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UN CONCERT

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1s’agit d’un de ces concerts comme il y en a trop souvent à Paris, hélas!

Sur le programme, on lit des noms qui semblent sortir de terre pour étonner le public par leur complète absence de célébrité.

D’où viennent ces artistes1On ne le saura jamais..... heureusement pour leur terre natale! Violonistes, pianistes, flûtistes, monologuistes, clarinettistes, organistes, violoncellistes, harpistes, romancistes, tous noms en istes.

Le public–mouton bonasse–répond à l’appel de ces inconnus. Le concert commence –la salle est suffisamment pleine–et les gens qui composent l’auditoire sont d’un naturel doux.

Un romanciste (numéro un) commence,


Il chante avec une voix de pierrot malade. On entend à peine:

Petit caillou,

Toi que mon pied repousse!

Il veut faire un trille à la fin, c’est un gargarisme pointu. Le public ne bouge pas. Le romanciste salue d’une façon interminable et se retire sans un bravo.

Un violoncelliste dont le nom finit en nann –très accrédité, là-bas... à Chose... Machin, –entre avec des bras d’une longueur démesurée et inquiétante; il s’assied: sa chevelure se met à l’instant à balayer les cordes du violoncelle. (On dit violonchelle dans les orchestres.) Ce violoncelliste capillaire scie, scie, scie sa malheureuse boîte à sons; il fait trembler ses doigts, écrase l’archet sur la quatrième corde.–Il sue et joue faux.


Il sort, la chemise à tordre, après avoir salué à n’en plus finir.

Le public ne bouge pas. Le violoncelliste se retire sans un bravo.

Un monologuiste paraît; il est blond, il imite les bons diseurs de monologues, mais d’une façon si funèbre que le public croit que le récitant lui annonce la mort d’un proche parent. Ce qu’il récite est d’un comique irrésistible, paraît-il, mais tout cela est dit si funèbrement que quelques vieilles dames versent des larmes en murmurant: «Pauvre garçon!» Le diseur de monologues a hurlé le dernier mot de son soliloque;–pas un rire n’est sorti de la foule, qui ébauche un premier murmure.

Le monologuiste se retire, après avoir beaucoup salué, sans un bravo.

«Tiou! Tiou! Tiou!» c’est le flûtiste. Le misérable aune fluxion! 11gonfle ses joues d’une telle façon, sur sa flûte, qu’il ressemble à quelque chose d’inconvenant qui s’assoirait sur une travée trop étroite. Il met ses doigts à côté des trous, il les relève trop tard, il souffle trop fort, deux ou trois fois il pousse des cris lamentables au milieu de sa mélodie. Le public grogne.

Le flûtiste s’évanouit, revient à la vie, et sort sans saluer, suivi de quelques grognements. Jusque-là on n’a pas vu la couleur d’un bravo.


Le ’pianiste arrive, casse un piano et sort raide. Comme il est bossu, le public sourit enpensant: «Au moins, il a la bosse du cassage des pianos, celui-là!»


Arrêt. Le domestique de la salle des Concerts apporte la pancarte sur laquelle on lit: Entr’acte. Le public éclate en applaudissements frénétiques. Il n’y a qu’entr’acte qui ait eu du succès jusque-là,


Au bout d’un quart d’heure, le public se rassied. Avant, il est allé se dire dans les couloirs: «Qu’est-ce que c’est que ce concert-là? Où a-t-on déniché de pareils artistes? Sommes-nous à Carpentras1Quel beuglant!»

Une jeune harpiste de neuf ans ouvre la seconde partie. Elle se trompe d’air à chaque mi nute–et envoie sur le public un vrai potpourri de vieilles complaintes. La seule consolation, c’est qu’elle louche–et que son morceau (varié) dure une heure.


Le public murmure. La jeune harpiste sort sans un bravo.

Deux sœurs–deux cantatrices étrangères (du Sénégal vu leur teint) entrent et chantent le duo de Sémiramis. Le public semouchetellement qu’il n’y a pas moyen de continuer; elles sortent, reconduites par le bruit du nez du public.

Elles filent sans un bravo–heureusement qu’elles sont décorées d’un ordre étranger.

Un clarinettiste et un hautboïste se hasardent après les deux sœurs. Ils jouent un duo qui est une telle purée de couacs, que, de tous les coins de la salle, on entend sortir couin! couin!


Pas un bravo–les deux canards sortent sans l’ombre d’un bravo.

Le monologuiste revient, un monsieur se lève dans la salle, et donne l’ordre au monologuiste, au nom de l’assemblée, de se retirer à l’instant même s’il ne veut pas être châtié.

Le monologuiste sort sans demander son reste. L’auditoire félicite le courageux spectateur.

Les deux sœurs négresses demandent à recommencer Sémiramis. On le leur permet. Le public, prenant en considération leur couleur, –ne bouge pas et garde un silence noir.


Elles sortent furibondes sans un bravo.

Arrive l’organisateur du concert dans un état effrayant, les yeux hors de la tête:

«Mesdames et messieurs, un grand malheur... M. Roussin, fort ténor, étant souffrant, n’a pu se rendre au concert. Il va être remplacé par le jeune monologuiste.» Protestations unanimes dans l’auditoire: «Non! non! non! nous n’en voulons pas!»

–Voulez-vous le pianiste?

–Non! non!

–Voulez-vous le clarinettiste?

–Non! Non! Non!

Voulez-vous la jeune harpiste!

–Non! Non! Non! Non!

–Que voulez-vous? Le flûtiste?

–Nous voulons que ça finisse!!!

–Eh bien, mesdames et messieurs, c’est fini!

Des tonnerres d’applaudissements éclatent, –et se prolongent jusque dans la rue.

–Deux personnes causent du concert à la sortie: «En somme, disaient-elles, le succès a été pour Entr’acte et pour quand c’a été finiste ! »

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