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ОглавлениеSOUVENIR DE LA FOIRE AUX TUILERIES
En lisant ce titre, on va croire que le prince Napoléon a réintégré l’habitation de son sèdantaire cousin. Ce n’est pas de Plonplon qu’il s’agit, mais de l’horrible ramassis de divertissements qui s’est installé en face les constructions monumentales et rectilignes de la belle rue de Rivoli.
C’est à cause d’Ischia qu’ils ont eu, les vilains forains, la permission de venir jeter une note vermineuse dans ce beau jardin où d’ordinaire les statues se dressent, blanches, dans leur silence de marbre, où les splendides frondaisons chantent la magistrale chanson du vent!
Au milieu de ce vert différemment teinté, rappelant tour à tour Corot et Diaz, de sales baraques ont été alignées et une odeur de pétrole, de fauves et de somnambules empoisonne le nez des délicats.
Ici la ménagerie Pezon, immense parallélogramme rempli d’animaux anciennement féroces, envoie vers le ciel des rugissements rauques qui rappellent de grandes pièces de drap qu’on déchirerait dans une Belle Jardinière gigantesque. Pezon, avec sa tête de vieux cabot de Carpentras, morigène les rois du désert comme un oncle morigène ses neveux; il leur flanque des gifles et campe des coups de pied dans leur derrière de lions, pendant qu’une musique polonaise embête autant les oreilles que la puanteur des fauves agace les narines.–En somme tous ces animaux sont de méchantes descentes de lit! Il manque dans une cage quelques belles-mères.
Là, des bateaux à voile vous offrent un tel mal de cœur que c’est à en vomir toute sa parenté. On appelle ce jeu divertissant: La mer sur la terre!–30centimes par personne, c’est pour rien. Le tangage est simulé merveilleusement aux sons d’un orgue de barbarie... les bateaux sont aussi de barbarie, mon ami, car tout le monde crie pour oublier la nausée qui vous empoigne au second tour. Les navigateurs de six sous sont blancs comme du linge. Ah! on s’amuse bien! Les arbres des environs doivent en savoir quelque chose! C’est le vrai mal de terre. Plusieurs Alphonses font bonne figure dans ces embarcations; les Alphonses ont le pied marin.
Voici la grande baraque de Cocherie, on met complet comme sur un omnibus pour montrer à la foule que la baraque est bondée d’amateurs de spectacles féeriques; car on joue les Pilules du diable que le public avale sans douleur–ça doit mieux passer que le mal de mer sur la terre... c’est peut-être de l’autre côté que ça cause des dommages...
Cocherie! Presque un nom de ministre... et à deux pas de la Grande Poste!
Les somnambules abondent près de l’exdemeure de Napoléon III. (Autre somnambule!)
On lit Science et Progrès sur des plaques en tôle à la porte de leur lit,–car l’intérieur de leur roulante représente un lit1
Faut-il se coucher?... Dieu!! Ça sent... l’intérieur d’une chambre de somnambule.– Quelques gogos s’y risquent–sans prendre comme avertissement le nom de la somnambule, qui s’appelle presque toujours: Prudence!
Les vélocipèdes de bois ont remplacé les chevaux et font concurrence avec les bateaux à voile aux anciens coursiers peints qui ont inspiré à Verlaine ce beau vers:
Tournez, tournez sans espoir de foin!
On file comme la tempête sur les vélocipèdes –comme jadis filait le fils du troisième Napoléon.
Ici on essaie sa force en tenant des boules électriques couleur sirop de groseille, là on gagne des lapins maigres ou des dragées exécrables. Puis ce sont les lutteurs qui étalent leurs muscles salis,–des femmes torpilles qui font sauter le cœur des idiots!
C’est lamentable ces haillons infects, ces loqueteux sans caractère, ces misères antipittoresques.
Et dire que c’est Ischia, un malheur italien, qui nous vaut ce malheur parisien!
Banquistes, affreux funambules, vendeurs de frites, retournez loin du centre de la grande ville. Réintégrez les boulevards extérieurs, les faubourgs, les barrières, les villages, ne nous asphyxiez plus. Le grand souffle populaire qui passe sur nos têtes, comme disent les blagueurs socialistes, ne nous électrise pas.
Vous puez la loque et la puce, nous aimons mieux la simple odeur de Paris.