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VI
ОглавлениеSur le chapitre de ces petits papiers bleus qu’il distribue ainsi, à droite, à gauche, dans les plus belles et luxueuses maisons comme quelquefois dans la demeure du pauvre, le petit employé au télégraphe est aussi ignorant que son oiseau. Il porte avec lui joie ou douleur, grande ou petite nouvelle, des messages qui arrivent d’au-delà des mers, ou seulement de Paris et de France. La dépêche remise, il ne s’arrête même pas pour en voir l’effet sur les visages. Il n’éprouve aucune curiosité à cet égard.. Lui parti, il ne sait pas si la main a tremblé de joyeuse impatience ou d’appréhension douloureuse, si elle a hésité avant de briser la frêle fermeture. Peut-être était-ce la ruine, peut-être la fortune, le deuil cruel ou l’annonce d’un heureux revoir. Peut-être seulement la chose la plus indifférente du monde, chez ceux qui se payent le télégraphe pour des riens.
Félix fait son ouvrage et ne chôme pas en route comme beaucoup de ses camarades. Il sent toute la gravité de ses fonctions.
Maintenant il revient au bureau, son petit sac vide se balançant à son côté. Il passe dans une rue peu fréquentée, entre Passy et Auteuil. Là, chaque maison a son jardin, où les lilas et les arbres fruitiers sont tout en fleurs.
En longeant un mur peu élevé, que dépassent des branches de pommiers et de cerisiers, l’envie prend à Félix dé lâcher un peu son oiseau pour voir ce que Pierrot pourrait bien entreprendre.
Il commence par le poser sur son doigt pour lui donner le temps de se reconnaître et de s’accoutumer au grand jour. Il répond en sifflotant aux piou-piou du moineau.
Mais, aïe! qui vient là-bas, se dandinant tout débraillé, le chapeau mou de côté ? —C’est François!
Félix le connaît bien; ils habitent la même maison, ses parents, les Leroux, en bas, les Marcelin en haut. C’est le dernier garçon que Félix aurait voulu rencontrer, seul à seul, dans une rue écartée.
Voici le moment de trembler, pauvre Pierrot, pour toi-même et pour ton gentil jeune maître.
— Tu as pris notre moineau, dit François rudement, au moment où Félix s’efforçait de remettre l’oiseau dans sa cachette. Il s’est envolé de chez nous. Il est à ma sœur.
— S’il est à Mlle Élise, je le lui rendrai tout à l’heure, dit doucement Félix.
Mais François haïssait ceux qu’il appelait des petits saints. Il y avait longtemps qu’il avait Félix sur le cœur, et il voulait enfin le rosser. Pour l’oiseau, il n’y tenait guère.
— Rends-le moi tout de suite, à moi, s’écria-t-il en voulant lui arracher la pauvre bestiole.
— Je le rendrai à ta sœur, pas à toi, dit Félix avec fermeté.
François n’entendait que la raison du plus fort; il se jeta sur son camarade plus jeune, plus faible...
Félix ne refusait jamais de livrer bataille pour une bonne cause. Mais avant de se mettre en garde, il trouva moyen de lancer l’oiseau par-dessus le mur dans un jardin. Tout valait mieux que de tomber entre les mains de François! La petite créature disparut dans le fouillis des branches fleuries.
François entra dans une vraie fureur.
— Tu vas me payer cela, s’écria-t-il. A nous deux!
Pierrot, soutenu par ses petites ailes, ne s’était point fait de mal. Perché sur l’arbre, ses yeux éveillés suivaient par une ouverture entre les branches le combat des deux garçons.
Félix se défendait bravement, et jusqu’à un certain moment, la lutte ne parut pas trop inégale. Mais tout à coup un croc-enjambe le mit à terre. Au lieu de relever son adversaire avec la noblesse d’âme d’un vainqueur de bonne race, François lui envoya une poussée brutale, qui jeta Félix contre la muraille. Sa tête heurta si violemment que l’enfant resta là, étendu sans connaissance.
Comme de juste, François avait disparu. Les piaulements du moineau ne firent venir personne. Et le soleil descendait derrière les jardins paisibles.
Il allait disparaître, et Pierrot se sentait pris de sommeil, lorsqu’enfin un autre jeune employé au télégraphe vint à passer par là.
A ce moment, Félix, un peu ranimé, cherchait à se remettre sur ses jambes. Mais la tête lui tournait bien fort. Il avait la figure en sang.
— Qui t’a donc arrangé comme ça, mon vieux? dit le nouveau venu en le prenant sous le bras.
Félix ne parlera pas. Il n’a jamais dénoncé personne.
Le camarade reprit:
— Si je le tenais, celui-là, il en recevrait, une raclée!
Tous deux s’éloignèrent à petits pas. Félix retourna une fois la tête du côté des arbres où les oiseaux allaient s’endormir.
— Reste où tu es, pauvret, dit-il. C’est encore plus sûr pour toi.