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VII.

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RETOUR A LA VILLE

Lagorgote avait été tout près de se fâcher; mais, en présence du quatrain qui précède, il rit et se calma; tant il est vrai que, même au village, on est sensible aux beaux vers.

Les vacances malheureusement approchaient de leur terme, et je dus, un matin, remonter avec Lagorgote dans sa voiture à veaux, pour retourner à la ville.

J’eusse été inconsolable de quitter la ferme sans le désir très vif que j’avais de revoir ma mère, mon père et mes sœurs. Quant à Messieurs mes frères, j’avais hâte de les entendre parler de leur voyage, espérant bien aussi leur parler du mien, et persuadé que, dans mes récits, j’aurais sur eux l’avantage; car il ne me venait pas en tête qu’ils eussent pu rien voir à Paris de plus beau que la ferme de Lagorgote.

Mais, sur ce point, mon imbécillité ne tarda de m’être révélée.

Mes frères étaient revenus de Paris avec tant d’aplomb, avec un tel air de suffisance; ils avaient d’ailleurs des manières si polies, tandis que moi, j’étais devenu si rustique, si simple et si benêt, que j’en fus décontenancé.

Ils parlaient, parlaient avec d’interminables éloges des palais, des jardins, des monuments, des rues; mais l’enthousiasme était à son comble quand ils en venaient au chapitre théâtres. Ils m’en racontaient les merveilles, m’en décrivaient les décors (paysages, campagnes et forêts magnifiques). Il est vrai que ce qu’ils avaient vu en imitation et en peinture, moi, je l’avais eu dans la réalité ; mais, pour rien au monde, je n’eusse osé en faire la réflexion tout haut. Mes sœurs me vantaient, pleines d’émotion, les concerts qu’elles avaient entendus. Comment leur dire, ô mon Dieu! que j’avais appris d’un vacher à jouer du galoubet? C’eût été me couvrir d’un ridicule éternel.

Un autre trait me condamna tout-à-fait au silence:

Mes frères avaient fait la connaissance du fils d’un député influent, et qui peut-être, disaient-ils, allait devenir ministre. Ce fils de député était un garçon de quinze ans, dont on parlait avec un tel enthousiasme, que je n’osai souffler mot de Gorgotin ni de Gorgotine, et bien moins encore du pauvre Désir, mon maître de musique.

Je voyais bien, d’ailleurs, que tout le monde me trouvait, sans le dire, plus niais encore que par le passé , et vraiment j’étais en cela de l’avis de tout le monde; mais je l’ai déjà dit, le sentiment de cette infériorité ne m’attristait pas. Je me trouvais bien d’être ainsi.

Je repris ma vie silencieuse au collége. Le monotone établissement ne me paraissait d’ailleurs ni plus ni moins triste que les années précédentes. Ma plus vive préoccupation était de savoir si je pourrais passer à la ferme les autres vacances. J’en eusse acheté la permission au prix des plus grands sacrifices; aussi faisais-je de mon mieux pour contenter mon père. Ma conduite fut bonne; mais je continuai d’être dans les derniers aux compositions, tant ma cervelle était réfractaire à toutes les leçons. J’eus pourtant d’assez bonnes places en arithmétique. Désir, qui calculait très bien, m’avait donné du goût pour ce genre d’étude, et je tenais à ne lui être inférieur en rien; je m’étais promis, si je retournais à la ferme, d’en revenir son égal, même en l’art de jouer du galoubet.

Mémoires d'un imbécile: écrits par lui-même

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