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II.

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EN QUELLE COMPAGNIE JE VINS AU MONDE.

On a toujours eu, dans notre famille, des ribambelles d’enfants: ma mère en avait eu dix-sept avant moi, et pourtant je ne fus pas le dernier.

Si j’étais devenu un personnage marquant, les biographes n’eussent failli à dire qu’on put prévoir, dès ma naissance, que je ferais mon chemin dans le monde, puisque j’y avais fait mon entrée en voiture. Je naquis, en effet, dans une voiture, ou plutôt dans une charrette, sur de la paille, entre un mouton et un veau. Voici dans quelles circonstances:

A vingt kilomètres de la ville où mon père exerçait son industrie, ma mère possédait une jolie ferme, de contenance moyenne, mais de très bon rapport. Cette ferme, depuis plus de cent ans, avait de père en fils son fermier, appelé Lagorgote. Les Lagorgote faisaient partie du domaine, comme les bâtiments et les arbres; ils y avaient même leurs racines bien autrement profondes et tenaces.

Ma mère, à qui mon père avait laissé la gérance de ce petit patrimoine, s’y était transportée pour affaires urgentes. Elle en revenait tranquille dans la voiture du fermier, lorsqu’un soubresaut un peu vif détermina inopinément mon apparition.

— Quel ouvrage! s’écria Lagorgote.

Mais ma mère, sans se troubler, le pria de continuer sa route. Lagorgote n’en resta pas moins effaré et tremblant. Son premier mot, chez nous, en apercevant mon père, fut encore:

— Quel ouvrage!

Si bien qu’en souvenir de cette aventure, mon père m’appela Quel ouvrage!

Ce nom me fut conservé jusqu’à l’âge de huit ou neuf ans; mais, vers ce temps-là , sans doute, il devint évident qu’il n’y avait pas tant à s’extasier sur mon compte, et l’on cessa de m’appeler ainsi.

J’ai dit que, dans la voiture du fermier Lagorgote, il y avait, au moment de ma naissance, un mouton et un veau. Les pauvres bêtes poussèrent un petit beuglement, un petit bêlement sympathiques, et, pleines d’attention, se serrèrent l’une contre l’autre, pour laisser plus de place à ma mère et à moi,

Ma mère m’a conté cela cent fois, et le ton d’amitié qu’elle y mettait pour ces complaisants témoins de ma naissance ne manqua pas de me faire prendre en grande affection les veaux, moutons et paysans..... A cette heure même, après tant d’années, je ne puis voir sans plaisir une charrette rustique transporter du bétail.

Mémoires d'un imbécile: écrits par lui-même

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