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VI.

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SOTTISES DE GAMINS EN ATTENDANT MIEUX.

Je n’avais été jusque-là qu’un enfant renfermé en lui-même et d’apparence assez triste; je devins autre à la ferme, c’est-à-dire que j’y devins plus remuant et plus gai. Comme toujours chez les enfants, ma gaîté se manifesta par des espiègleries, — car je n’ai été un saint ni dans mon enfance, ni dans ma virilité.

J’avais pour camarades d’abord les petits Lagorgote, c’est-à-dire Gorgotin, qui avait treize ans, et Gorgotine, sa sœur, qui en avait neuf.

Mais, outre Gorgotin et Gorgotine, il y avait le vacher Désir, un gars de quatorze ans, qui peut-être n’eut jamais son pareil à grimper dans les arbres, dénicher les nids, monter à cheval, tendre des trébuchets, faire des ricochets, pêcher, barboter, nager, construire des radeaux, barrer les ruisseaux, tracer des canaux. Et comme il jouait du galoubet! quelles leçons en tous ces arts il nous donnait, à Gorgotin, à Gorgotine et à moi!

Ce vacher Désir était le fils d’une pauvre femme du pays, très honnête, et l’enfant lui-même était des mieux doués. Lagorgote et sa femme l’avaient recueilli dès l’âge de cinq ans, l’avaient envoyé à l’école de sept à treize ans, et maintenant on lui confiait la surveillance des vaches et toutes sortes de petits travaux, dont il s’acquittait avec intelligence. Honnête, affectueux, dévoué, de mœurs et d’habitudes irréprochables, il faisait, lui aussi, partie de la famille; mais c’était, quant au reste, le gamin des gamins.

Après lui, venait Gorgotin. Je dis après lui, parce que Désir était notre maître à tous, parce que, même à cause de son âge et de sa force, et de son amitié pour nous, il fut vingt fois notre protecteur contre les moqueries, les taquineries et même les coups des galopias du pays.

En voici un exemple:

La maman Lagorgote, un jour de fête, venait de lui faire cadeau d’un bel habillement de petit drap gris. Pour qu’il l’étrennât, nous étions allés, Gorgotin et moi, nous promener avec lui dans le village. Mais ne voilà-t-il pas qu’un malencontreux ramoneur, en son costume de ramoneur, tout noir et plein de suie, s’avisa de se moquer de nous. Le coup de poing que lui lança Désir ne se fit pas attendre... les deux gars s’empoignent, roulent à terre; nous réussissons pourtant, Gorgotin et moi, à les séparer; mais dans quel état se trouvaient le pantalon, la veste et le gilet du malheureux Désir! Gorgotin et moi n’étions pas beaucoup plus propres. Jugez de l’accueil que nous fit, au retour, la maman Lagorgote!

Gorgotine était naturellement plus tranquille que nous; mais parfois aussi nous l’entraînions dans le tourbillon de nos jeux, et la pauvre petite nous y servait en esclave innocente et soumise. C’était elle toujours que nous chargions de nos commissions les plus saugrenues.

Il y avait aussi dans la maison Mademoiselle Paméla, que Gorgotin, Désir et moi, nous abominions. Nous l’abominions, savez-vous pourquoi? parce qu’elle s’appelait Paméla, parce qu’elle avait deux grands yeux bêtes, écarquillés, parce qu’elle avait une jambe trop longue et les deux bras trop courts, et parce que Gorgotine était sans cesse occupée d’elle. Aussi prîmes-nous la résolution coupable de jeter à la rivière la douce demoiselle.

Mademoiselle Paméla était une poupée que Gorgotine, toute la journée, soignait, habillait, tripotait, dorlotait comme une véritable personne, vivante et très chère. Cette singerie de petite fille m’avait toujours crispé les nerfs, et je fus le véritable instigateur et organisateur du complot. J’en fus même aussi l’exécuteur.

Ayant trouvé Paméla seule, étendue sous un arbre près de la maison, je la glissai prestement sous mon bras, et, deux minutes plus tard, la pauvrette flottait et se balançait poétiquement sur les ondes.

Gorgotine, ne la retrouvant plus, chercha, pleura, se lamenta; mais on lui fit entendre que, sans doute, Paméla avait été emportée et croquée par le petit chien Lorient, qui déchirait, perdait tout au logis...

L’aventure paraissait oubliée, lorsque Gorgotine, quinze jours plus tard, se promenant au bord de la rivière, aperçut Paméla noyée, en lambeaux, presque pourrie, au fond de l’eau. Elle appelait Désir pour la repêcher; mais Désir n’était pas là, et c’est moi qui fus le sauveteur. Et quel sauveteur! Je me servis d’une fourche à fumier pour repêcher l’aimable naufragée, mais je lui fourrai l’instrument en pleine poitrine, et la malheureuse, au sortir de l’eau, n’avait plus forme humaine.

Pour consoler Gorgotine, nous proposâmes de faire à la poupée un bel enterrement. L’offre fut acceptée. Vous dire les folies que nous imaginâmes pour cet enterrement ne serait pas possible. Il fallait un corbillard digne de la défunte: deux citrouilles en fournirent les matériaux. L’une de ces citrouilles, creusée et taillée artistement, forma le corps de la voiture funèbre; avec la peau de l’autre on fit les roues et tous les accessoires. Paméla y fut déposée sur un lit de roses, et, doucement traînée par Lorient, qu’on avait, à cet effet, richement harnaché , elle fut conduite au dernier gîte avec chants et procession. Et quels chants! Désir, en tête du cortége, jouait mélancoliquement de son galoubet, Gorgotine, moitié pleurant, moitié riant, prenait part à la solennité. Mais quels ne furent pas son étonnement et sa colère, lorsqu’à l’endroit où nous avions déposé si solennellement la chère poupée, elle vit, le lendemain, se dresser une croix sur laquelle on lisait:

Sous cette croix gît Paméla,

Personne pleine d’innocence.

Quelle chance de la voir là !

Quelle chance!

Mémoires d'un imbécile: écrits par lui-même

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