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LE JOUR DE L’AN

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–Je vous la souhaite bonne et heureuse!..

Quelle mascarade que le jour de l’an! Les haines s’arrêtent, les mauvaises humeurs s’adoucissent, les gens récalcitrants font une trêve d’un jour dans leur assommante façon d’être!

Quelle quantité de grimaces, de sourires, d’expressions de physionomie bien fausses; on regarde–en se disant: demain, le vrai visage sera revenu; et, à la place de cette cordialité qui fait s’épanouir les narines, briller les yeux, qui donne un jeu bienveillant aux lèvres et aux lignes de la figure, nous verrons le même vrai museau maussade et antipathique, la même vraie moue quotidienne.

C’est une douce chose que l’humanité désarme au moins une journée dans trois cent soixante-cinq jours! C’est comme un épanouissement cette bonté de surface qui s’étale sur le masque des hommes et surtout des femmes. Je ne parle pas des enfants qui sont sincèrement et profondément heureux des jouets et des bonbons dont on les comble. Les haines, les envies, les ambitions, sont ravalées pour vingt-quatre heures, jusqu’au plus profond des individus. Le haineux a l’air d’aimer son semblable, l’envieux d’être infiniment charmé du bonheur d’autrui, l’ambitieux est d’une modestie sans pareille et n’a jamais pensé aux biens de ce monde1

Un bonheur universel flotte dans l’atmosphère, et il y a une telle électricité de joie d’être meilleur un seul jour, cela se répand tellement sur tous, chacun de nous est si imbibé de l’air qui circule dans l’espace, cet air généreux et léger qui donne la force d’être excellent, que celui qui regarde à ses deniers, l’avare de tous les jours, des dimanches et fêtes, se surprend à fouiller dans son portemonnaie, à en tirer une petite pièce blanche et à la donner à un pauvre. Le rayon de reconnaissance qui filtre à travers le regard du mendiant fait même plaisir à l’avare. Il sent comme un peu de baume couler sur son âme sèche de grippe-sou.



L’homme toujours en colère se calme. Il est effaré d’entendre sa voix qui ne mugit plus, de ne rien casser, de ne plus démolir son mobilier. Je sais bien que cela le repose (le furieux) et que le lendemain il pourra se mettre bien mieux en colère; mais les gens avec qui vit le coléreux ne seront pas moins ravis de n’entendre plus hurler au moins pendant une journée.

Les jaloux sentent leur serpent aux mille replis s’endormir, ils entendent des protestations sortir de la bouche aimée: protestations d’amour, de tendresse, de dévouement (confiseries de l’âme pour1er janvier), toutes choses éphémères, mais que le charme de la personne adorée affirme durables, tant le jour de l’an contient d’atomes crochus sympathiques.


Les querelles sont terminées, les personnes brouillées se débrouillent. Les projets de croyances, de bonne amitié, de rapports excellents, il faut les entendre!... Belles promesses qui se réaliseront au moins... une semaine!

Monde fragile et versatile, tu es faible comme une mouche. Un rien te détruit, un peu d’eau, un peu de feu, une pauvre petite rencontre de deux locomotives. Tu es à la merci d’un imprévu absurde. Un cheval de fiacre va enlever à ton admiration un brave soldat, un grand artiste, un orateur éminent, un savant considérable. Étant donné le peu que tu es, et ce que tu vaux, car tu vaux beaucoup cependant, monde affreusement lilliputien, quelle bizarre passion tu as de perdre le meilleur de ton temps à détester, à exécrer, à débiner, à mordre; de passer la plus grande partie des heures de ton année à commettre des crimes, à inventer des raffinements de vengeance, à médire, à écrire des lettres ânonymes, à remuer l’arsenal des plus exécrables sentiments que celui qui loge au ciel a mis dans toute créature humaine! Toute l’année –monde débile et étroit–tu ne penses qu’à faire le mal, qu’à donner raison aux impudents, à applaudir les médiocres, à dire merci quand on te baille un soufflet, à trouver supérieurs les impuissants, à tendre l’échine aux banquistes, à mériter le coup de soulier au bas des reins, à distiller les poisons de la vanité, de la suffisance bête, de la haine idiote, tu n’es heureux–monde inférieur–que lorque tu trônes sur des monceaux de petitesses imbéciles et méchantes!... Grâce au ciel, le jour de l’an, nous faisons: Ouf! et nous nous accordons un armistice que nous couvrons de fleurs, que nous submergeons de marrons glacés, de fondants, de lettres pleines de chaudes protestations, de cartes de visite cornées comme des diablesses, de rubans de la Légion d’honneur, de cadeaux ruineux, comme pour faire péni-tence de toutes nos fautes hebdomadaires et journalières!



Salut, jour de l’an, qui restitues au moins l’apparence de la générosité, qui suscites la noble ambition d’ouvrir grandement sa bourse et son cœur, qui donne un essor nouveau à l’amitié, au dévouement, qui nous fait souvenir qu’il y a autre chose que les misérables déboires de l’existence; que le cœur est à sa place, qu’il est même haut placé dans la poitrine, que les mains fermées savent s’ouvrir, que le pardon et l’oubli des injures sont de ce monde, que l’enthousiasme à faire le bien n’a pas été tué dans le combat de la vie, que ceux qui font partie intégrante de nous-mêmes, mères, femmes, sœurs, amis, enfants, ont bien dans le coin sacré du cœur une place que les horreurs de la terre ne pourront jamais atteindre, qu’il y a en nous une poussée de beaux instincts, de grands sentiments, que toi, cher jour de l’an, tu fais repartir de plus belle, et que tous ces hommes de proie, ces femmes dont on a trop médi, sont des êtres bien extraordinaires et bien charmants, puisqu’en un seul jour ils font tout oublier par leurs étreintes et leurs embrassements sincères. Le1er janvier, jour de l’an, arrive au milieu de nous comme un magicien corrigeant les méchants, donnant aux bons l’occasion de se manifester joliment.

Miracle inouï! La concorde règne sur tous. Nous devenons généreux, magnanimes, divins! puisque pour nos étrennes nous nous aimons –un jour–les uns les autres!

–Je vous la souhaite bonne et heureuse!...


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