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VII
LES RUINES
ОглавлениеLe lendemain, dans la matinée, Noël, en costume de travail, s’achemina seul vers les ruines de la Grande Maison. L’incendie était éteint; pompiers et soldats avaient disparu et Vauvray avait repris son aspect accoutumé. Cependant, en traversant le boulevard, Noël aperçut encore la baraque des saltimbanques. Elle se dressait à une centaine de pas de la maison Duhamel, comme si ses propriétaires eussent voulu profiter de l’affluence que l’incendie avait dû amener sur ce point. Une semblable circonstance pouvait être de nature à confirmer le soupçon que ces gens excitaient déjà; mais Noël avait d’autres préoccupations pour le quart d’heure et il continua d’avancer.
De ce beau bâtiment, autrefois l’orgueil de la ville, il ne restait plus que des murs noircis, sans toiture, dont les fenêtres béantes laissaient voir le ciel. Quelques flocons de fumée sortaient toujours des fondations, mais il n’y avait plus d’aliment pour le feu. Un garde champêtre, qui à lui seul représentait toute la police civile de Vauvray, veillait pourtant sur les débris, et cet homme, assisté du jardinier dont la petite loge était restée intacte, empêchait les curieux d’approcher.
Cette défense, toutefois, ne pouvait concerner Noël, et, dès qu’il eut franchi la grille de la cour, les deux gardiens accoururent.
–Ah! monsieur, dit le jardinier, vous venez voir comment vont les choses? C’est un spectacle bien triste pour ceux qui aiment cette excellente famille. Entrez donc; il y a déjà quelqu’un qui vous attend.
Noël fit un signe de tête et passa. Dans le vestibule, tout obstrué par des monceaux de débris, il se trouva en présence de Perrin.
–Vous êtes exact au rendez-vous, lui dit le notaire, et vous arrivez à propos. Je ne me reconnais guère e au milieu de ces décombres, et je ne saurais dire où se trouvait la chambre de mon ancien client.
–Par ici, répliqua Noël en se dirigeant vers le jardin.
On rentra dans l’enceinte de la maison par une petite porte dont le bois était consumé. Cette partie du bâtiment semblait avoir particulièrement souffert, et les murs étaient lézardés jusqu’au faîte. Cepen-– dant, Noël ayant-escaladé un amas de pierres et de matériaux, Perrin eut le courage de le suivre.
Ils examinèrent avec une attention minutieuse les détails de cette scène de désolation. Les constructions étant très-hautes, une partie restait dans l’ombre, en même temps qu’une fumée humide assombrissait le jour. Néanmoins, Noël n’hésita pas; désignant le doigt le sommet d’un mur qui formait l’angle du bâtiment, il dit avec assurance:
–C’est là.
–Où donc? demanda le notaire, qui avait peine à se tenir en équilibre et s’écarquillait vainement les yeux.
–Là, là. Ne distinguez-vous pas une surface carrée, de couleur plus noire que le reste? Cette teinte provient de la boiserie que le feu a détruite. Et tenez, cette plaque de fer, incrustée dans la maçonnerie, est la porte du coffre. Il est intact et, selon toute apparence, ce qu’il contient est intact aussi. Comme nous en sommes convenus, la nuit prochaine je grimperai là-haut.
A force d’attention, Perrin finit par apercevoir l’objet qu’on lui désignait.
–Monter là-haut, monsieur Noël, répliqua-t-il avec effroi, ce serait une folie insigne!... Le mur est fondu dans toute sa longueur, et il a déjà perdu son aplomb. Il croulera au moindre contact, et du diable si je ne crains pas qu’il ne croule d’un instant à l’autre, en nous écrasant tous deux!
–Le danger n’est pas imminent, reprit Noël avec tranquillité; aux prochaines pluies peut-être. Ne m’avez-vous pas dit, poursuivit-il en baissant la voix, que, selon toute apparence, ce coffre renfermait cinq cent mille francs en or ou en billets de banque? On ne doit pas laisser une somme de cette importance à la merci du premier venu.
–Eh! qui diable irait la chercher là-haut? répliqua Perrin. Non, non, à présent que je connais l’été des choses, je ne veux pas, jusqu’à nouvel ordre que vous vous exposiez à un pareil hasard. On tien à vous plus que vous ne pensez, mon garçon, ajouta t-il avec un léger sourire, et on ne me pardonnerai pas si je vous permettais de vous rompre le cou dan cette aventure, dût-on perdre les cinq cent mill francs qui sont peut-être enfermés dans ce coffre.
–Quoi! monsieur, demanda Noël dont les yeux brillèrent, vous supposez qu’elle pourrait avoir asse: d’affection pour moi.
–Elle! qui donc?
–Eh! Madame Duhamel.
–Je n’en sais rien et j’ai besoin de lui demande des instructions. Selon moi, l’humanité commande de recourir à quelque autre moyen. On pourrait, par exemple, saper la muraille, qui tomberait avec le coffre, et, comme il est solide.
–Je croyais, monsieur le notaire, que l’existence de ce coffre devait rester secrète.
–Bonjour, messieurs! s’écria une voix nouvelle qui partait du pied des décombres; vous avez donc voulu, comme moi, contempler ce tableau si triste et si navrant?
C’était M. de Lovedy qui venait, à son tour, de pénétrer dans l’édifice incendié. En le reconnaissant, le notaire dit bas à Noël:
–Soyez sur vos gardes.
Ils se hâtèrent de descendre. Quand on eut échangé les compliments d’usage, le banquier reprit avec sa rondeur affectée:
–Sans doute, messieurs, vous cherchez ce coffre-fort que mon digne beau-frère avait fait établir dans sa chambre et dont, hier seulement, M. Noël nous a révélé l’existence. En avez-vous découvert des traces?
Le notaire parut éprouver un vif désappointement.
–Quoi! dit-il, vous savez. Il est vrai, reprit-il en recouvrant son sang-froid, mais nous sommes très-embarrassés. Noël, pas plus que moi, ne se reconnaît au milieu de ce chaos, et l’on risque ici d’être écrasé à chaque minute. Du reste, ce coffre, qu’il existe ou non, ne saurait contenir rien de précieux; toutes les pièces importantes de la succession Duhamel sont déposées dans mon étude. à l’abri de l’incendie.
–Toutes! répéta le banquier qui lui lança un regard oblique; en êtes-vous sûr?
–Toutes celles que je connais du moins. Allons monsieur Noël, poursuivit Perrin, vous voyez qu’il n’y a rien à faire ici pour le moment. On avisera au sujet de ce coffre et je vous avertirai quand j’en aurai conféré avec mes clientes. Vous pouvez donc retourner à votre travail.
Pendant cette conversation, on était sorti des ruines. Noël ne savait trop s’il devait prendre à la lettre les dernières paroles du notaire; mais il n’osa faire aucune question et se retira. Alors Perrin et Lovedy se mirent à se promener dans le jardin. Ils causaient d’un air cauteleux; chacun d’eux paraissait chercher à cacher son secret et à pénétrer celui de l’autre.
Comme il regagnait sa demeure, le jeune ouvrier passa de nouveau près de la baraque des saltimbanques. Cette fois, il résolut de s’assurer jusqu’à quel point les soupçons à leur égard pouvaient être fondés, et il s’arrêta, sans bien savoir comment il s’y prendrait pour éclaircir ses doutes.
Cette baraque était construite dans l’endroit le plus écarté de la promenade, et, à cette heure de la journée particulièrement, une solitude complète régnait à l’entour. «L’établissement», comme eût dit Bilboquet, consistait en une de ces immenses voitures qui sont des véritables maisons roulantes, et en une tente, formée de toiles rapiécées, où le public était admis aux heures des représentations. Pour le moment, la tente demeurait close et ses propriétaires semblaient s’être retirés chez eux.
Cependant, un bruit de voix partait de l’intérieur. Une de ces voix, grêle et criarde, devait être celle d’un enfant. Deux autres, dont une grave et enrouée proférait des blasphèmes, et dont l’autre était gémissante, appartenaient évidemment à un homme et à une femme.
Ces gens, se croyant bien seuls, ne se gênaient pas pour parler haut et se livrer à leurs habitudes. Une forte odeur de poireaux et d’oignons se répandait à cent pas de là et témoignait qu’on préparait le déjeuner de la famille.
Le bruit prenait les proportions d’une discussion violente, derrière le rempart de toile; Noël entendit l’enfant qui disait moitié pleurant, moitié furieux:
–Non, je veux plus qu’on me détife et qu’on me torde les bras et les jambes, moi. Je veux pas qu’on me fasse craquer l’échiné. Ça me fait mal dans les os, dans la tête, dans les membres, et partout. Je veux pas «travailler.» J’aime mieux aller sur les routes et demander l’aumône aux bourgeois.
–Malheureux enfant! s’écria la femme de sa voix gémissante, tu te révoltes? Ah çà, tu ne veux donc pas apprendre ton état? Tu ne veux donc pas être artiste?
–Je m’en fiche, répliqua l’enfant.
–Alors t’auras pas de soupe; je peux pas nourrir un fainéant.
–Je m’en fiche.
–Un mioche qui a tant de dispositions!... On t’appelle déjà le Disloqué, et tu fais rire le public. Quelle gloire!
–Je m’en fiche, disait toujours le gamin rebelle.
–Tonnerre! reprit la voix enrouée, qui devait être celle de l’Hercule, allons-nous en finir? Je crois qu’on s’avise de raisonner! Moi, à ton âge, on me pliait en quatre et on m’enfermait dans un coffre d’un pied de long. C’était ça un beau travail! Aussi, j’ai fait mon chemin. Et ta mère, à dix ans, elle dansait sur la corde raide et on l’accablait de gros sous. Faut que tu imites ton père et ta mère, mille pipes!... Allons! viens, que je te tripote un peu, et, si je suis content, t’auras une goutte d’eau-de-vie par-dessus ta soupe.
–Je veux pas d’eau-de-vie; je veux rien.
–Ah! c’est comme ça! Si la moutarde me monte, je taperai sur ton dos comme sur la grosse caisse. Mille millions de diables! vas-tu résister à ton père et à ta mère?
–Vous n’êtes pas mon père et ma mère. Vous m’avez volé, ou acheté, ou je ne sais quoi, quand j’étais tout petit. C’est Rabajoie, notre valet, qui dit ça.
Cette réponse parut stupéfier le saltimbanque et sa compagne. Celle-ci reprit avec son accent plaintif:
–C’est pas bien ce que tu chantes là, Zozo. T’ai-je pas toujours tendrement aimé?
–Oui, en me flanquant des coups!
–Et je vais t’en flanquer d’autres, s’écria l’Hercule, si tu n’obéis pas. Quant à Rabajoie, le maudit ivrogne, il peut être sûr d’une volée, quand il rentrera du cabaret. Mais, voyons! finissons-en. Viens ici. ou je vas te chercher!
–Non, répliqua le jeune garçon avec une obstination farouche.
Alors, on entendit comme le bruit d’une lutte, puis des cris discordants, où il y avait autant de colère que de douleur. Noël se disposait à intervenir, afin de soustraire le malheureux enfant à la brutalité de l’Hercule; il n’en eut pas le temps.
Deux gendarmes, dont un brigadier, venaient de se montrer tout à coup. L’un d’eux frappa avec la poignée de son sabre contre un des montants en bois qui formaient l’entrée de la tente, et s’écria d’un ton d’autorité:
–Ouvrez, au nom de la loi. ouvrez à la gendarmerie.
Il se fit un silence dans la baraque; cependant, à une nouvelle sommation, la toile qui servait de porte s’écarta précipitamment, et les gendarmes eurent la faculté d’entrer.
L’intérieur de la tente avait un aspect misérable. Au fond, on apercevait la grande voiture qui était l’appartement de la troupe; des bancs écloppés, des chaises dépaillées, des tapisseries en lambeaux s’entassaient dans un coin. Un trapèze, suspendu à une poutre, était destiné aux exercices de l’Hercule, tandis qu’au centre de l’enceinte, sur un fourneau de terre, chauffait une marmite d’où s’exhalaient les arômes que nous savons.
La baraque contenait seulement les trois personnes dont nous venons de reproduire la dispute: l’Hercule avec son épaisse barbe noire et son enco lure de taureau, vêtu d’un maillot sale, sur lequel il avaitendossé une redingote de drap jaunâtre. Puis, le jeune garçon qu’on appelait le Disloqué, avec sa figure blême, ses yeux enfoncés, ses taches de rousseur sur les joues; il était drapé dans une espèce de blouse à carreaux, qui devait être un ancien costume de paillasse et sous laquelle on distinguait à peine son corps chétif, aux membres contournés. Enfin venait la dame du lieu, qui avait pu être la Belle Américaine quelque vingt ans auparavant, mais qui, vieillie par les fatigues, les soucis et les privations, ne conservait plus rien de sa beauté d’autrefois, si vraiment elle avait jamais été belle. Le désordre de sa toilette n’était pas de nature à faire illusion à cet égard; ses cheveux, déjà grisonnants, s’échappaient en mèches de dessous un mauvais madras. Elle portait une robe d’indienne, de couleurs voyantes, mais très-fripée, à laquelle sans doute elle n’avait pas eu le temps de faire des reprises.
Tout ce monde, élevé dans la crainte salutaire de la gendarmerie, demeura comme pétrifié à la vue du brigadier et de son compagnon. L’Hercule «incompayable» pâlissait, malgré son torse de géant et ses volumineux biceps. La Belle Américaine, en train de savonner dans une cuvette la robe blanche qu’elle devait mettre à la représentation du soir, avait laissé tomber son savon dans l’eau, sans songer à le repêcher. Zozo le Disloqué lui-même, l’intraitable Zozo, s’était redressé vivement et fixait sur les nouveaux venus ses petits yeux, pleins à la fois de naïveté et de rudesse.
Le brigadier toucha son tricorne et dit d’un ton goguenard:
–Ah cà mais, il me semble qu’on se battait ici tout à l’heure. ou que l’on battait quelqu’un. car j’ai entendu des cris.
–Bah ce n’est rien, mon brigadier, répliqua l’Hercule d’un air aimable; histoire de corriger un peu ce mioche, qui est mon pître, en même temps que mon fils. Mais vous sentez bien, mon brigadier, que je n’y allais pas trop fort, car il n’est pas solide et j’aurais peur de le détériorer.
–Nous répétions la parade de ce soir, ajouta la Belle Américaine de sa voix la plus flûtée; et il n’y a que les coups de pied et les soufflets qui l’ont rire le public, vous savez?
–Et puis, si je veux, moi, être battu! s’écria le Disloqué avec toute l’assurance de la Martine de Molière.
En même temps il s’était campé devant les gendarmes, la tête droite, le poing sur la hanche. Le saltimbanque et sa compagne le remercièrent par un regard caressant de défendre ainsi sa famille contre l’autorité. Mais le brigadier reprit sans s’émouvoir:
–Il ne s’agit pas de ça, monsieur. l’Hercule. Vous et votre jeune garçon, vous allez venir avec nous à la mairie, où l’on a quelque chose à vous dire. Voici l’ordre.
Et il exhiba un papier chargé de timbres et de signatures.
–Bon Dieu! que me veut-on? murmura l’Hercule dont les grosses jambes se dérobaient sous lui.
–Je n’ai rien fait, moi! s’écria Zozo le Disloqué; ils sont là pour dire que j’ai toujours aimé les gendarmes. parce qu’ils sont bien habillés.
–Ne lanternons pas, reprit le brigadier; faites vos dispositions et en route pour l’hôtel de ville!... Si vous avez des papiers, ne manquez pas de vous en munir, car on vous les demandera.
Voyant la consternation peinte sur le visage des saltimbanques, il aj outa plus doucement:
–Bah il ne faut pas avoir peur. Si votre conscience est nette, M. le juge d’instruction vous renverra après vous avoir interrogés. ce sera l’affaire d’un moment.
–Mais enfin, que veut-on de moi, mon brigadier?
–Le juge vous le dira. Dépêchons.
Il fallait obéir, et l’Hercule, après avoir échangé quelques mots tout bas avec la Belle Américaine, commença, ainsi que Zozo, ses préparatifs de départ. Il boutonna sa redingote jaune, couvrit sa tête d’un chapeau gris à larges bords et fourra dans sa poche un vieux portefeuille que sa compagne lui apporta. Quant à Zozo, on lui passa, par-dessus sa blouse à carreaux, une espèce de polonaise doublée de peau de chat et on le coiffa d’une casquette bordée d’un mince galon. C’étaient les plus beaux habits de ces malheureux, et ainsi parés, ils se croyaient dignes de paraître devant un souverain.
Pendant que le père et le fils procédaient à leur toilette, la baraque restait ouverte et les deux gendarmes en gardaient l’entrée. Noël, qui connaissait le brigadier, lui dit tout bas:
–Voulez-vous me permettre d’adresser à ces gens une ou deux questions?
Le brigadier avait sans doute déjà reçu des ordres relatifs au mécanicien.
–Soit, monsieur Noël, répliqua t-il, mais prenez garde d’entraver l’action de la justice!
–Ne craignez rien. vous allez voir.
En ce moment l’Hercule et Zozo s’approchèrent. Le père était pensif, inquiet; l’enfant paraissait insouciant, et peut-être songeait-il que, quoi qu’il arrivât, il éviterait, pour ce jour-là du moins, ses terribles exercices de dislocation.
Noël dit à l’Hercule en riant:
–Eh! eh! l’ami, il paraît que vous avez oublié quelque formalité à remplir?... Ne vous alarmez pas; les autorités de Vauvray ne sont pas bien méchantes et vous allez revenir tranquillement pour déjeuner. Toutefois, ne pourriez-vous nous fournir des indications au sujet des incendies qui désolent le pays?
Un étonnement bien sincère se peignit sur les traits de l’Hercule.
–Moi! répondit-il; et comment saurais-je quelque chose?
–Dame! chaque fois qu’un incendie éclate, vous vous trouvez là avec tout votre attirail et tout votre monde. En rôdant ainsi, vous avez pu voir, entendre dire.
–Mon bourgeois, je ne m’occupe que de mes propres affaires. La vie est si dure! On a tant de peine à joindre les deux bouts!... Voyez-vous, c’est seulement quand le public est dans l’agitation qu’il entre voir «les artistes.» Sachant cela, nous autres, dès qu’il y a un grand mouvement quelque part, pour une cause ou pour une autre, nous accourons. Avant-hier, nous étions dans le bourg de Grosbois, à deux lieues d’ici, quand, au milieu de la nuit, on annonça un incendie à Vauvray. On demandait du secours, et les gens de Grosbois se mirent en route avec leur pompe. En un instant nous fûmes prêts; j’attelai le cheval à la voiture, et nous arrivâmes ici en même temps qu’eux. Bien nous en a pris; car hier au soir nous avons encaissé une forte recette. Il y avait les soldats, puis les pompiers et les habitants. Ce soir que tout est redevenu calme, la recette couvrira à peine les frais de luminaire.
Ces explications étaient données d’un ton de bonne foi, qui semblait ne laisser aucune place au doute.
–Comme ça, reprit Noël avec une apparente indifférence, vous ne savez rien?... Mais ce jeune gaillard, poursuivit-il en se tournant vers Zozo le Disloqué, a pu faire des découvertes. Il doit être tort agile; de plus, il paraît passablement déluré et assez peu commode à conduire. Je gagerais qu’il s’enfuit de temps en temps pour aller marauder les pommes et les poires dans les jardins du voisinage?
L’Hercule ne soupçonnait pas le moins du monde le but de ces questions.
–Lui, mon bourgeois! répliqua-t-il en haussant les épaules; ah f vous ne le connaissez guère. Il est mou comme une chiffe; c’est un fainéant, qui me donne bien du souci. Il n’a pas de cœur à l’ouvrage, et, quand on lui laisse du loisir, il va se coucher dans un coin. Ce ne sera jamais qu’un mauvais artiste, j’en ai peur.
–Il aime pourtant sans doute les fruits savoureux dont je parlais tout à l’heure?
–Non, répliqua Zozo brusquement, pas de crudités. Je n’aime que la soupe et l’eau-de-vie.
–Et l’argent? Tu dois être heureux quand tu as quelques gros sous dans ta poche?
–Non, car, lorsque j’en ai, on me les prend.
Noël savait ce qu’il voulait savoir.
–Allez, mes braves gehs, dit-il aux saltimbanques; le juge sans doute vous rendra bientôt votre liberté. Bon courage f
Comme l’on se mettait en marche, Noël put s’assurer encore que l’enfant, avec ses membres maigres et ses jambes arquées, ne pouvait avoir joué le rôle qu’on lui attribuait.
–Décidément, murmura-t-il, Grivet se trompe; ce n’est pas lui!