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V
LE NOTAIRE

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Table des matières

Le château de Bligny, comme nous savons, avait appartenu longtemps à feu Duhamel, qui semblait y tenir beaucoup. Ce n’était pas que le père d’Adrienne, propriétaire campagnard, qui spéculait tant soit peu sur les grains, les bestiaux et les denrées de toutes sortes, eût un goût bien décidé pour le château en lui-même, bel édifice moderne; mais les terres qui en dépendaient étaient excellentes, d’un bon rapport, et Duhamel savait en tirer le meilleur parti.

Rien ne donnait donc à penser qu’il voulût se défaire de cette propriété, lorsque, un an ou dix-huit mois avant l’époque où nous sommes, à la suite d’un voyage que M. de Lovedy avait fait à Vauvray, M. Duhamel annonça tout à coup qu’il avait vendu Bligny à son beau-frère, au prix de cinq cent mille francs. On savait l’influence que le Parisien exerçait sur le campagnard, fort madré pourtant, et on ne s’étonna. pas outre mesure de cette détermination inattendue. D’ailleurs, l’affaire fut conduite avec une grande célérité; c’était à peine si les délais prescrits par la loi pour le payement furent observés, et Lovedy s’empressa de venir avec son fils prendre possession du château, où ils comptaient résider chaque année pendant la belle saison.

La mort subite du vendeur avait empêché que l’on connût tous les détails de la vente; mais Adrienne et sa mère n’aimaient pas cette propriété, à laquelle elles préféraient beaucoup leur maison de Vauvray, et il avait fallu une circonstance aussi grave qu’un incendie pour les décider à s’établir au château. De plus, madame Duhamel, en dépit d’elle-même, éprouvait à l’égard de son beau-frère une sorte de défiance. Enfin, Lovedy nourrissait depuis longtemps le projet de marier Hector à Adrienne, et la jeune fille n’approuvait nullement ce projet, la légèreté, l’égoïsme, la suffisance d’Hector lui déplaisant, comme la fausse bonhomie du banquier déplaisait à sa mère.

Le château de Bligny, qu’une avenue de platanes reliait à la route départementale, était pourtant une riante habitation, pourvue d’eaux vives et de frais ombrages. Les appartements, richement meublés, avaient tout le confort actuel. Par derrière, s’étendaient un joli parterre et un parc à l’anglaise, que l’ancien propriétaire avait fait semer jadis de carottes et de raves, mais que le nouveau avait rendu à sa destination primitive.

Dans l’après-midi du jour de leur arrivée à Bligny, nous retrouvons les dames Duhamel assises sur des chaises rustiques, à l’entrée du salon, sous une tonnelle de plantes fleuries. Elles paraissaient tristes et abattues. Dans l’intérieur de la maison, on entendait des claquements de billes, des rires, de joyeux défis; c’étaient les invités de M. de Lovedy qui, en compagnie d’Hector, s’escrimaient au billard en attendant le dîner.

Les deux dames n’étaient pourtant pas abandonnées à elles-mêmes. Le banquier avait pris place à leur côté et leur parlait à voix basse, quand un domestique du logis annonça à madame Duhamel que M. Perrin, le notaire, venait d’arriver dans son cabriolet et demandait à la voir.

–Oui, oui, qu’il vienne! s’écria-t-elle avec empressement; M. Perrin est notre ami.

Adrienne paraissait enchantée aussi de cette interruption, car, s’il faut le dire, son onclé s’efforçait encore en ce moment de lui persuader qu’un prompt mariage entre elle et son fils était l’unique moyen de réparer le dernier désastre.

Bientôt le domestique introduisit le visiteur. M. Perrin était un homme d’une quarantaine d’années, au regard vif, et il passait pour aussi probe qu’habile en affaires.

–Bonjour, Perrin! lui dit madame Duhamel; qu’avez-vous à nous apprendre au sujet de notre pauvre maison?

–Tout est fini de ce côté, madame, répliqua le notaire. Mais, en dehors des souvenirs de famille qui vous rendaient «cet immeuble» précieux, vous n’aurez pas à subir de bien grosses pertes. La maison était assurée, ainsi que tout ce qu’elle contenait, et j’aurai soin que les compagnies d’assurances s’exécutent promptement. D’ailleurs, ajouta-t-il en souriant, cette brèche à votre fortune, si elle était réelle, ne serait pas irréparable. Et je viens mettre à votre disposition telle somme qu’il vous plaira de fixer.

–Merci, mon cher Perrin; quelques milliers de francs suffiront, afin que ma fille et moi nous puissions remonter notre garde-robe. Mais vous paraissez avoir autre chose à me dire?

–Oui, madame; seulement, ce que je dois vous communiquer est d’une nature toute particulière.

–Vous pouvez parler librement devant ma fille et mon beau-frère, pour lesquels je n’ai pas de secrets.

–C’est bien naturel, répliqua le notaire avec embarras; néanmoins, l’affaire dont il s’agit vous concerne personnellement, ainsi que mademoiselle Adrienne qui est «aux droits» de son père défunt.

–Autrement dit, maître Perrin, reprit M. de Lovedy avec aigreur en se levant, c’est moi qui vous gène. Soit, je vous laisse un instant.

Il salua d’un air pincé et rentra dans la maison; mais il ne s’éloigna guère, car il se mit à rôder du salon à la salle de billard, et il se montrait par intervalles à la fenêtre de l’un ou de l’autre.

Le notaire s’était penché mystérieusement vers madame Duhamel.

–Comme votre ami sincère, dit-il, je regrette que vous ayez accepté pour vous et pour mademoiselle Adrienne l’invitatton de venir ici.

–Que voulez-vous? répliqua madame Duhamel d’un air de malaise; on nous a, pour ainsi dire, enlevées; on a profité du premier moment de surprise et d’abattement. Mais quels motifs avez-vous, Perrin, pour regretter cette détermination?

–Je ne sais, madame. Il est pourtant un point sur lequel je désire obtenir des éclaircissements. Depuis la fin prématurée de votre mari, je n’ai pas osé vous adresser certaines questions, de nature à vous causer des émotions trop vives; mais je ne peux tarder davantage à m’expliquer sur un sujet délicat. La somme de cinq cent mille livres, que M. Duhamel a dû toucher pour prix de la terre de Bligny, est-elle en votre possession?

–Pas le moins du monde, et je la croyais déposée dans votre étude.

–Non, madame; bien que M. de Lovedy soit porteur d’une quittance en règle, cet argent n’a pas passé entre mes mains, car M. Duhamel, comme je peux en justifier, m’assura que, par suite d’arrangements personnels avec son beau-frère, ces fonds lui avaient été remis à lui-même. Or, si votre mari les a reçus, il est impossible qu’il ne vous ait pas parlé de cette rentrée et de l’usage qu’il en a fait.

–Je ne sais absolument rien à cet égard; mon mari, quoique touj ours très-affectueux pour sa fille et pour moi, nous parlait rarement de ses affaires.

–D’autre part, reprit Perrin, on n’a rien trouvé dans ses papiers de relatif à ce payement. Il n’était pourtant pas un thésauriseur et aimait à faire fructifier son bien. Une somme de cette importance ne peut avoir disparu sans qu’on en découvre des traces.

–Attendez! s’écria madame Duhamel frappée d’un souvenir; peut-être sais-je maintenant où mon mari l’avait déposée.

Et elle raconta ce que Noël lui avait appris, le matin même, au sujet d’une cache secrète pratiquée autrefois par le jeune mécanicien.

Le notaire réfléchit.

–Je crois que vous avez raison, madame, dit-il enfin; sans doute le défunt avait mis dans ce coffre, ignoré de tous, les fonds provenant de la vente de Bligny. Peut-être les destinait-il à quelque spéculation nouvelle; peut-être aussi devaient-ils servir de dot à sa fille bien-aimée. Quoi qu’il en soit, cette somme, qui probablement était en billets de banque, a dû être anéantie dans l’incendie de votre maison.

–Qui sait? M. Noël affirme que la caisse de fer est à l’abri du feu. Voyez le de ma part, mon bon monsieur Perrin, et dites-lui de quelle importance est pour nous le contenu du coffre-fort qu’il a construit.

–Comptez sur lui, chère maman, s’écria Adrienne avec vivacité; la nuit dernière, il nous a sauvé la vie; je suis certaine qu’il n’hésiterait pas à s’exposer de nouveau pour sauver notre fortune!

Perrin attacha un regard inquisiteur sur la jeune fille, qui détourna la tête.

–Pas toute votre fortune, mademoiselle, reprit-il, car, en dépit des incendies, vous êtes encore riches. fort riches. Du reste, votre confiance dans Noël Letellier est des mieux placées. Je le connais et je sais de lui de fort belles actions. C’est un jeune homme qui, par son intelligence, son éducation, ses nobles sentiments, se trouve bien au-dessus de son état.

Pendant cette conversation, les deux Lovedy étaient descendus dans le jardin. Ils passaient et repassaient sans cesse auprès des interlocuteurs, en chuchotant d’une manière presque impertinente. Le notaire se leva.

–Il faut que je retourne à Vauvray, reprit-il, et j’ai grand regret, mes chères dames, de vous laisser ici.

–Enfin, Perrin, que craignez-vous? demanda madame Duhamel avec un peu d’impatience; devais-je refuser l’offre pressante de mon beau-frère?

–Peut-être, en effet, vous était-il impossible de refuser, mais je vous verrais avec plaisir quitter cette maison. En attendant, madame, ajouta-t-il d’un ton confidentiel, soyez en garde contre les pièges qu’on peut vous tendre; ne signez aucun papier, de quelque nature qu’il soit, sans m’avoir consulté.

La bonne dame, tout effarée, allait sans doute demander des explications, quand le banquier et Hector s’approchèrent:

–Quoi donc, monsieur Perrin, dit Lovedy en exagérant sa bonhomie habituelle, partez-vous déjà? J’espérais que vous voudriez bien nous rester à dîner.

–Et après dîner, poursuivit Hector, je vous aurais prié de me donner une leçon au billard, où vous êtes, dit-on, de première force.

–Mille grâces, messieurs, répliqua Perrin sèchement, mais avec politesse; je suis attendu chez moi. Quant à donner des leçons à qui que ce soit, je n’ai pas cette prétention; je me borne à éviter d’en recevoir.

Il salua et partit. Quelques minutes plus tard, on entendit son cabriolet rouler dans l’avenue.

Alors M. de Lovedy reprit sa place auprès de sa belle-sœur et chercha avec adresse à savoir l’objet de la visite du notaire; mais madame Duhamel se contenta de répondre évasivement et rentra chez elle avec Adrienne.

Le banquier profita d’un moment où il se trouvait seul avec son fils pour lui dire d’un air soucieux:

–Peste soit de ce maudit notaire qui vient ainsi se mêler à notre jeu! Il est d’autant plus dangereux qu’il est très-roué et qu’il possède toute la confiance de Louise, comme il possédait déjà celle du mari. Maintenant, il importe de faire vite ce que nous voulons faire. La Bourse ne monte pas, et j’ai eu encore cinquante mille francs de différences à payer ce mois-ci. Si nous n’y prenons garde, tout craquera avant que nous ayons eu le temps de réaliser nos projets.

–Que voulez-vous, mon père? répliqua Hector avec humeur; cette sotte fille n’a pas même l’air de comprendre les jolies choses que je lui prodigue.

–Il faut profiter, dit Lovedy avec un singulier sourire, de la chance favorable qui se présente en ce moment. Ta tante et ta cousine vont habiter Bligny au moins pendant quelques jours; sachons tirer parti de la circonstance. Allons, Hector, sois irrésistible. Comment, toi, la coqueluche des Parisiennes, tu n’auras pas raison d’une petite paysanne?

Hector, à son tour, sourit avec fatuité.

–On verra, mon père, on verra! répliqua-t-il. Ah çà, savez-vous ce que voulait cet olibrius de notaire?

–Non; j’imagine pourtant qu’on a parlé du payement de Bligny. J’éprouve de mortelles inquiétudes et l’on ne peut tarder à découvrir. Sans doute madame Duhamel a transmis à Perrin la communication de Noël, au sujet du coffre de fer caché dans une muraille. Ou je me trompe fort, ou c’est dans ce coffre que se trouve notre secret. Ah! Hector, si tu étais un jeune homme alerte, résolu, plein d’initiative, comme je l’étais à ton âge, tu tâcherais de t’assurer.

–Bon! l’agréable besogne que vous voudriez me donner là, mon père! Il faut la laisser à ce pompier héroïque, qui sauve dames et demoiselles et fait tout ce qui concerne son état. Du reste, si ce que l’on rapporte est vrai, le coffre a été détruit sans doute.

–Que Dieu ou le diable t’entende! Enfin je verrai moi-même et je tâcherai d’éviter par tous les moyens. Toi, sois occupé uniquement de te faire aimer d’Adrienne; il faut qu’elle t’aime, entends-tu? ou du moins que tu l’épouses le plus vite possible. Je te donne carte blanche, mais arrange-toi pour que ce mariage ait lieu dans le plus bref délai, sinon nous sommes perdus l’un et l’autre. Hector. Hector, ajouta-t-il d’une voix sourde, songes-tu que, d’après les évaluations les plus basses, cette petite aura encore deux millions de dot?

La cloche, qui sonnait le diner, interrompit cette conversation; Hector répondit, en clignant des yeux et en glissant les doigts dans les entournures de son gilet:

–Il suffit, mon père; ayez confiance. Puisqu’il faut absolument vaincre, nous vaincrons, je vous le promets!

L'incendiaire

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