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VIII.

Table des matières

LE JEUNE ARTHUR.

Les écoliers ont une manière à eux de diviser l’année, basée sur ces deux dates solennelles: grandes vacances et vacances de Pâques.

Les vacances de Pâques amenèrent pour nous, cette année-là, un événement d’importance. J’ai parlé du jeune Parisien dont mes frères avaient fait la connaissance. Eh bien! il nous fut annoncé que M. Arthur (c’était son nom) viendrait passer sa semaine de congé chez nous.

Recevoir un Parisien, c’était en province une chose rare alors, car on voyageait peu, et l’invention des chemins de fer n’était pas même encore au rang des choses rêvées; qui l’eût annoncée eût passé pour un fou.

Je me rappelle les rires, les exclamations d’incrédulité qui accueillirent, quelques années plus tard, la nouvelle que quelqu’un avait eu la pensée de faire traîner par une machine à vapeur des voitures placées sur des rails en fer ou en bois. Les gens d’esprit furent unanimes à déclarer impossible une telle entreprise. Je n’étais qu’un enfant «sans moyens,» mais j’eus un tel désir que l’invention fût possible, qu’en vérité, je me la figurai telle.

Mais revenons à notre jeune Arthur, pour lequel, huit jours à l’avance; on faisait des préparatifs; car ma mère et mes sœurs se faisaient une affaire de cette réception d’un bambin de quinze ans. Il est vrai que ce bambin était fils d’un orateur politique très en vue. D’ailleurs, je l’ai dit, on ne voyait pas en province des Parisiens tous les jours, et n’en recevait pas chez soi qui voulait.

Le jeune Arthur nous arriva donc un soir par la diligence.

Aux éloges incessants que l’on faisait de lui, je m’étais figuré un superbe gaillard, brillant et vigoureux; mais voilà que M. Arthur était un petit être pâle, fluet, fragile, myope, ne voyant à dix pas..... Sa figure eût pu être agréable, mais l’habitude du lorgnon l’avait rendue grimaçante.

Quant à de l’esprit, il en avait; mais il en eût eu davantage si son babil, quoique amusant, n’eût été un babil d’emprunt. Il est vrai que, même à travers tout cela, on sentait le bon garçon. Plusieurs choses en lui cependant me blessaient: l’absence de laisser-aller, de spontanéité, de candeur. Je ne dis rien de mon appréciation à personne, mais je plaçai dans mon estime l’ami de mes frères bien au-dessous de mes amis à moi, Désir et Gorgotin.

Je fus mis cependant à une rude épreuve. Arthur jouait de la clarinette, et même il en jouait avec talent, avec goût, comme quelqu’un qui a reçu d’excellentes leçons; mais, sans entamer là-dessus aucune discussion avec personne, je continuai à ne trouver, pour moi, rien de comparable au galoubet de mon ami Désir: tant sont indestructibles les impressions premières! En voulez-vous la preuve? J’ai la certitude aujourd’hui que le galoubet n’est qu’un pauvre instrument, j’ai la certitude que Désir n’était et n’est encore (qu’il me le pardonne! ) qu’un pauvre musicien; eh bien! même en sachant cela, rien n’est capable de me remuer le cœur comme d’entendre au loin, le soir, dans la vallée, résonner le cher instrument. Dans le plus sombre exil, un air de galoubet m’eût rendu la patrie; la clarinette, jamais.

Disons, pour terminer ce chapitre, qu’on promena partout le jeune Parisien; qu’il vit, avec mes frères, les curiosités de la ville, mais que rien ne semblait l’intéresser beaucoup, parce que rien, à ses yeux, n’était comparable à Paris, parce que, volontiers, il eût trouvé le ciel moins brillant en province qu’au Palais-Royal.

Il avait une grande politesse, mais cette politesse était froide et me tint à distance; il en fut tout autrement de mes frères, qui prirent pour lui beaucoup d’amitié.

Sa visite n’en eut pas moins sur mon esprit une influence décisive; elle fut cause que, de plus en plus, je m’attachai à la campagne, à la ferme, aux amis que j’y avais laissés, et que j’espérais tant y revoir aux grandes vacances.

Mémoires d'un imbécile: écrits par lui-même

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