré ; un faux monnoyeur y devait être boullu, c’est-à-dire plongé dans une cuve d’eau bouillante, et l’écolier aimait cela autant que l’immense populace qui encombrait le marché, et que des sergens frappaient alors de leurs longs bâtons, appelés boulaies, pour avoir de la place, et faire en sorte que les bourreaux pussent vaquer à leur office. Cordelant aurait bien voulu y mener Amelotte, la petite chapelière de la rue des Rosiers; il y comptait presque, mais le père Lavelle, homme brusque, passablement brutal, et qui n’aimait pas l’université, avait souffleté la jeune fille et chassé l’écolier, jurant, maugréant à faire tomber les murailles, et criant le refrain obligé : la violation des privilèges. Il aurait peut-être fait un mauvais parti au père d’Amelotte, si Henri Prieur, valet de l’hôtel de Rieux, n’était venu avec plusieurs de ses camarades au secours du chapelier. Cordelant rengaina donc, et, jurant de plus belle, prit la route du marché anx pourceaux.

.... Quelle était bigarrée cette foule qui s’écoulait satisfaite! Que de bourgeois il y avait, que de villageois, que de femmes! des moines aussi dont les vêtemens de couleurs diverses tranchaient et faisaient bien sur la masse sombre du peuple! Là, des bourgeois vêtus d’une sorte de robe longue et de grands bonnets de feutre; plus loin, des hommes d’armes couverts du jacque de guerre et du petit chapeau de fer.... et ces deux ou trois femmes, avec leur haute coiffe en pain de sucre, d’où tombe un voile qui ne pend que jusqu’aux épaules; et ces robes mi-parties de rouge et de blanc; et ces chapeaux fourrés à queue pendante! Ici des mendians couverts de haillons, la besace sur l’épaule, le barillet sur la poitrine, le chapelet à la main; là des Juifs, mais déguisés, à cause des ordonnances qui les proscrivent. Cette femme à la ceinture dorée et au bonnet pointu, où sont attachés les armes du roi des ribauds, c’est une fille, folle de son corps, qui se rend à son clapier, car l’heure ordonnée par les statuts s’avance, et elle ne peut tarder: cet autre? c’est un sorcier de magie blanche, on le reconnaît à son chapeau pointu, à son vêtement noir à bandes bleues et à son petit bâton courbe.... Ah! le supplice est certainement fini, car voilà le procureur du roi au Châtelet et le lieutenant-criminel, qui vont au cabaret dîner ensemble.

— Quelle drôle de grimace il faisait, disait Jean Cordelant à son inséparable ami la Capette, inséparable d’autant plus qu’il savait des angelots dans la pochette de son déterminé compagnon, qui louait des maisons, et hantaient depuis quelque temps les meilleurs tavernes et clapiers.

L’écolier de Montaigu ne répondit que par un gros rire.

Cordelant, qui était en verve, allait continuer ses dires plaisans; mais la venue d’un personnage, qui lui frappa vigoureusement sur l’épaule, l’en vint empêcher.

— La Rescousse! s’écria-t-il alors tout joyeux, tu viens on ne peut plus à propos, mon brave écorcheur!...

La Rescousse, ancien tard-venu, étaitun drôle de six pieds, fortement découplé, aux cheveux blanchissans et à la main aguerrie; il portait encore un chaperon de fer rouillé, et une épée de même métal pendait à sa ceinture; mais son jacque qui tombait en lambeau, et le reste de son accoutrement, annonçaient que depuis long-temps un écu d’or n’avait dansé dans son escarcelle.

— Par mon saint reliquaire, dit-il, en touchant la croix du chapelet qu’il avait au cou, je suis aise de te rencontrer, Jean!

— Sans doute, car te voilà à moitié certain, vieux pécheur, de dîner aujourd’hui dans une bonne taverne; mais il paraît que tu n’es guère plus avancé que lors de notre dernière rencontre au clapier de la rue Tire-Boudin, mon digne bâtard; c’est un mauvais temps que le nôtre pour les hommes d’armes?

— Je t’en réponds, mon fils, et cette maudite réconciliation, dont le diable, je crois, est l’auteur, va nous mettre tout-à-fait à la besace, corps de Dieu!

— Où est le temps, heim, où vous voliez sur les routes?

— Ah! c’était un bon temps, celui-là.

— De l’argent et des femmes, du vin et des dez.

— Et de bons coups de lances et de sabres.

— Sur les ribauds, et voire même sur les moines.

— Oh! non je n’ai pas cela à me reprocher, Cordelant, j’ai toujours respecté la tonsure.

— Et les nonnes, n’est-ce pas? Il est bon, le tard-venu!

— Par ma sainte relique, que l’enfer m’engloutisse si je n’ai pas toujours été bon chrétien!

— Oui, car ça n’empêche pas de rôtir des enfans et de manger de la chair humaine.

— Pas plus que de violer, et de brûler les villages, ajouta la Capette, bien-aise de placer quelques paroles.

— Par ma lame! je m’en suis confessé et en ai reçu l’absolution, et je dis encore que c’était un bon temps, mes beaux clercs, et celui-là qui dira que non, je suis en mesure de lui ouvrir le ventre avec ma Fidèle.

— Allons donc, vieux routier, tu n’es pas sur une route, et tu oublies que tu parles à des écoliers de l’université !.... mais, n’importe, viens dîner à la taverne, et ensuite je te montrerai la maison que j’ai louée.

— Toi, louer une maison, dit la Rescousse étonne?

— Oui, mon brave, pour un an, j’ai loué la maison de Robert Fouquier, sergent d’armes, et maître des œuvres de charpenterie du roi.... et, qui plus est, j’ai trouvé le moyen de gagner de beaux écus d’or tout en buvant et m’ébaudissant dans les tavernes.

— Corps de Dieu, le beau secret! aurais-tu donc découvert le grand œuvre, mon petit Cordelant?

— J’aurais plutôt fait un pacte avec Satan. Je te dirai tout cela après le dîner, dans ma maison.

— Mais, interrompit la Capette, par le diable! quand donc me la montreras-tu ta maison? Tu n’as pas encore voulu m’y mener, moi, pourquoi donc?

— Parce que je trouve que tu as la langue un peu longue, et parce que je n’ai pas envie de te fourrer ma dague dans le gosier pour t’empêcher de dire... mais, au surplus, tu seras bientôt satisfait, je t’y mènerai aujourd’hui aussi, seulement je te préviens que tu pourras trouver le temps que tu y passeras un peu long. Mais allons tâter d’un potage au chenevis.... ça nous remettra d’autant plus, que le tavernier a d’excellent vin de Bourgogne, de Bourgogne entends-tu, la Rescousse?.. je ne bois que de celui-là moi.... du vin de Bourgogne!

Ils entrèrent dans une hôtellerie renommée.

On les conduisit dans une salle boisée qui était ornée, en outre, d’un crucifiement, où l’on voyait un bon larron dont l’ame était reçue par un ange, ressemblant comme deux gouttes d’eau à un diable, tant on l’avait fait enluminé, et un mauvais larron dont l’ame était vertement fouettée par un composé de griffes, de cornes et de queues horribles, puis du rouge et du noir, c’était probablement Satan. On voyait encore dans l’appartement les douze mois de l’année poétiquement représentés, l’un faisant la moisson, l’autre taillant la vigne; celui-ci égorgeant un cochon, celui-là s’asseyant devant une bonne table. Au plafond étaient suspendus des rameaux desséchés, et de la paille fraîche jonchait le sol.

Les trois dignes amis s’assirent sur des escabelles de bois de chêne bien luisant, et, après s’être consultés, ils demandèrent un potage au chenevis.

— Oui, dit la Rescousse, va pour un potage au chenevis; c’est un jour maigre, sans cela j’aurais préféré le potage aux tripes ou à la chair pilée.

— Le potage au chenevis, répondit Cordelant, est préférable, car c’est celui des chanoines.... Notre hôte, c’est du vin de Bourgogne qu’il nous faut.

On apporta du vin de Bourgogne, et l’on servit des noix, des pistaches et des nèfles, et le potage au chenevis dans de belles écuelles d’étain poli; puis des œufs rôtis à la broche, une arbalète et un pâté de poisson, un civet d’huîtres, un brochet à l’eau bénite; puis encore une tarte aux herbes et une tarte au riz, un plat de crème aux grains de fenouil et des fruits confits au pîment; enfin des pâtes au sucre et des pâtes confites, représentant les choses les plus obscènes; des confitures et des oublies.

— Tu nous traites comme des princes, mon brave Cordelant, s’écriait à chaque plat la Rescousse en avalant une coupe de vin.... il est impossible que ce ne soit pas le diable qui paie, ajoutait-il en posant avec bruit sa vaste coupe d’étain sur la table retentissante.

— Qu’importe, buvons et mangeons, balbutiait la Capette déjà plus d’à moitié ivre....

— A la santé du duc de Bourgogne! dit Cordelant.

— Tope, mon fils, c’est un brave, bonne lance, par ma foi!

— Oui, et qui vaut mieux que l’amant de la grosse Allemande.

— Ah! celui-là c’est plutôt un moine qu’un guerrier, témoin sa belle expédition de Guyenne.

— Par la châsse de saint Martin, tu dis vrai, la Rescousse, c’est un moine!

— Le vin cuit, ajouta Jean Cordelant transporté, le vin cuit!... Je suis charmé, mon digne écorcheur, mon digne mangeur d’enfant rôti, que tu penses comme cela; j’aime ce dire, et comme je connais ta lame nous serons bientôt d’accord.... ouvre ton escarcelle, les angelots y vont pleuvoir. Vive Dieu! encore un coup, et partons pour l’image Notre-Dame.... à Jean-sans-Peur, mes dignes amis! Partons.


Le meurtre de la vieille rue du Temple

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