Читать книгу Le charlatan - Elie Berthet - Страница 5

Оглавление

III
Le baccarat

Table des matières

Belcourt fut absent une heure environ; quand il rentra, le père Jolivet s’était endormi, la main posée sur sa pipe éteinte. Le démon du jeu semblait s’être emparé de tous les assistants; Aubertin et Deluzy eux-mêmes, absorbés par l’importance de la partie, n’eurent pas l’air de remarquer l’arrivée de Belcourt, qui pourtant annonça sa présence, en disant avec une apparente gaieté

–On ne m’accusera plus de faire «Charlemagne! «

Malgré cette aisance, on eût pu constater qu’un changement s’était opéré chez le jeune docteur. Il y avait dans ses gestes quelque chose de saccadé, de fiévreux. Un sourire étrange effleurait ses lèvres, un léger tremblement agitait son corps. Il avait gardé son pardessus, bien que la chaleur fut extrême dans le salon, et, s’asseyant à table, il étala de l’or devant lui.

Il se mit à jouer, avec des alternatives de perte et de gain comme précédemment. Il semblait pourtant que la veine lui fût moins favorable, car son or avait diminué d’une manière notable, lorsque Jolivet s’éveilla.

–Ah! vous voici, Belcourt? demanda le tanneur en bourrant sa pipe; et votre malade?

–Il est mieux! répliqua distraitement le médecin.

Et il abattit sept, tandis que l’adversaire n’avait que cinq; une nouvelle pièce d’or vint grossir sa réserve.

–Il me semble, Belcourt, que vous jouez gros jeu? dit Jolivet en recommençant ses peuh! peuh! habituels.

–Eh! monsieur, répliqua très haut le docteur, je ne suis pas libre d’agir autrement!… Je ne joue que sur mes bénéfices, et ces messieurs me reprocheraient trop de prudence.

–C’est juste; vous voulez perdre!… C’est très comme il faut cela!

Puis, le bonhomme, tout somnolent, s’enveloppa d’un nuage de fumée.

Le tour vint pour Belcourt de prendre la banque. Il saitit le gros paquet de cartes qu’on lui présentait et les battit avec prestesse.

–Messieurs, dit-il d’une voix qui n’avait pas toute sa sonorité, je fais dix louis!

Les dix louis furent tenus; le docteur ne tarda pas à montrer neuf et gagna.

–Vingt louis! s’écria-t-il avec une vivacité fiévreuse.

Il gagna encore.

–Quarante louis!

Il gagna toujours.

–Décidément, docteur, reprit Jolivet, qui oublia un moment sa pipe, vous jouez trop gros jeu!

–Puisque je veux perdre! répéta Belcourt avec une sorte d’ironie.

Le docteur passa six fois de suite, en doublant à chaque fois son enjeu. Il semblait de plus en plus nerveux, la sueur lui découlait du front. Sa main restait pourtant ferme et agile, les cartes continuaient de glisser rapidement entre ses doigts.

–C’est une veine. extraordinaire! disait Aubertin.

–Oui, oui. fort extraordinaire! gronda le maître de forge.

–Messieurs, reprit Belcourt sans paraitre avoir entendu, il y a cinq mille francs à la banque. Je fais mon tout!

On ne répondit pas; cette série opiniâtre décourageait les plus ardents. Comme l’on persistait à se taire, Aubertin s’écria:

–Moi, je tiens tout.

Et il tira de son portefeuille cinq billets de mille francs, qu’il posa sur la table.

Belcourt se redressa devant cet unique adversaire. Leurs regards se croisèrent comme des épées nues. Aubertin dit avec son ironie habituelle:

–Je crois que vous avez à cœur de compléter dix mille francs, monsieur; je suis bon diable, puisque je m’y prête.

–Fort bien! répliqua Belcourt, les dents serrées.

Il se fit un grand silence. Quoique l’on jouât souvent gros jeu au cercle du Commerce et des Arts, le coup avait trop d’importance pour ne pas exciter le plus vif intérêt. Tous les yeux étaient fixés sur les deux joueurs; toutes les poitrines étaient haletantes. Jolivet s’était approché de nouveau, et, l’air effaré, regardait par-dessus la tête d’un des assistants.

Belcourt battit les cartes avec sa dextérité accoutumée. Néanmoins, son malaise augmentait, le tremblement de ses doigts était visible.

Tous ces regards qui suivaient ses moindres mouvements paraissaient lui peser d’une manière cruelle.

Aubertin, après avoir soulevé son jeu, annonça .qu’il «s’y tenait»; ses voisins purept voir qu’il avait six.

Belcourt, à son tour, abattit son jeu; lui aussi avait six; mais, ignorant le point de son adversaire, il n’osait se contenter d’un nombre si modeste et semblait se demander s’il prendrait des cartes. Tout à coup, il fit un mouvement saccadé et une carte tomba de sa main.

C’était un trois; il avait neuf. Il avait gagné.

–Vous êtes un voleur! s’écria Aubertin d’une voix tonnante, en se précipitant par-dessus la table sur les deux mains de son adversaire; messieurs, aidez-moi. Nous le prenons en flagrant délit de fraude. c’est un grec!

Les assistants demeuraient stupéfaits; mais Deluzy, répondant à l’appel du banquier, s’élança sur Belcourt, afin de paralyser ses mouvements.

–Le docteur se débattait avec mollesse. Il était d’une pâleur cadavéreuse.

–Messieurs, balbutia-t-il, vous vous trompez. Laissez-moi vous dire Je vous affirme.

–Vos protestations ne serviront à rien, dit Aubertin avec force pendant que Deluzy maintenait Belcourt; l’évidence parle. Voyez, messieurs, poursuivit-il; des cartes neuves se trouvent mêlées à notre jeu, et toutes sont des trois et des six. Mais parbleu! douterez-vous encore?

Il entr’ouvrit le pardessus de Belcourt, et il s’en échappa un paquet de cartes, auquel le joueur avait pu puiser furtivement au besoin; ce n’étaient toujours que des six et des trois.

La démonstration était nette, et la veine obstinée du docteur s’expliquait. Des cris d’indignation s’élevèrent, On avait lâché Belcourt, mais la colère et le mépris se manifestaient de toutes parts. Le malheureux essayait encore de se défendre.

–Messieurs, balbutiait-il, les apparences m’accusent; cependant permettez-moi.

–Assez, interrompit Aubertin; nous savons maintenant ce que vous avez fait, sous prétexte d’aller visiter un malade!… Messieurs, ajouta-t-il en se tournant vers l’assistance, quel parti prendrons-nous? Faut-il envoyer chercher le commissaire de police pour constater le crime?

–Non, s’écria Deluzy dont les yeux brillaient de joie; ce serait un déshonneur pour le cercle. Contentons-nous d’expulser ignominieusement cet intrus. cet escroc!

–Oui, oui, à la porte! s’écrièrent les autres joueurs.

–Est-ce là votre avis?… En ce cas, Taboureau, commanda Deluzy au garçon du cercle, prenez cet homme par les épaules et jetez-le dehors.

Taboureau, un petit vieux, s’approcha avec une lenteur prudente, mais en donnant à sa figure l’expression la plus terrible. Belcourt, si abattu jusque-là, se redressa énergiquement.

–Je vais sortir, s’écria-t-il; mais, de par tous les diables! que personne ne me touche ou je lui brise les os.

Il était robuste, son attitude témoignait d’une grande détermination. Taboureau se le tint pour dit et n’avança pas davantage, se bornant à exprimer par une pantomime convenable son respect pour l’ordre donné.

Belcourt prit son chapeau et fit quelques pas en chancelant.

–Messieurs, dit-il d’une voix sombre, on m’a condamné sans m’entendre et je cède à la violence. Toutefois, si l’un de vous osait prendre personnellement la responsabilité de l’indigne traitement que je subis, je lui demanderais raison.

–On ne se bat pas avec un grec, répliqua Aubertin; partez, monsieur, et ne remettez jamais le pied ici, sinon ce ne sera plus par la porte que vous sortirez!

–Et si vous restez à Orléan dit un vieux médecin, tâchez de ne m’appeler jamais en consultation, ainsi qu’aucun de mes honorables confrères, car je vous ferai connaître pour ce que vous êtes!

–Et ne vous présentez jamais, ajouta un fonctionnaire public, dans les maisons que je fréquente, ou bien je raconterai pourquoi vous avez été chassé du cercle.

En présence de cette réprobation universelle, Belcourt baissait la tête; de grosses larmes roulaient sur ses joues. Tout à coup son regard rencontra l’ancien tanneur qui, pâle et muet, demeurait comme frappé de la foudre.

–Ah! monsieur Jolivet, dit-il avec un accent déchirant, vous du moins, vous êtes un homme indulgent et bon; je vous expliquerai par suite de quelles circonstances fatales.

–Paix! monsieur, répliqua Jolivet dont la figure commune prit une expression imposante; je n’ai pas besoin de vos explications. Je ne vous connais plus, j’ai honte de vous avoir connu, et je remercie Dieu que vous vous soyez montré à moi tel que vous êtes, pendant qu’il n’était pas encore trop tard!

–Je vous en conjure, permettez-moi de vous voir chez vous demain. Je vous raconterai, ainsi qu’à Mlle Victoire.

–Misérable! ne prononcez pas le nom de ma fille! Tout est fini entre nous. Partez, et ne reparaissez jamais devant moi.

Belcourt voulut lui adresser de nouvelles instances, mais on marcha sur lui pour le pousser dehors. Il leva les deux bras vers le ciel en signe de désespoir et sortit précipitamment.

Une vive agitation suivit son départ. On discutait, on s’indignait, on prenait des résolutions violentes.

Le banquier Aubertin s’approcha de Deluzy:

–Tout marche à souhait pour vous, lui dit-il en désignant le vieux tanneur qui venait de tomber anéanti sur un canapé.

Le docteur ne rentra pas chez lui de la nuit, et on supposa qu’il avait attenté à ses jours, «ce qu’il avait de mieux à faire,» disait-on.

Le charlatan

Подняться наверх