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Émile Gaboriau
Monsieur Lecoq
Partie 1.
 L'Enquête
Chapitre 17

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Arracher des aveux à un homme intéressé à se taire, et persuadé qu’il n’existe pas de preuves contre lui, c’est certes difficile.

Mais demander, dans de telles conditions, la vérité à une femme, c’est vouloir, dit-on au Palais, c’est prétendre confesser le diable.

Aussi, dès que M. Segmuller et Lecoq se trouvèrent seuls, ils se regardèrent d’un air qui disait leur inquiétude, et combien peu ils conservaient d’espoir.

En somme, qu’avait-il produit de positif, cet interrogatoire conduit avec cette dextérité du juge qui sait disposer et manier ses questions, comme un général sait manœuvrer ses troupes et les faire donner à propos ?

Il en ressortait la preuve irrécusable de la connivence de la veuve Chupin, et rien de plus.

– Cette coquine sait tout !… murmura Lecoq.

– Oui, répondit le juge, il m’est presque démontré qu’elle connaît les gens qui se trouvaient chez elle, les femmes, les victimes, le meurtrier, tous enfin. Mais il est certain qu’elle connaît ce Gustave… Je l’ai lu dans son œil. Il m’est prouvé qu’elle sait qui est ce Lacheneur, cet inconnu dont le soldat mourant voulait se venger, ce personnage mystérieux qui a, très évidemment, la clef de cette énigme. C’est cet homme qu’il faudrait retrouver….

– Ah ! je le retrouverai, s’écria Lecoq, quand je devrais questionner les onze cent mille hommes qui se promènent dans Paris !

C’était beaucoup promettre, à ce point que le juge, en dépit de ses préoccupations, se laissa aller à rire.

– Si seulement, poursuivit Lecoq, si seulement cette vieille sorcière se décidait à parler à son prochain interrogatoire !…

– Oui ! mais elle ne parlera pas.

Le jeune policier hocha la tête. Tel était bien son avis. Il ne se faisait pas illusion ; il avait reconnu entre les sourcils de la veuve Chupin ces plis qui trahissent l’idiote obstination de la brute.

– Les femmes ne parlent jamais, reprit le juge, et quand elles semblent se résigner à des révélations, c’est qu’elles espèrent avoir trouvé un artifice qui égarera les investigations. L’évidence, du moins, écrase l’homme le plus entêté ; elle lui casse bras et jambes, il cesse de lutter, il avoue. La femme, elle, se moque de l’évidence. Lui montre-t-on la lumière, elle ferme les yeux et répond : « Il fait nuit. » Qu’on lui tourne la tête vers le soleil qui l’éblouit de ses rayons et l’aveugle, elle persiste et répète : « Il fait nuit. » Les hommes, selon la sphère sociale où ils sont nés, imaginent et combinent des systèmes de défense différents. Les femmes n’ont qu’un système, quelle que soit leur condition. Elles nient quand même, toujours, et elles pleurent. Quand, au prochain interrogatoire, je pousserai la Chupin, soyez sûr qu’elle trouvera des larmes…

Dans son impatience, il frappa du pied. Il avait beau fouiller l’arsenal de ses moyens d’action, il n’y trouvait pas une arme pour briser cette résistance opiniâtre.

– Si seulement j’avais idée du mobile qui guide cette vieille femme, reprit-il. Mais pas un indice ! Qui me dira quel puissant intérêt lui commande le silence !… Serait-ce sa cause qu’elle défend ?… Est-elle complice ? Qui nous prouve qu’elle n’a pas aidé le meurtrier à combiner un guet-apens ?

– Oui, répondit lentement Lecoq, oui, cette supposition se présente naturellement à l’esprit. Mais l’accueillir, n’est-ce pas rejeter les prémices admises par monsieur le juge ?… Si la Chupin est complice, le meurtrier n’est pas le personnage que nous soupçonnons, il est simplement l’homme qu’il paraît être.

L’objection sembla convaincre M. Segmuller.

– Quoi, alors, s’écria-t-il, quoi !…

L’opinion du jeune policier était faite. Mais pouvait-il décider, lui, l’humble agent de la sûreté, quand un magistrat hésitait ?

Il comprit combien sa position lui imposait de réserve, et c’est du ton le plus modeste qu’il dit :

– Pourquoi le faux ivrogne n’aurait-il pas ébloui la Chupin en faisant briller à ses yeux les plus magnifiques espérances ? Pourquoi ne lui aurait-il pas promis de l’argent, une grosse somme ?…

Il s’interrompit, le greffier rentrait. Derrière lui s’avançait un garde de Paris qui demeura respectueusement sur le seuil, les talons sur la même ligne, la main droite à la visière du shako, la paume en dehors, le coude à la hauteur de l’œil … selon l’ordonnance.

– Monsieur, dit au juge ce militaire, monsieur le directeur de la prison m’envoie vous demander s’il doit maintenir la veuve Chupin au secret ; elle se désespère de cette mesure.

M. Segmuller se recueillit un moment.

– Certes, murmurait-il, répondant à quelque révolte de sa conscience, certes, c’est une terrible aggravation de peine, mais si je laisse cette femme communiquer avec les autres détenues, une vieille récidiviste comme elle trouvera sûrement un expédient pour faire parvenir des avis au dehors … Cela ne se peut, l’intérêt de la justice et de la vérité doit passer avant tout.

Cette dernière considération l’emporta.

– Il importe, commanda-t-il, que la prévenue reste au secret jusqu’à nouvel ordre.

Le garde de Paris laissa retomber la main du salut, porta le pied droit à trois pouces en arrière du talon gauche, fit demi-tour et s’éloigna au pas ordinaire.

La porte refermée, le souriant greffier tira de sa poche une large enveloppe.

– Voici, dit-il, une communication de monsieur le directeur.

Le juge rompit le cachet et lut à haute voix :

« Je ne saurais trop conseiller à monsieur le juge d’instruction de s’entourer de sérieuses précautions quand il interrogera le prévenu Mai.

« Depuis sa tentative avortée de suicide, ce prévenu est dans un tel état d’exaltation qu’on a dû lui laisser la camisole de force. Il n’a pas fermé l’œil de la nuit, et les gardiens qui l’ont veillé s’attendaient à tout moment à voir la folie se déclarer. Cependant il n’a pas prononcé une parole.

« Quand on lui a présenté des aliments ce matin, il les a repoussés avec horreur, et je ne serais pas éloigné de lui croire l’intention de se laisser mourir de faim.

« J’ai rarement vu un malfaiteur plus dangereux. Je le crois capable de se porter aux plus affreuses extrémités…. »

– Bigre !… exclama le greffier dont le sourire pâlit ; à la place de monsieur le juge, je ferais entrer les soldats qui vont amener ce gaillard-là.

– Quoi !… c’est vous, Goguet, fit doucement M. Segmuller, vous, un vieux greffier, qui parlez ainsi. Auriez-vous peur ?…

– Peur, moi ?… Certainement non, mais….

– Bast !… interrompit Lecoq, d’un ton qui trahissait sa confiance en sa prodigieuse vigueur, ne suis-je pas là !

Rien qu’en s’asseyant à son bureau, M. Segmuller eût eu comme un rempart entre le prévenu et lui. Il s’y tenait d’habitude ; mais après le mouvement d’effroi de son greffier, il eût rougi de paraître craindre.

Il se plaça donc près du feu, comme l’instant d’avant, quand il interrogeait la Chupin, et sonna pour donner l’ordre d’introduire l’homme, seul. Il insista sur ce mot : seul.

La seconde d’après, la porte s’ouvrait avec une violence terrible, et le meurtrier entrait, se précipitait, plutôt, dans le cabinet.

Le taureau qui s’échappe de l’abattoir, après avoir été manqué par la masse du boucher, a ces allures affolées, ces mouvements désordonnés et sauvages.

Goguet en blêmit derrière sa table, et Lecoq fit un pas, prêt à s’élancer.

Mais, arrivé au milieu de la pièce, l’homme s’arrêta, promenant autour de lui un regard perçant.

– Où est le juge ?… demanda-t-il d’une voix rauque.

– Le juge, c’est moi, répondit M. Segmuller.

– Non … l’autre.

– Quel autre ?

– Celui qui est venu me questionner hier soir.

– Il lui est arrivé un accident. En vous quittant il s’est cassé la jambe.

– Oh !…

– Et c’est moi qui le remplace….

Mais le prévenu semblait hors d’état d’entendre. À son exaltation frénétique succédait subitement un anéantissement mortel. Ses traits contractés par la rage se détendaient. Il était devenu livide, il chancelait…

– Remettez-vous, lui dit le juge d’un ton bienveillant, et si vous vous sentez trop faible pour rester debout, prenez un siège….

Déjà, par un prodige d’énergie, l’homme s’était redressé. Même une flamme, aussitôt éteinte, avait brillé dans ses yeux….

– Bien des merci de votre bonté, monsieur, répondit-il, mais ça ne sera rien… j’ai eu comme un éblouissement, il est passé.

– Il y a longtemps peut-être que vous n’avez mangé ?…

– Je n’ai rien mangé depuis que celui-ci, – il montrait Lecoq, – m’a apporté du pain et du jambon, au violon, là-bas.

– Sentez-vous le besoin de prendre quelque chose ?

– Non !… Quoique cependant … si c’était un effet de votre bonté… je boirais bien un verre d’eau.

– Voulez-vous du vin avec ?…

– J’aime mieux de l’eau pure.

On lui apporta ce qu’il demandait.

Aussitôt il se versa un premier verre qu’il avala d’un trait, puis un second qu’il vida lentement.

On eût dit qu’il buvait la vie. Il semblait renaître.

Monsieur Lecoq

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