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HANS MEMLING
ОглавлениеOn connaît la légende: blessé à la bataille de Nancy, Memling arrive à Bruges se faire soigner et guérir à l’hôpital Saint-Jean. Il consacre sa vie d’artiste à remercier Dieu Par des chefs-d’œuvre de l’avoir sorti d’une existence tumultueuse et dramatique.
Aujourd’hui, on prouve que Hans Memling fut un bon bourgeois de Bruges, ayant pignon sur rue, au Vlaminedam, vivant non point en reclus, dans un cloître, mais en citoyen. La fable dont s’enjolive son histoire serait totalement négligeable, si elle n’indiquait le peintre venant de loin, du côté de l’Allemagne, et se fixant en Flandre, d’où l’art rajeuni rayonnait.
Et en effet, M. A. J. Wauters, grâce à un travail documenté et de pénétration patiente, établit que l’auteur du Mariage mystique de sainte Catherine était originaire de la Petite ville de Memelingen, près de Mayence, et que ce fut seulement vers la seconde moitié du XVe siècle qu’il arriva dans la patrie des Van Eyck.
Van Eyck! Memling! les deux tenants, non pas du blason officiel, mais des armes chimériques et idéales de la ville de Bruges. L’un, sorti du fond gras et matériel de la Flandre, l’autre transplanté chez nous, après avoir vécu pendant sa jeunesse dans les plaines ou les vallées du Rhin. Natures d’hommes profondément diverses, quoique toutes deux septentrionales.
Van Eyck plonge en plein dans la vie. Il y recueille la santé, la force, l’équilibre, la beauté. Il ne comprend l’idéal qu’admirablement constitué, avec des muscles, de la chair, du sang, de la moelle. Il crée des types de madone auxquels les patriciennes flamandes ou même les paysannes et les servantes donnent la puissance de leur carnation et la graisse de leurs seins et de leurs joues. Plus tard, Rubens qui représente autant que lui la race, poussera jusqu’à l’exagération et au débordement les mêmes qualités de robustesse et d’opulence. Son art apparaîtra comme une fête, parfois comme une débauche. Celui de Van Eyck reste dans la pondération et la mesure. Il se pratique ainsi qu’une belle et grave vertu, Il se hausse au style; il est respectueux du détail; il est précis, méticuleux même. Néanmoins — et c’est là le miracle patent qu’il profère — il reste grand et définitif, toujours. Jamais, à notre sens, aucun peintre n’a plus hautement commandé à son génie. Il le dirige comme un théologien de science universelle et profonde établit ses thèses et prodigue et dispose et ramasse ses arguments. C’est un vainqueur calme, sûr de lui. Son Adoration de l’A gneau se déploie, tel un raisonnement éloquent et pathétique; c’est une page belle comme une philosophie admirable et claire, comme une explication du monde.
L’œuvre de Memling n’est point d’une envergure telle. Elle se replie comme des ailes sur l’âme seule. La piété, la vie intérieure, l’adoration! Ses femmes sont presque toutes des vierges; leur corps? un vêtement de chair, rien de plus; leurs visages? reposés, tranquilles. La paix d’une conscience calme, quoique surveillée, réalise des attitudes invariablement statiques. Ses pages et ses guerriers sont doués d’une grâce et parfois d’une fragilité féminine. La force est absente de cet art, mais une beauté pure, paisible, presque heureuse, y est installée. Quoi qu’on en ait dit, la mélancolie, si parfois elle y apparaît, n’y séjourne guère.
Dans l’hôpital Saint-Jean, l’imagination s’exalte à rêver le vrai milieu où Memling aurait travaillé. L’aspect suranné du lieu, le silence enfermé en ces murs, la propreté claustrale des corridors, le calme dévot des cours et des jardins, les silhouettes blanches et noires des sœurs parmi des verdures apparues, semblent reconstituer une scène mi-renaissance, mi-moyenâgeuse dont les admirateurs de Memling se réjouissent. Ils voient leur peintre vivre et se développer loin du monde, dans cet asile de pensée et de recueillement. Mais Memling aussi bien que Jean Van Eyck adore l’apparat. Il est le citoyen de cette Bruges magnifique, la reine des eaux du Nord, lourde de richesses mondiales, dont les rues et les places et les monuments imposaient l’orgueil et prêchaient la vie large et royale à tous ceux qui passaient. Il ne comprend les Évangiles et les vies des Saints que rehaussés Par le décor et le faste. Son âme s’échauffe au contact des splendeurs; il s’en inspire. Il ne les boude point comme un Pénitent cloîtré dans les caves d’un palais. Le Mariage de sainte Catherine et la Châsse de sainte Ursule sont des peintures conçues opulemment et dont l’étalage, aujourd’hui en un hospice vieillot, heurte au lieu de charmer. Serait-ce Parce que ceux de Bruges ont compris ces disparates, qu’ils ornèrent récemment le petit Musée où ils s’affirment, d’enluminures et de cartouches? De tels séjours paraissent convenir aux œuvres d’un Henri de Braekeleer ou d’un Mellery, mais non pas d’un Memling. Ces peintres-là ont vécu en de pareilles résidences d’esprit et les ont traduites. Ils ont incarné en leurs panneaux l’usure et la déréliction des choses, l’humilité des métiers méticuleux, le silence des salles qui se souviennent, l’intimité des petits jardins, la gravité d’un vieil escalier, le visage pâle et ridé d’un mur triste. Leur art est un regret, tandis que celui de Memling est rayonnant d’espoir et de croyance.
Qualifier l’œuvre de Memling d’ascétique n’est guère juste, si l’on songe à l’art des Espagnols et de certains Italiens; la considérer comme triste et douloureuse serait folie; la nommer mystique sied assurément, mais en précisant le mot dans le sens de céleste et de séraphique.
Le mysticisme, bien qu’il ait été cultivé en Flandre, n’y a guère influencé la peinture; ses élans fous, ses amours gratuits, son incandescence n’ont point traversé le cœur des artistes de la cour de Bourgogne. Que l’on songe à Moralès, à Zurbaran, et aussitôt l’art de Memling se refroidit. La passion de Dieu, la folie divine en sont absentes. Il ignore même l’exaltation d’un Fra Angelico; à peine est-il touché par une similaire suavité. La douceur, il la connaît; la fraîcheur et l’innocence également. Mais avant tout il rêve d’un ciel qui enverrait ses anges ici-bas, en des résidences somptueuses, à la cour des ducs d’Occident ou sous les péristyles et les colonnades des banquiers d’Italie ou de Castille, établis à Bruges.
Il est le peintre d’un empyrée réduit aux proportions d’un oratoire où l’on entend des musiques pures, où des fleurs et des perles jonchent le sol, où des marbres étincellent, où des paysages éclatants apparaissent aux fenêtres. Ainsi conquiert-il sa place parmi les Flamands. C’est le milieu qui lui impose de telles conceptions, de même que c’est sa race qui le guide dans le choix de ses personnages doués d’émotion recueillie et d’âme germanique.
Au musée de Cologne, résident ses vrais initiateurs. C’est le vieux Meister Wilhem et encore plus Stéphan Lochner. La science flamande lui apprit à peindre mieux qu’eux: son dessin est ferme, arrêté, précis; aucune difficulté de métier ne le rebute. Sa couleur est sonore, franche, vivante. Il se débarrassa de toute mollesse, de toute rondeur flasque. L’art colonais s’enlise en des qualités moyennes, le sien se prouve haut, complet, magistral. Mais il reste fidèle au type de femmes et d’anges rhénans. Ses madones ont le front large et démesuré, le menton petit, le cou étroit; ses anges parfois sourient comme ils sourient là-bas. Ce n’est que peu à peu qu’il se dégage d’un poncif accepté et qu’il réagit contre les préceptes recueillis ailleurs.
Quand il se sera totalement conquis, il influencera à son tour, en compagnie de Roger Van der Weyden, les peintres allemands. Il leur apprendra plus qu’ils ne lui ont enseigné Jadis; il retournera en conquérant dans son pays, pour abolir ce qu’on pourrait appeler le tâtonnement germanique. Les maîtres inconnus de tel autel — je cite celui de Lyversberg — lui seront à tel point tributaires que leurs œuvres (à preuve la Crucifixion de la Collection Kums à Anvers) lui seront attribuées, par mégarde.
Memling apparaît tout à coup portraitiste, peintre de légendes religieuses et miniaturiste.
Outre les donateurs rangés aux volets de ses triptyques, il immortalisa les traits d’un grand nombre de ses contemporains. Trois portraits nous arrêteront.
Le premier (Musée de Bruxelles) est sévère et grand de style. C’est l’effigie de Guillaume Moreel, bourgmestre de Bruges. L’art d’Ingres est voisin de celui-ci: simplicité de moyens, dessin sobre et sûr, caractérisation austère et profonde. Aucun enjolivement, mais la gravité de la vie montrée chez un homme digne et probe. Le nez grand, la bouche sévère, l’attitude serrée, à mains jointes.
Voici Sybille Zandbeth (Hôpital Saint-Jean) portrait tout en délicatesse et atténuation. Les traits paraissent Vulgaires, mais les transparences des chairs à travers le voile, la couleur légère et nuancée de la tête, mille difficultés si simplement vaincues attirent. On rêve devant cette œuvre qui, lentement, s’indique mystérieuse. Ce hennin souple, Ces dehors de paysanne recluse, cette bouche à secret! Des contraires et des antagonismes semblent réunis en faisceau dans cette effigie, la plus étrange que le peintre nous ait laissée.
Enfin, sur un panneau de diptyque, apparaît l’admirable image de Martin Van Niewenhove.
Un oratoire, une fenêtre ouverte, la campagne; c’est le fond. A l’avant-plan se hausse, les mains réunies dans une attitude de prière, Martin Van Niewenhove. Un livre d’heures est ouvert devant lui. Visage pur, lèvres entr’ouvertes. La chevelure crêpelée descend sur les épaules; le costume riche, mais sobre; même attitude de gravité que dans le portrait de Moreels; mais, ici, le regard hardi, le cou puissant, l’air jeune, franc et sincère impose un type de jeunesse et de beauté naïve.
Ces trois panneaux sont des chefs-d’œuvre. On y peut surprendre le respect de la réalité allant jusqu’au scrupule, la recherche du trait essentiel, non point brutalement indiqué, mais patiemment cherché et sûrement proféré, l’étude de la vie intérieure, l’âme dévoilée, le caractère souligné de manière inoubliable. Memling est de la haute lignée des portraitistes dont les grands académiques français, les David et les Ingres, furent les derniers représentants.
Ses triptyques sacrés sont dispersés par l’Europe entière, à Danzig, Lubeck, Madrid, Munich, Florence, Bruxelles, Paris. Son sujet préféré ? l’adoration du Christ, soit qu’il la relie à la scène des bergers ou des mages à Bethléem, soit qu’il charge uniquement la Vierge Marie de présenter son fils du haut d’un trône. La disposition est presque toujours la même: Marie occupe le centre du panneau; à ses côtés se rangent des anges ou des personnages pieux ou des saints ou des saintes. A droite et à gauche, souvent entre des rangs de colonnes, sont ménagées des échappées de vue sur la campagne: des châteaux-forts se profilent, des cavaliers parcourent des routes, des rocs hérissés d’herbes escaladent les lointains, des chemins se déroulent parmi des verdures. Parfois, un port, mouvementé de voiles, apparaît.
Quelques panneaux semblent des redites. Ceux de Vienne et de Florence ne diffèrent guère.
L’Enfant Jésus ne s’éloigne que peu de la formule du temps: peau bridée sur l’ossature, geste identique du bras vers l’adorateur à genoux, tête trop grosse; apparence batracienne.
Marie se prouve plus allemande que flamande. Elle est rêveuse et tendre. C’est une vierge plus qu’une mère. Sa Poitrine est pauvre, nullement généreuse ni abondante.
Quant aux anges, ils sont d’une invention variée, ils constituent une nouvelle famille religieuse dans l’art. M. A. J. Wauters en fit la découverte bien avant nous. «Aucun peintre flamand, dit-il, n’a, dans son œuvre, fait jouer aux anges un rôle aussi important. Je ne lui connais pas moins de trente-deux panneaux où il les a introduits. Soit qu’il les place dans de vastes compositions, telles que le Jugement dernier ou l’Apocalypse, soit qu’il les peigne au pied du trône de la Vierge, offrant des fruits à Jésus enfant, ou lui donnant un concert céleste, soit encore qu’il les traite isolément, comme dans la châsse de Bruges, il nous les montre d’un type unique créé par lui. Ils ont de jolies têtes d’enfant avec de longs cheveux ondulés, séparés sur le front; ils portent pour vêtements, tantôt de superbes aubes blanches, tantôt de riches habits sacerdotaux ramagés d’or. Mais ce qui fait leur attrait bien plus que leur physionomie si douce et leur costume si somptueux, c’est le sentiment personnel et pénétrant qu’ils expriment, etc.»
Memling tenait de ses initiateurs, Meister Wilhelm et Meister Stephan Lochner, son goût passionné pour les anges. C’est d’eux qu’il procède quand il les fait entrer dans son art. A Cologne, la milice céleste est représentée avec prolixité. Les vieux maîtres l’imaginent avec des ailes violemment coloriées et coupées en forme d’ailes d’hirondelle.
L’idée primitive a donc été cueillie dans les pieux jardins d’art de la Germanie. Toutefois fut-elle élargie par Memling. Il a fait de ses anges de vrais personnages. Il les a dégagés de toute formule. Il leur a donné des caractères différents. Il en a fait une assemblée, au lieu de les maintenir au rang de la foule. Ce ne sont plus des anonymes, ce sont des acteurs. Dans la Vierge du Musée des offices, quelle différence d’expression caractérise les deux anges à genoux! L’un, celui qui présente le fruit à l’Enfant-Christ, est un ange allemand à tête charnue et bouclée, il sourit vaguement; l’autre, celui qui joue de la harpe, est grave, long, élancé, hiératique presque. C’est l’ange flamand, l’ange que les Van Eyck ont pressenti, mais que Memling a fait sien en le douant de sa tendresse et de son intimité douce. Si le Triptyque de Najera est vraiment du maître brugeois — et les raisons dont M. Wauters étaie son affirmation sont excellentes — jamais aucun peintre ne se sera prouvé aussi inventif dans sa création de types célestes que Memling. Tous ces instrumentistes sacrés semblent de même famille, mais tous sont divers d’allure et de visage. L’expression personnelle est donnée à chacun d’eux, et vraiment, devant une telle œuvre, on peut établir qu’il s’est trouvé, en ce monde, un peintre de l’Église triomphante, comme il s’en est trouvé — nombreux ceux-ci — de l’Église combattante et souffrante. On en pourrait conclure que Memling est le grand peintre du ciel.
A Danzig, s’impose le Jugement dernier, à Lubeck, la Passion, œuvres de dimensions larges, poèmes grandioses. Il nous fut donné d’admirer ce dernier. Certes, ne possède-t-il l’ordonnance supérieure, ni la vastitude du polyptyque de L’Agneau des Van Eyck, mais combien, dans sa gravité et sa douleur, le drame sacré se déploie! Au centre, le Calvaire. Panneau de droite: la Marche au Calvaire, le Jardin des Oliviers, le Baiser de Judas, le Christ chez Pilate, la Flagellation, le Couronnement d’épine, l’Ecce Homo. Panneau de gauche: la Mise au tombeau et la Résurrection, l’Apparition de Jésus à Marie-Madeleine, Saint Thomas, les Pélerins d’Emmaüs, l’Ascension. Enfin sur des volets: Saint Blaise, Saint Jean, Saint Jérôme, Saint Gilles. La date du polyptique? 1491.
L’ensemble est cyclique. Une des plus dramatiques religions des peuples aryens s’y démontre. La foi, la douleur, l’espoir y prient, y pleurent, y rayonnent tout à tour. L’église où ce chef-d’œuvre s’étale renferme en ses chapelles latérales les cercueils massifs d’une série d’évêques, posés sur les dalles. Le lieu est impressionnant. Il est silencieux. Des places gazonnées l’isolent de la ville; et c’est dans ce silence, en présence de ces morts serrés dans leurs gaines de plomb, que le tableau opère admirablement son œuvre d’enseignement chrétien et de funéraire exaltation.
Le Jugement dernier de Danzig ne fait, d’après M. Wauters, que s’inspirer dans sa conception et sa composition des oeuvres similaires de Roger Van der Weyden et de Stephan Lochner. Memling aurait donc réuni en ce triptyque l’enseignement de ces deux maîtres, dont l’influence, celle de Stephan à l’aurore, celle de Roger au midi de son évolution, se rencontre. Ce triptyque serait donc d’une indication précieuse; car, à notre sens, aucun historien d’art n’a fait suffisamment sentir combien Memling est tributaire des vieux artistes de Cologne. Tous parlent uniquement de son maître Van der Weyden. Nous avons essayé d’être exact et véridique en cet examen-ci. Au reste, plus on signalera l’influence germanique persistante, plus on expliquera cet art si nouveau en Flandre après les Van Eyck.
Comme miniaturiste, Memling peut s’étudier dans ses fonds de panneaux, qui, tous, semblent des pages détachées d’un missel. Aussi, dans certaines de petites dimensions, Par exemple, dans celles du salon carré, au Louvre; enfin et surtout, dans la Châsse de sainte Ursule.
Ici, encore, un poème est chanté. La sainte en est l’héroïne, blonde, douce, tendre, ingénue. L’atmosphère en est allemande. Le sujet est rhénan. La parenté s’indique. Ursule est la sœur des vierges et des saintes du Dombild de Cologne.
Quant au travail d’art, il est flamand. On ne se doutait point là-bas, d’une science aussi accomplie, d’une aussi aisée et complète interprétation des mouvements, d’une aussi ferme décision dans les tons et les couleurs, d’une harmonie aussi sonore et aussi habilement maintenue. Toutes les scènes sont vivantes et pathétiques. La minutie des détails ne dérange aucun ensemble. Fermeté et hardiesse, voilà ce qui hausse jusqu’au chef-d’œuvre cette série de petits panneaux parfaits.
Le catalogue des peintures de Hans Memling a été dressé. Il comprend 53 numéros, dont l’attribution est certaine; 9 autres sont à contrôler. La Belgique a conservé 14 ouvrages; l’Allemagne en possède 12; la France 9; l’Autriche-Hongrie et l’Italie, chacune 7; l’Espagne 2; les Pays-Bas 1; l’Angleterre en aurait 10.
On ne sait quand Memling naquit, mais on est fixé sur la date de sa mort. Le chroniqueur Romboubt de Doppere dut connaître Memling. Dès le mois de juin 1480, Memling payait une rente annuelle à la fabrique d’église dont de Doppere était greffier. Aussi consigne-t-il à la date du 11 août 1494 la mort de Memling et son enterrement à l’église de Saint-Gilles. Ces points ont été récemment acquis à l’histoire, grâce à des recherches précises et des investigations laborieuses.
Pendant longtemps, la fable inscrite au seuil de cette étude s’est substituée à l’histoire. Descamps, Viardot et Alfred Michiels l’inventèrent ou l’entretinrent. Grâce à MM. Carton, Weale et Gilliots, le remarquable archiviste brugeois, la voici remisée aux greniers de la légende, en compagnie de tant d’anecdotes banales et flasques comme des cornemuses crevées. C’était vieux, usé, naïf, mais ça chantait.
Le règne de Memling fut large et dominateur jusqu’au temps de la Renaissance. Il pesa sur ses successeurs immédiats, les Patinir, les Van der Meire, les Gérard David, les Marmion. Lui et Van der Weyden emplirent, plus même que les Van Eyck, le quinzième et le début du seizième siècle de leur influence. Ils répandirent partout la peinture religieuse savante et pittoresque. Leurs décors furent, à un Moment, ceux de toute la peinture européenne.
En Allemagne, ce furent les frères Dunwege et Frédéric de Herlen qui les imitèrent; à Colmar, ce fut Martin Schön. Même Wolgemuth, même Zeitblom, même Dürer doivent à Van der Weyden et à Memling une manière spéciale de voir et de disposer les scènes de leurs Nativités et de leurs Adorations des mages ou des bergers.
En France, les Nicolas Froment et les Fouquet ont été curieux de cet art septentrional et l’ont étudié et suivi.
En Italie, Antonello de Messine, qui vint à Bruges, non Pas au temps de Van Eyck, mais de Memling, redit à ses compatriotes les leçons apprises chez nous.
En Espagne et en Portugal, mêmes métamorphoses de la peinture locale. L’influence de Memling se découvre Presque dans chaque peintre portugais.
Elle est donc énorme la place qu’il tient dans l’histoire. On s’est demandé si son arrivée brusque parmi nous n’a Point troublé quelque peu le courant puissant et unifié qu’avaient provoqué les génies jumeaux des frères Van Eyck. Mais Roger Van der Weyden inclinait déjà l’art flamand vers l’émotion et vers la spiritualité ; Memling n’a fait que l’aider en sa révolution. Quoi qu’il en soit, son œuvre a provoqué la diversité dans notre art, il l’a étendu vers les domaines de l’âme, de la piété et de la beauté émue et profonde.