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MA POLITIQUE

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Hier, le directeur du Matin m’a envoyé dire de très bon matin (comme le journal), qu’il voulait absolument ma profession de foi politique.

Je lui ai fait répondre que je n’avais pas de foi comme homme politique, que j’étais un homme de bonne foi civile, artistique, littéraire,–si l’on peut donner ce qualificatif aux pirouettes, qui sont sorties de ma plume; mais que, comme homme politique, je n’existais pas, estimant que, pour un artiste, la meilleure politique, c’est de n’en pas faire.

–Si, m’a dit le reporter en chef du Matin, vous cachez votre jeu, vous devez être un homme politique, et vous allez vous expliquer, monsieur Cadet.

–Je vous affirme qu’il y a un Cadet à la Chambre qui peut dire quelque chose sur la politique,–mais pas moi; mon nom a été donné, il est vrai, à une rue. J’avais peur que ce nom fut changé; heureusement, tant que mon homonyme Cadet sera à la Chambre, on n’y touchera pas. Ce nom de rue n’implique pas que je puisse dire ce que c’est que la politique.

–Faites un effort, cher artiste, et supposez-vous pérorant à la Chambre.

–Malheureux! mais rien que la pensée de me trouver en présence de tous ces cochers du Char de l’État me fait frissonner des pieds à la tête! J’aimerais mieux jouer au Théâtre-Français devant vingt-huit Mardis réunis, que de me supposer, une seconde, discourant en face de cet hémicycle plein de la crème intellectuelle de la France! Dire quelque chose à ces êtres d’élite qui tiennent dans leurs mains les destinées de mon pays, proférer un monologue politique à la barbe de ces gens qui ont la veine de voyager à l’œil sur tous nos chemins de fer jamais, jamais je n’oserais!

Ou alors, si j’y étais contraint par une force irrésistible, je dirais, après avoir humecté ma jeune lèvre au verre d’eau sucrée qui décore la tribune:

«Messieurs... Mesdames... Non, messieurs, la politique extérieure... extérieure... Boulevard extérieur...»–et je m’évanouirais...

Et, à travers ma syncope, il me semble que je verrais danser autour de moi les Centres qui perdraient de leur gravité, la Droite, qui ne l’est pas toujours, la Gauche qui se dit du côté du cœur de la France, l’Union, qui ne fait pas toujours la force, quoique républicaine, l’extrême Gauche, l’extrême Droite qui ne sont pas plus à gauche ni plus à droite que les autres à la Chambre.


Je sentirais derrière moi le chapeau aux larges ailes du président voler sur ma tête comme un vaste éteignoir pour exterminer mon pauvre petit feu oratoire–mince chandelle parlementaire!–Je verrais grimacer les rictus de nos honorables! Deux très illustres et très longs favoris effleureraient mes joues pâles. Je verrais s’allonger et venir me poignarder les superbes moustaches en crocs du capitan député. J’apercevrais, plus étincelants que jamais, les deux yeux d’un docteur de talent qui n’est pas pour la clémence oh! non! J’entendrais tonner la voix d’un barde méridional; même la physionomie, fine et assyrienne de celui qu’on nomme le Magnifique, deviendrait terrible; un fort blond, à l’œil bleu, m’anathématiserait au nom de Béranger; la Corse entière descendrait dans l’arène pour me crier: «Qu’entre l’Art et les Corses il ne faut pas mettre le doigt!» Le groupeur sympathique me traiterait de turquet à maure; le ministre, qui présida aux destinées des céréales, me poursuivrait avec un mérite agricole si lourd qu’il m’écraserait si je l’acceptais; l’homme aux charmantes redingotes, l’élégant député d’Ille-et-Vilaine, me crierait: «Il est vilain!» Camille, changé en justicier sévère, mais injuste, déclamerait:

Cadet, l’unique objet de mon ressentiment!

ça me rappellerait le Théâtre-Français; l’auteur du Roman d’une conspiration, qui adore les bons comédiens, me sifflerait impitoyablement comme Sarcey, avec ranc-une; le jeune défenseur de l’horloger-poëlier me déclarerait la guerre; une voix sortant d’un foulard inondé d’une chevelure farouche m’enverrait au diable, radicalement; le brillant député de Paris, qui ressemble à Gérôme, me rappel-lerait à l’ordre: enfin je verrais mon frère dans la tribune du public, étendre ses deux bras pour me maudire de débuter si mal sur ce théâtre, moins français que celui de la rue de Richelieu!

La Chambre serait debout, j’occasionnerais une levée en masse des députés, qui, tous, me menaceraient de leurs couteaux à papier!

Il y a une image qui représente Notre-Dame des-Sept-Douleurs, moi je serais Notre-Homme-des-537-Douleurs, car j’aurais 537couteaux à papier qui me darderaient d’une façon peu parlementaire! On m’expulserait de la tribune comme on expulsa jadis un ouvrier qui en demandait beaucoup probablement, et l’on me mettrait dans le petit local, qui serait bien exigu pour un grand orateur comme moi!...

Telle est la vision que me cause votre idée; vous voyez qu’il m’est impossible de jouer un rôle d’homme politique, fût-ce au profit des lecteurs du Matin.

–Voyons, voyons, remettez-vous, jeune et sympathique interviewé (me fit mielleusement le reporter); mon patron sera furieux si je ne lui rapporte pas la couleur de vos opinions, dites-moi quel serait votre programme si vous étiez député?

–Enfin, monsieur, je trouve votre maître bien exigeant de vous envoyer sonder mon âme et savoir quelle est mon opinion politique. Je comprends que la France et l’Europe soient anxieuses de la connaître à la veille des élections, mais enfin votre insistance est tyrannique!... Ça ne se fait pas, cela!... c’est le comble de l’indiscrétion... Et si je n’en ai pas, moi, d’opinion politique!... je serai à jamais déshonoré aux yeux de mon pays qui ouvre toutes grandes ses oreilles pour savoir ce que pense un de ses joyeux enfants.– Puis-je décemment dire:

«Citoyens!

» Vous voulez mon programme? Voyez ce » qu’on joue au Théâtre-Français... Pardon, » je me trompe. Je n’ai pas de programme!»

On dirait: «En voilà un imbécile qui ne s’occupe pas de la Chose publique.»

Et si je dis que je suis ceci... que je suis cela... que j’étais... mais que je suis devenu... que je ne suis plus... que je voudrais bien être... que... que...

Je me mettrais mal avec les uns ou avec les autres partis, et, dans ma position, je suis obligé de cacher mes préférences. Je ne dois pas me mettre dans l’embarras pour faire plaisir à un ami.

Dites que je garderai un silence aussi profond que diplomatique, sur le scrutin de liste, le service militaire et les élections, que je ne veux m’aliéner ni la Noblesse, ni le Clergé, ni le Tiers-Etat; si votre maître veut un monologue,–indépendant–j’irai lui en réciter un à domicile.

Et puis, monsieur, je n’ai que deux cris dans le gosier et dans la poitrine, ces deux cris–intransigeants–sont: «Vive la France et vive la Comédie-Française!

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