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I
L’INVISIBLE

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Table des matières

Peu d’années avant la désastreuse invasion qui laisse de si lugubres souvenirs à la France, quelques communes du Morvan étaient désolées par des incendies qui tenaient les populations en alarme.

Parmi ces populations, celle de Vauvray, petite ville située à trois ou quatre lieues de Clamecy, vivait particulièrement dans une anxiété continuelle. Vauvray, que nous appelons «petite ville», uniquement pour lui faire plaisir, n’est en réalité qu’un gros bourg de mille à douze cents âmes; or, trois incendies y avaient éclaté en moins d’un mois, sans compter ceux qu’on avait constatés sur son territoire, et on comprendra que les craintes de ses habitants étaient suffisamment fondées.

Au plus fort de cette espèce de terreur locale, par une tiède soirée d’août qui succédait à une journée brûlante, un jeune homme, ayant l’apparence d’un ouvrier aisé, sortait de la ville avec l’intention évidente de faire une promenade. Il était grand, bien découplé et semblait avoir une de ces heureuses constitutions où la vigueur s’unit à la grâce. Sa figure brune, régulière, encadrée dans un léger collier de barbe, exprimait l’intelligence et l’aménité, et, quoique ses yeux bleus fussent parfois mélancoliques, sa bouche, bien dessinée, semblait toujours prête à sourire.

Nous avons dit qu’il avait l’apparence d’un ouvrier, mais en ce sens seulement qu’il était simplement vêtu. Il portait un pantalon et une jaquette de drap, une chemise de couleur, un chapeau en paille grossière, le tout d’une exquise propreté; et ce modeste costume empruntait à sa personne une distinction que lui eussent enviée bien des élégants citadins.

Ce jeune homme paraissait très-populaire et très-aimé à Vauvray. Les habitants réunis devant les portes, soit pour souper sur le pouce, soit pour prendre le frais en babillant, l’interpellaient d’une façon à la fois amicale et respectueuse.

–C’est M. Noël, le mécanicien! disait-on; bonsoir monsieur Noël. Une chaude journée tout de même et un temps qui mûrit la vendange!... Eh! bien, croyez-vous que nous allons être tranquilles à la fin et que les brûleurs de maisons s’arrêteront là?

Noël répondait à ces braves gens avec douceur et politesse.

–Que chacun veille chez soi et autour de soi, disait-il; comptons les uns sur les autres, mais comptons de préférence sur nous-mêmes.

Il saluait de la main et passait, sans s’apercevoir que les plus belles filles lui lançaient des œillades et que les mères n’auraient pas été fâchées de le retenir pour causer un brin à cette heure de repos.

Bientôt Noël se trouva hors de la ville. Dès qu’il ne se sentit plus observé, un changement complet s’opéra dans sa personne. Au lieu de cette expression gaie qu’il avait tout à l’heure, ses traits prirent un caractère mélancolique et son pas se ralentit.

Le soleil venait de se coucher derrière de grands nuages de chaleur; sauf quelques bruits de. voix qui s’entendaient encore çà et là dans les vignes, rien ne troublait le calme de la campagne. Le promeneur suivait une route montueuse et solitaire. Arrivé à un embranchement où cette route était coupée par un chemin latéral qui paraissait contourner la ville, il s’arrêta et regarda en avant. Quelque chose s’agitait sous un bouquet d’arbres et un homme, coiffé d’un chapeau numéroté, portant, avec les outils de sa profession, le petit guidon des cantonniers départementaux, se dirigea vers lui.

–Est-ce vous, Grivett? demanda Noël dès qu’il fut à portée; je craignais que vous eussiez déjà quitté votre poste.

–Non, non, monsieur Noël; je ne pars pas ainsi avant l’heure réglementaire. Je suis fonctionnaire public, et, si un inspecteur m’épiait. D’ailleurs, je comptais bien que vous viendriez ce soir.

Ce titre de «fonctionnaire public» que s’attribuait le cantonnier, appela un imperceptible sourire sur les lèvres de Noël.

–J’ai été moi-même retenu assez tard à mon atelier, dit-il en donnant une poignée de main à Grivet. Eh bien, y a-t-il du nouveau?

–Rien. Les gens du pays vont et viennent dans leurs champs comme à l’ordinaire.

–Quoi! n’a-t-il passé, pendant la journée, ni vagabonds ni mendiants inconnus?

–Je n’ai pas quitté la route d’un instant et je n’ai vu personne de suspect.

–Merci, Grivet. Demain vous continuerez d’ouvrir l’œil, n’est-ce pas? Il importe que les honnêtes gens se démènent quand les coquins sont en campagne. Nous finirons bien par tomber sur la bonne piste. En attendant, je vais voir si Jean Reboux, le preneur de taupes, n’aurait pas fait quelque découverte.

–Et où est-il ce pauvre Jean, monsieur Noël?

–Là-bas, dans la vigne de la mère Ringaud, de l’autre côté de la ville. Il n’est pas tard et je le trouverai sans doute encore à sa besogne.

–Quel mal vous avez, monsieur Noël! Depuis quelque temps vous me paraissez tout triste et tout changé.

–Moi, triste! et pourquoi le serais-je? demanda vivement Noël; à la vérité, ces incendies me préoccupent beaucoup; mais n’est-ce pas naturel? Je suis à peu près le chef des pompiers de Vauvray, car M. Duval, l’architecte, qui a le titre de notre lieutenant, est toujours en voyage, et c’est moi seul qui dirige les travaux.

–N’y a-t-il que cela? Il me semble. Enfin, vos secrets sont à vous.

–Vous rêvez, mon bon Grivet, répliqua Noël brusquement. Mais adieu, adieu. Jean serait parti et il faut que je lui parle.

Il serra de nouveau la main de Grivet, et cette fois un peu plus fortement peut-être que d’habitude; puis il s’éloigna, pendant que l’autre le suivait des yeux en hochant la tête.

Noël, de son côté, avait été fort ému de la perspicacité du cantonnier, et, tout en s’engageant dans le chemin qui, comme nous l’avons dit, semblait tourner autour de la ville, il se disait naïvement à lui-même:

–Mon Dieuu! est-ce que cela se voit sur ma figure?

Au moyen âge, Vauvray avait une enceinte de hautes murailles, ce dont les habitants actuels ne se montrent pas peu fiers. Ces murailles n’existent phis depuis de longues années; néanmoins, on distingue encore çà et là quelques massifs de vieille maçonnerie, quelques pans de mur écrétés, servant de clôture aux héritages, et les antiquaires locaux croient y voir les anciennes fortifications de la ville.

Le chemin qu’avait pris Noël s’enfonçait en serpentant au milieu de ces pierres moussues, de ces décombres, hérissés d’orties et de broussailles. Aucune habitation n’avait son entrée principale dans cette voie creuse, irrégulière, inaccessible aux chariots; seulement, par intervalles, on apercevait de petites portes basses, qui devaient être des portes de jardins. Le lieu était désert, et quelques arbres, venus sans culture, y répandaient, à cette heure du soir, une demi-obscurité.

Là cependant quelque chose excitait l’intérêt de Noël, car il s’arrêta devant un mur, plus long et mieux entretenu que les autres.

–C’est le mur de son jardin, murmura-t-il; peut-être est-elle de l’autre côté, à quelques pas de moi!

Et il ne bougeait pas.

Tout à coup il crut entendre marcher rapidement devant lui; mais en vain essaya-t-il de reconnaître la personne qui semblait s’enfuir, il n’entrevit qu’une forme légère, se glissant le long des vieux murs.

La première idée de Noël, idée d’amoureux, avait été que quelqu’un l’observait pour pénétrer les secrets de son cœur; mais aussitôt son esprit, vivement surexcité par les incendies qui désolaient la ville et les alentours, lui suggéra une autre explication.

–Ne serait-ce pas elle qui est menacée cette fois? murmura-t-il; je veux connaître ce rôdeur.

Et il se mit à courir en appelant à voix haute.

Il ne reçut aucune réponse et on continua de fuir; mais il était aussi leste que vigoureux et ne se décourageait pas. Malheureusement, le chemin obscur et inégal, comme nous l’avons dit, formait des zigzags continuels, si bien que Noël, quoiqu’il ne fût guère à plus de vingt pas du fuyard, ne pouvait distinguer ni son visage, ni sa taille, ni même le moindre détail de son costume.

Un moment vint pourtant où il semblait que l’inconnu ne pouvait échapper, sinon à la poursuite, du moins aux regards. Non loin de là les arbres cessaient, le chemin débouchait en pleine lumière. Noël ne détournait pas les yeux de cette percée lumineuse devant laquelle il s’attendait à voir apparaître quelqu’un; mais personne ne se montra.

On avait donc pris une autre direction et Noël, en avançant toujours, atteignit une impasse au fond de laquelle existait une porte de ce jardin qui avait attiré son attention. C’était seulement dans cette espèce de cul-de-sac qu’on avait pu se réfugier, et il n’y avait encore personne.

Le fait paraissait tenir du prodige et le jeune ouvrier demeura frappé de stupeur. Toutefois, il n’était pas homme à rester longtemps inactif, sous le coup de l’étonnement.

–Tonnerre! dit-il, ce gaillard-là ne saurait s’être envolé! Je veux en avoir le cœur net.

Il avisa un mur de six à sept pieds de hauteur, dont la cime présentait, en divers endroits, des traces d’escalade.

–C’est par là qu’il a sauté, dit-il.

Avec une force et une agilité qui prouvaient une longue pratique de la gymnastique, il s’élança à la crête du mur et la saisit de l’extrémité de ses doigts; puis, raidissant ses bras, il s’éleva avec aisance jusqu’au sommet où il se mit en observation.

Il dominait maintenant un magnifique jardin de forme carrée, et qui, sur trois côtés, était bordé par d’épaisses charmilles. Au fond, sur le quatrième côté, on apercevait une belle habitation dont la façade était tournée vers la ville. Mais en vain Noël scruta-t-il les allées symétriques et soigneusement sablées; comme dans le chemin, comme dans l’impasse, on ne voyait personne.

Il contempla avec satisfaction ce riant enclos, qui avait pour lui un charme spécial; toutefois sa contemplation ne fut pas de longue durée.

–Ah çà, que diable est devenu ce particulier? murmura-t-il. Il est vrai que sous ces charmilles. Bah! il s’agit, sans doute de quelque polisson qui vient voler les poires des dames Duhamel. Mais que fais-je là, moi? On n’aurait qu’à me voir!

A peine achevait-il cette réflexion qu’il retombait sur ses pieds dans l’impasse.

–Oui, oui, ce ne peut être qu’un enfant maraudeur, reprit-il; néanmoins, en cas de malheur pour la maison Duhamel, je me souviendrai de ce qui vient de m’arriver ici.

Et il se remit en marche.

L'incendiaire

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