Читать книгу Histoire du palais de justice de Paris et du parlement (860-1789) - F. Rittiez - Страница 3
PRÉFACE
ОглавлениеL’histoire du Palais de justice n’existait pas; c’était là une lacune importante dans nos annales. Chose étrange, la plupart de nos monuments ont leurs historiographes, et le Palais, qui est l’un des plus anciens et des plus riches en souvenirs, n’a pas encore eu le sien.
Plusieurs fois on a appelé l’attention des écrivains historiques sur ce sujet, mais en vain: on a même été plus loin, car sous le règne de Louis-Philippe, on avait alloué dans ce but une somme assez ronde à un écrivain de grande renommée; mais, comme il n’a pas fait cette histoire, le trésor a gardé son argent. A la vérité, une histoire du Palais n’était pas facile: s’agit-il du monument en lui-même? les documents font défaut; s’agit-il des événements qui s’y sont passés? ils abondent, et on est étonné de leur quantité extrèmement considérable. Quant à moi, frappé de l’importance de cette histoire, je l’ai entreprise sans me demander compte, ni du temps, ni des soins qu’elle me demanderait, ni même du succès qu’elle pourrait avoir. J’y ai travaillé seul, sans aide ni secours quelconque.
Cet ouvrage aura du moins le mérite d’être neuf quant au sujet, original dans sa forme. J’ai suivi une méthode toute particulière en le composant et j’ai fait marcher de front des éléments qui, au premier abord, paraissaient ne pas devoir se coordonner.
Dans cette préface, je pourrais m’étendre beaucoup sur mes recherches, vanter sans mesure les découvertes que j’ai faites, énumérer avec complaisance les sources peu connues auxquelles j’ai puisé, mais cela ne rendrait mon ouvrage ni plus curieux ni plus instructif; ce serait faire parade d’érudition, et c’est ce dont je me soucie médiocrement. C’est une chose bonne en soi que l’érudition, mais qui ne donne pas le talent de faire un bon livre.
A la vérité, cela aurait pu faire comprendre pourquoi cette histoire du Palais, si fréquemment réclamée, n’a pas encore été faite, car nous n’avons sur le Palais que des monographies fort courtes, incomplètes, et de tous points insuffisantes.
En écrivant l’histoire du Palais, je ne m e suis pas borné simplement à faire la description de ce monument, mais j’ai retracé aussi les événements principaux qui s’y sont passés; événements auxquels l’ancienne magistrature a pris une si grande part, et je ne pouvais pas non plus parler de cette magistrature sans faire connaître son organisation et ses usages. Une fois jeté dans cette voie, j’ai eu aussi à relater quelques procès importants et propres à jeter de vives lumières, tant sur l’administration de la justice que sur nos lois elles-mêmes.
J’ai toujours puisé à de bonnes sources, et n’ai admis aucun fait sans examen et sans contrôle; j’ai recherché avant tout la vérité : pour moi, c’est la première condition de l’histoire.
Je n’aime ni à louer ni à critiquer sans cause suffisante et légitime; on pourra s’en assurer en me lisant.
J’ai dit plus haut que le Palais de justice était l’un des plus anciens monuments de Paris, c’est là sans doute un mérite, mais il en a un autre bien plus grand, car il n’existe pas un monument en France auquel se rattachent tant de souvenirs saisissants. Il a été la demeure d’une grande partie de nos anciens rois; il a été le théâtre des réjouissances les plus solennelles, et les drames judiciaires les plus émouvants s’y sont constamment déroulés. Là, on a vu parler et agir les Lhospital, les de Harlay, les Mathieu Molé et autres magistrats pour lesquels l’accomplissement du devoir était tout, et les intérêts personnels de nulle valeur.
Mais là aussi sont venus figurer sur la sellette du crime, les Ravaillac, les Cartouche et les Brinvilliers.
Dans la grande salle du Palais, les rois de France ont fait leurs mariages, leurs plus solennelles réceptions; et dans la grand’chambre, les plus grands seigneurs ont courbé la tête sous les arrêts du parlement.
C’est au Palais que nos lois et ordonnances étaient examinées, discutées et adoptées ou rejetées; et c’est là que se tenaient les lits de justice quand la royauté voulait vaincre les résistances des gens de robe.
Le Palais de justice n’est pas un monument symétrique ayant l’harmonie d’un bâtiment construit d’ensemble et sur un même plan; cela se conçoit, car il a été, soit andi, à diverses époques. Le style de ce grand monument n’a donc pas d’unité, ce qui est fâcheux au point de vue de l’art; il n’en est pas de même au point de vue de l’histoire. Dans l’origine, il n’a pas été construit pour être un palais de justice, et on a dû l’approprier à cette destination, puis y faire des additions selon les besoins des temps.
En le parcourant, on voit partout se dresser de grandes pages de notre histoire nationale. Eudes, comte de Paris, abrité derrière ce palais, a repoussé les Normands qui ravagèrent si souvent nos contrées. Visitez la Conciergerie et l’on vous montrera le banc de pierre sur lequel saint Louis venait s’asseoir pour faire des distributions de pain aux pauvres; vous y trouverez toujours la Tour, dite d’argent, où il mettait son trésor; allez dans la salle d’audience de la cour de cassation et l’on vous fera remarquer les battants de la porte de l’ancienne grand’chambre entre lesquels, du temps de la Fronde, le cardinal de Retz faillit être étouffé.
Je me suis arrêté dans cette histoire à la révolution de 1789; une ère nouvelle a commencé alors pour la France, et elle a amené à sa suite une grande rénovation judiciaire. Toutes les anciennes juridictions qui siégeaient au Palais ont disparu; mais ce monument est resté debout comme le témoignage vivant des soins qu’on a apportés en France à l’administration de la justice; et aujourd’hui, quoiqu’il n’ait plus tant de juridictions diverses, il est encore le centre des plus importants débats judiciaires; et si nous n’avons plus au Palais le parlement, la connétablie, la cour des comptes, le bailliage du Palais, nous y voyons siéger la cour de cassation, la cour impériale de Paris et les tribunaux civils; il est toujours la clef de voûte de l’organisation sociale. L’ouvrage que je soumets au public s’arrête à 1789; s’il reçoit bon accueil, je le continuerai jusqu’à nos jours; mais tel que je le présente aujourd’hui, il forme un travail homogène, ayant son unité, car il contient, d’une part, la description exacte et détaillée du Palais de justice jusqu’en 1789, et, d’autre part, je fais connaître avec exactitude toute notre ancienne organisation judiciaire qui est complètement distincte de celle de nos jours; c’est donc un travail complet.
On remarquera également avec quel soin je me suis appliqué à composer ce livre de manière qu’il puisse être abordé partout lecteur intelligent, par tout homme qui tient à connaître l’histoire de son pays et ses institutions. Je me serais bien trompé s’il ne pouvait être lu ou consulté que par les hommes de robe ou par les amateurs d’ouvrages spéciaux sur les monuments; car, selon moi, le temps est venu de vulgariser les connaissances historiques et d’augmenter le nombre de ceux qui peuvent porter un jugement sain et juste sur les temps qui nous ont précédés.
Nous avons tant d’idées erronées sur notre histoire nationale, tant d’opinions fausses, qu’on en est vraiment stupéfait. A la manière dont on écrit l’histoire de nos jours, on pourrait croire, en écoutant les uns, qu’avant 1789, tout était dans un ordre parfait; et en prêtant l’oreille aux autres, qu’il n’y avait, au contraire, que désordre partout et confusion. Il y a beaucoup à rabattre de cela d’un côté comme de l’autre, et l’on pourra voir dans mon ouvrage que, depuis l’affranchissement des communes par Louis le Gros, nous n’avons pas cessé de réaliser des améliorations importantes dans nos lois et usages judiciaires, soit sous une forme, soit sous une autre; et on pourra aussi se convaincre que le despotisme proprement dit n’a jamais pris racine en France.