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CAUCHEMAR DE COMÉDIEN

Table des matières

Le comédien X***, que tout Paris applaudit, a une existence tourmentée, que nous qualifierons de chemindefereuse, si nous ne tenions en grand respect cette vieille bonne femme d’Académie.

Un comédien toujours en wagon, secoué par la trépidation, doit avoir une imagination surexcitée; avec cela si l’estomac est paresseux, malgré les secousses du chemin de fer, les nuits sont troublées par des rêves qui n’ont rien de mahométan; les cauchemars abondent, et de terribles visions viennent traverser le sommeil du comédien-voyageur.

L’autre soir, après avoir été acclamé–selon son habitude–au casino de Crabe-sur-Mer, le nomade artiste rentra dans sa chambre et se coucha.

Il s’agitait sur son lit, l’oreille toute bourdonnante des applaudissements, la tête pleine du souvenir des exquis visages de femmes qui s’étaient épanouis en l’écoutant.–Ces comédiens sont vraiment veinards: ils possèdent l’àme des jolies spectatrices au moment où leur talent éclate vainqueur dans un mot, dans un geste, dans un regard;–c’est inouï ce qu’il y a dans la physionomie des jolies femmes à ce moment psychologique!... L’acteur X***, qui avait fait dans la soirée tant de conquêtes d’âmes, avait du mal à s’endormir... Enfin, le repos vint, mais quel repos! hanté d’un cauchemar dont rien ne peut égaler l’horreur.

Deux énormes mégères passaient et repassaient comme des papillons monstrueux dans le rêve de l’acteur X***. La première mégère avait un physique de formidable portière, un ventre affreusement bombé, des épaules gigantesques, des petits bras courts, et au bout de ces bras des doigts qui se fourraient toujours dans le nez, des oreilles comme des chaussons de lisière, des lunettes sur un nez lourdement en trompette, plus des cheveux gris coupés ras.

L’autre mégère était aussi énorme que sa collègue avec un visage largement blafard, un nez en pied de marmite, le sourcil très noir, comme un gros galon collé au-dessus d’un œil noir sans chaleur (un œil excellent pour l’été!), une poitrine croulante;–et–chose étrange!–les deux grosses portières bourdonnaient comme deux papillons fabuleux autour du comédien terrifié, en brandissant des feuilletons pleins de fautes de goût, d’orthographe et de finesse; elles avaient toutes les deux de la barbe: la première un long poil gris formant un fourré broussailleux et grisonnant sous le nez, le long des joues et sous une bouche fortement sensuelle;–la seconde, une barbe en fer à cheval, une barbe de baryton de province!

Horreur!! ces deux vilaines portières ressemblaient à *** et à *** et voulaient embrasser le comédien!...

L’artiste se réveilla baigné de sueur (triste bain au bord de la mer!), s’habilla rapidement, courut se promener sur le galet de Crabe-sur-Mer, pour oublier l’ignoble rêve, et jura de ne plus jamais lire les journaux!

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