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VI
L’ENQUÊTE

Table des matières

Noël, après avoir dormi quelques heures, reçut l’invitation de se rendre à la mairie de Vauvray, où le juge d’instruction arrivé le matin, le maire de la ville et quelques fonctionnaires notables étaient réunis. Il s’agissait de faire une enquête, non-seulement sur l’incendie de la maison Duhamel, mais encore sur les événements de même nature qui s’étaient produits précédemment dans le pays. Noël, vêtu avec convenance, s’empressa de se rendre à l’appel des magistrats.

Il fut reçu avec une distinction marquée. Le juge le félicita pour son admirable dévouement de la nuit précédente; le maire et les notables voulurent lui serrer la main. Puis on le fit asseoir à une place d’honneur, et l’interrogatoire commença.

Le jeune mécanicien affirma que l’incendie s’était déclaré d’abord dans les greniers de la maison, pour gagner de là le corps de logis principal. Il raconta aussi sa rencontre singulière, derrière les murs du jardin, peu de moments avant la catastrophe, et la chasse infructueuse qu’il avait donnée à une personne inconnue.

Cette circonstance frappa les assistants.

–Quoi! demanda le juge avec intérêt, n’avez-vous pu distinguer aucune particularité de nature à faire retrouver.

–Non, monsieur, et je ne comprends pas comment cette personne s’est dérobée à ma poursuite. Tout ce que j’ai pu constater, c’est qu’elle devait être d’une légèreté étonnante et connaître très-bien la localité. Je croirais volontiers qu’il s’agit d’un enfant, car un enfant seul semblerait capable de courir, de sauter, de se cacher prestement, comme on l’a fait.

–Ceci mérite attention, reprit le juge en compulsant des papiers épars sur son bureau; un témoin, dans l’affaire de l’incendie au village de Grosbois, a remarqué de même la présence d’une personne extrêmement leste, qui fuyait dans l’obscurité de la nuit, au moment où le feu venait d’éclater. Ces deux circonstances, rapprochées l’une de l’autre, sont significatives. Voyons, monsieur Letellier, poursuivit le magistrat en baissant la voix, n’auriez-vous pas des soupçons sur l’auteur ou les auteurs de ces odieux méfaits? En votre qualité d’habitant du pays, vous pourriez être mieux renseigné que nous-mêmes.

–Je n’en ai pas, monsieur; sans doute, ma défiance s’est portée tantôt sur celui-ci, tantôt sur celui-là, comme il arrive en cas pareil, mais je n’oserais exprimer des soupçons qui ne reposent sur aucune base certaine. Néanmoins, monsieur le juge, poursuivit-il en baissant la voix à son tour, plusieurs de mes amis et moi, nous ne demeurons pas inactifs et nous cherchons avec ardeur.

–Fort bien, dit le magistrat qui commençait à s’effrayer des difficultés de sa tâche; le concours de toute la population honnête nous est indispensable. Continuez donc vos investigations particulières, monsieur Letellier; j’augure bien de votre sagacité, de votre zèle, et, si vous obtenez quelque résultat important, n’hésitez pas à nous en instruire. Dans le cas où l’intervention de la force publique vous semblerait utile, M. le maire voudra bien mettre la gendarmerie à votre disposition. N’avez-vous rien à ajouter?

–Rien, monsieur le juge.

–Alors vous êtes libre de vous retirer.

Noël salua respectueusement et sortit. Le maire, dont il était connu depuis longtemps, le suivit dans la pièce qui servait d’antichambre à la salle du conseil.

–Cher monsieur Letellier, dit-il d’un ton amical, votre louable conduite de la nuit dernière ne doit pas rester oubliée. Je viens de rédiger pour le ministre un rapport qui partira demain et qui sera sans doute reproduit par les journaux. Dans mon travail, je prie Son Excellence de vous accorder telle récompense qu’il appartiendra.

Cette confidence eût comblé de joie tout autre que Noël; cependant elle lui causa une violente contrariété, et il répondit, avec une sorte de brusquerie:

–Merci, monsieur le maire; mais qu’ai-je besoin de récompense? Je n’en mérite aucune. Je vous en conjure, n’envoyez pas ce rapport, ou du moins effacez ce qui concerne une récompense dont je me sens indigne.

Le-maire le regarda d’un air stupéfait; puis, il se mit à sourire.

–Il m’est impossible, reprit-il, de me rendre à votre vœu. Vous êtes modeste, monsieur Noël; mais je connais mon devoir. Adieu.

Et il rentra dans la salle du conseil, pendant que Noël se retirait confus et mécontent.

Chez lui, le jeune mécanicien trouva le notaire Perrin qui arrivait du château, et ils causèrent ensemble assez longuement. Le notaire étant parti, Grivet et Jean Reboux vinrent aussi à la forge, car, dans l’intérêt de l’œuvre commune, les trois amis se voyaient à peu près chaque soir. Noël était taciturne et rêveur; les deux autres, au contraire, paraissaient tout joyeux.

–Décidément, monsieur Noël, s’écria le preneur de taupes, je crois que je connais notre incendiaire!

–Et moi aussi, dit le cantonnier avec non moins d’assurance.

–Vraiment! s’écria Noël qui sortit aussitôt de sa rêverie; contez-moi cela.

–Voyez-vous, reprit le taupier, certaines gens ressemblent à «ces bêtes» qui me font vivre. On ne les voit pas, mais elles cheminent sous vos pieds et elles poussent par-ci par-là des buttes de terre fraîche. Un coup de pelle, lancé au beau moment, les amène aujour et on prend «leur nez.» Je crois bien que nous allons pouvoir donner le coup de pelle!

–Enfin, expliquez-vous, dit Noël avec un peu d’impatience; qui, selon vous, serait l’auteur de ces crimes?

Jean nomma Faquinette et répéta les propos obscurs qui, la veille, étaient échappés à la folle.

–Cela ne serait pas impossible, répliqua Noël avec réflexion; dans l’état d’incertitude où nous sommes, aucune supposition, si absurde qu’elle paraisse, ne doit être repoussée légèrement. Et vous, Grivet, êtes-vous du même avis au sujet de cette malheureuse femme?

–Pas du tout, monsieur Noël, répondit le cantonnier: avec votre permission et celle de Jean, il m’est venu une autre idée. et cette idée, voyez-vous, elle est venue aussi à beaucoup de personnes de la ville. Vous savez qu’il est arrivé ici des saltimbanques ce matin, à preuve qu’ils ont parcouru les rues en tambourinant. Il y en a un gros barbu et un petit tout jeune, qu’on appelle le Disloqué; chaque fois qu’un incendie éclate, soit ici, soit dans les villages avoisinants, ces faiseurs de tours apparaissent tout à coup sans qu’on sache d’où ils sortent. Vous avez parlé d’une espèce de petit diable, que vous avez rencontré hier au soir, derrière le jardin Duhamel, et qui vous a glissé entre les doigts; ce petit diable ne serait-il pas le Disloqué? On dit qu’il rebondit en l’air, comme une balle élastique.

–Votre opinion, Grivet, reprit Noël, n’est pas plus déraisonnable que celle de Jean. Seulement, avant de se prononcer, il faut que la chose soit étudiée avec maturité.

–Étudiez-la donc; pour moi, je gagerais que c’est le Disloqué qui a fait le coup.

–Et moi je gagerais que c’est Faquinette, s’écria le preneur de taupes; j’en demande bien pardon à Grivet, mais j’ai «du ne!»

–Celui-là ne vaut pas cinq sous, Jean, et je casserais un mètre cube de pierres avec mes dents plutôt que de convenir.

–Allons, mes amis, ne vous fâchez pas, interrompit Noël; l’un de vous peut avoir raison, quoique je ne sache lequel des deux. Dès demain je m’informerai; je verrai Faquinette, je verrai ces saltimbanques, et je tâcherai de savoir adroitement. Mais, s’il faut l’avouer, poursuivit-il d’un air pensif, moi aussi je soupçonne quelqu’un. et ce n’est ni la folle ni le Disloqué.

–Alors, qui donc? s’écrièrent les deux amis de Noël.

–Ne me le demandez pas; les indications que je possède sont encore si vagues. c’est de l’instinct chez moi plutôt que du raisonnement. Laissons cela. Mes amis, demain soir, à pareille heure, j’aurai besoin de vos services. Il s’agit d’une affaire, périlleuse peut-être, où votre assistance me sera nécessaire et je vous attendrai ici.

–J’y serai, monsieur Noël, répliqua le cantonnier.

–j’y serai de même, dit le preneur de taupes; ne pourrait-on savoir.

–Rien. J’ai promis le secret. Du reste, le danger, s’il y en a, sera pour moi seul.

–Et pourquoi n’aurions-nous pas aussi notre part du danger, monsieur Noël? demanda le taupier blessé.

–C’est vrai ça, reprit le cantonnier; je voudrais en avoir une telle part qu’il n’en restât plus pour vous!

–Braves gens! dit Noël.

On se serra la main et on se sépara.

L'incendiaire

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