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COMMENT ON DEVIENT UN COMIQUE

Table des matières

Je suis venu à Paris avec la ferme intention de jouer les amoureux.


La passion du théâtre s’est révélée à moi vers quatre ans en entendant mon frère déclamer des rôles avec un sérieux, une ampleur extraordinaires chez un acteur âgé de onze ans. Je me mis à l’imiter, à faire des gestes et à dire: «Ouah! ouah! ouah!» comme un tout petit comédien.

Chemise au derrière, je suivais partout Coquelin. Il récitait si bien! Je me sentais grandir en l’écoutant.

Mon frère avait la fureur du théâtre; il semblait en répandre autour de lui.

Jeune pâtissier, il laissait brûler les tartes dans le four, oubliait de servir la clientèle, ouvrait la bouche pour déclamer quand on lui demandait un pain.

–Donnez-moi une brioche de six sous.

A peine nous sortions des portes de Trézène...

répondait Coquelin.

Moi, je faisais les commissions. Plus jeune pâtissier, j’allais porter des petits gâteaux à domicile. Je me trompais de rue, je n’arrivais jamais chez mon client; mitronnet obsédé, je restais assis au bas des remparts de Boulogne-sur-Mer, poursuivi par le souvenir de Coquelin ainé dans tous les rôles qu’il jouait à seize ans, en amateur, au théâtre de la ville. C’était dans une salle improvisée qu’on appelait la Baraque.

La Baraque et Coquelin passaient et repassaient dans mon petit cerveau comme quelque chose de féerique, de divin. Je revoyais l’ainé acclamé par tout Boulogne dans le Mousse, Pauvre Jacques, le Gamin de Paris, Brelan de troupiers, l’Omelette fantastique.


Je restais assis, tarte de douze sous au poing, rechantant quelques bribes d’un couplet, récitant la fin d’une tirade, esquissant d’un bras timide un grand diable de geste, faisant le vieux avec ma tarte, fou d’amour pour un art auquel il me semblait que je ne pourrais jamais toucher.

J’étais alors–chose étrange–un gentil petit adolescent, avec de beaux cheveux d’une couleur rare, d’un blond cendré très pur. J’avais un visage un peu long, mais régulier. Je me suis déformé depuis. Les vieilles Anglaises à lunettes de Boulogne me lorgnaient; elles auraient désiré avoir un fils comme le petit Coquelin. Mon air britannique les séduisait, et, quoique pâlot et ressemblant, comme le disait le grand paysagiste Cazin, à un pain d’un sou peu cuit, les longues vieilles Anglaises à lunettes m’auraient adopté avec plaisir et emporté en Angleterre.

Plus j’avançais en âge, plus j’aimais le théâtre.

Coquelin était déjà parti pour le Conservatoire. Moi, j’étais au collège. J’y faisais un tas de singeries qui m’avaient fait surnommer le Comèdien.

Les grimaces et les tirages de langue avec des expressions diverses étaient les manifestations comiques extérieures dont je donnais un échantillon varié. On aurait pu croire à la jeunesse d’un mime.

D’une physionomie très mobile, je singeais surtout les gens navrés; j’avais une collection de visages lugubres que je changeais à volonté et qui provoquaient l’hilarité.

Je me mis à apprendre quelques rôles. J’avais un amour profond pour le genre sérieux; je me sentais mis au monde pour jouer Ruy Blas, le Roman d’un jeune homme pauvre.

Je jouais les scènes dans ma chambre, en poussant des éclats de voix qui effrayaient les chats dans la cour, en pleurant sur mon oreiller, brisé par une douleur qui me faisait un plaisir infini: plus je pleurais, plus j’étais content. J’étais fort mauvais.

Je n’avais qu’une bonne chose à mon actif de futur comédien: de la sensibilité. Appréciable qualité, si l’on se souvient que Talma a dit dans ses Mémoires qu’il donnerait dix comédiens intelligents pour un comédien sensible.

Je pleurais à chaudes larmes en récitant Ruy Blas,–beaucoup trop. La douleur de Ruy Blas est immense: la mienne était interminable.

Comme je me sentais l’étoffe d’un Laferrière, il fallait tenter d’entrer au Conservatoire. Je ne fis aucune confidence à ma famille. Un ami, M. Huret, fabricant de tissus de lin, à Pont-de-Briques, près Boulogne, eut mon secret et ma première récitation d’un rôle.

Jallai lui dire Ruy Blas. Ce rôle me ravissait. Être aimé d’une reine, moi... Quel bonheur1

Mon émotion était grande en arrivant chez M. Huret. Je le vois toujours m’écoutant, assis sur un grand canapé.

Je commence:

... Donne-moi ta main, que je la serre,

Comme en cet heureux temps de joie et de misère.

Avec une voix étranglée, le son sortait à peine: j’avais la gorge serrée, les joues exagérément pâles. C’était idiot, cette peur immense. En somme, M. Huret possédait une usine de tissus de lin très importante, mais n’était pas un juge sans appel, quoiqu’il eût eu jadis la passion du théâtre.

J’avais une vibration énorme, mon regard était très mouillé. Après la scène de Ruy Blas et de Don César, au premier acte, je tombai anéanti sur un fauteuil. Et il y avait de quoi, j’avais mis beaucoup trop de force, j’avais fait un abus extraordinaire de bras levés au ciel, d’yeux blancs, de mouvements fébriles de jambes.

J’attendis mon arrêt de mort–ou de vie; car, si l’ami consulté m’avait dit que je ne pouvais pas entrer au théâtre, c’était ma mort. Il se prit à réfléchir, et au bout de plusieurs minutes qui me parurent des siècles, il ouvrit la bouche et me dit:

–Vous serez comédien... Seulement...

–Seulement?... m’écriai-je anxieux.

–Seulement, il faudra desserrer les dents. Vous avez l’air de mordre votre rôle. Si vous pouvez vaincre ce défaut, vous jouerez les amoureux.

Je me sentis vivre: j’étais sacré jeune premier par le filateur!

Rien ne s’opposait à ce que je jouasse l’emploi sérieux. Au contraire, mon frère était engagé comme comique à la Comédie-Française; c’était parfait. Lui jouerait les valets, moi les maîtres.

A. cette époque, après avoir été professeur de français en Angleterre, j’étais employé auxiliaire à la gare de Boulogne. Employé de chemin de fer exécrable, ne pensant qu’au rôle de Castellano dans l’Ange de minuit.

Deux mois après mon audition chez M. Huret, je partais pour Paris, à la conquête de. la gloire. C’était décidé, j’allais être comédien.

Je soignais ma tenue d’amoureux, me défiant de l’impression que pourrait faire sur le jury du Conservatoire le frère d’un comique. J’avais un habit bleu à petites côtes que je mettais le dimanche en Angleterre.

Voici le jour de l’examen. Je soigne ma raie. J’avais un col de chemise très blanc, un pantalon suffisamment noir, mon habit bleu, une peur idem. Je parais en tremblant devant M. Auber et ses acolytes, MM. Ed. Thierry, Samson, Provost, Regnier, Beauvallet, Augustine Brohan. Quels juges!

Brrr! Je me sens très examiné. J’attaque la scène de Clitandre des Femmes savantes, du premier acte:

Non, madame: mon cœur, qui dissimule peu,

Ne sent nulle contrainte à faire un libre aveu.

Après ces deux vers, je me sens mieux. La peur s’éloigne.

Dans aucun embarras un tel pas ne me jette;

Et j’avouerai tout haut, d’une âme franche et nette,

Mon aplomb est revenu. Je vais faire honneur à ma signature.

Que les tendres liens où je suis arrêté,

Mon amour et mes vœux...

Je m’arrête. Je regarde Henriette avec une expression (enflammée et discrète, une expression d’homme de cour. Je fais mon œil. J’attends deux secondes, et quand l’électricité de mon regard est épuisée, je dis avec chaleur:

... Sont tout de ce côté!

Je finis ma tirade. Après quoi un coup de cloche donné par M. Auber m’avertit qu’on en a entendu assez.

Je retourne chez moi anxieux, attendant le soir avec impatience pour connaître mon sort. Je reçois une lettre du Conservatoire. Reçu!

Le lendemain, mon frère me présente à M Regnier, qui devait être mon professeur. Je faisais mon mirliflor, j’étais élève au Conservatoire, j’agitais la jambe, je portais haut la tête, je me passais d’une façon romantique la main dans la chevelure. Je me croyais quelqu’un.

–Il jouera les amoureux, dit mon frère à M. Regnier.

–Pas sûr, répondit le maître, le jury l’a trouvé drôle dans Clitandre et pas beau.

Le frère fut interloqué, puis furieux,–moi aussi. Coquelin commence à faire l’inventaire de tous mes charmes: «Je vous assure qu’arrangé avec des habits bien faits, du fard, de la poudre, il sera très gentil, ce petit.»

«Eh bien, dit le grand comédien, vous mamènerez votre frère en habit à la française, avec des bottes à revers, et nous verrons comment il est bâti.»

Plusieurs jours après, je fus au Conservatoire sans habit à la française, avec celui de mon examen, le bleu à côtes d’Angleterre. Je m’étais frisé pour donner un démenti formel aux gens qui ne me trouvaient pas joli et je répétai de nouveau, mais pour la première fois devant les élèves, le même rôle de Clitandre.

Je vis des sourires sur les visages de Prudhon, Charpentier, Edgar Monteil, Jourdan, Gaston Lemay, Schnegans, qui se destinaient aux amoureux avec un physique ad hoc, parait-il.

Voyons, mon ami, me dit M. Regnier, après que j’eus fini, ne savez-vous pas quelques fragments de rôles comiques?

–Mais oui, monsieur.

–Récitez-m’en un.

Je me mis en devoir de réciter Gros-René, du Dépit amoureux.

Les élèves se mirent à sourire de nouveau, mais plus de la même façon que tout à l’heure.


Je dis ensuite le monologue de Petit-Jean, des Plaideurs. Je fis rire tout le monde, cette fois; ce monologue eut l’air d’un pronostic.

–Eh bien, mon enfant, me dit M. Regnier, à l’avenir vous vous ferez défriser; si vous savez des rôles tragiques, vous les oublierez; vous avez lœil riant, la tête drôle, le nez de la famille, vous ferez comme votre frère, vous jouerez les comiques, et tâchez de les jouer aussi bien que lui.


–J’essaierai, monsieur Regnier.

Et voilà comment on devient un comique.

Pirouettes

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