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CHAPITRE VI.

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Table des matières

Saint Louis embellit le Palais. — Les appartements de la reine. — Le parlement ou cour royale siége au Palais. — La sainte Chapelle construite par Pierre de Montereau. — Quelles reliques y sont déposées. — On remarque la couronne d’épines. — Vénalité des charges de judicature abolie par saint Louis. — Étienne Boileau, prévôt de Paris. — Prérogatives du prévôt. — La quarantaine du roi. — Création des tabellions ou notaires. — La reine Blanche et le chapitre de Paris. — Ses gardes brisent à coups de hache la prison du chapitre. — Serfs mis en liberté. — Bibliothèque publique fondée par saint Louis. — Procès de Pierre de Brosse, chirurgien de Philippe le Hardi. — Ordonnance concernant la profession d’avocat.

«Louis IX, nous dit le sire de Joinville dans sa chronique,

«chap. 94, estoit si curieux de rendre le droict à chascun,

«que tous les jours ayant tousché des escrouelles,

«il alloit juger ses sujets, ets’ilestoit an bois de Vincennes,

«il faisoit dresser une table et mettre un lapis, et par ses

«huissiers faisait appeler s’il y avoit quelqu’un.» Ces seules paroles nous prouvent que chez saint Louis, il y avait un sentiment profond de justice uni à une grande piété.

Louis IX opéra de grandes réformes dans l’administration de la justice, et porta remède à des abus criants; mais avant de traiter de ces réformes, nous avons à parler du palais qu’il habita et auquel il fit faire de grands embellissements: c’est lui qui fit exécuter en 1258 par l’architecte Pierre de Montereau les constructions qui le rendirent une habitation toute royale: quelles furent ces constructions, c’est ce qu’il n’est pas possible de préciser, aucun historien n’étant entré à ce sujet dans des détails précis. Néanmoins, on sait quelles étaient les dispositions générales du Palais.

Les salles basses, destinées au service, étaient vastes, mais humides et sombres. Elles contenaient la maréchaussée, la conciergerie, la fourille, la lingerie, la pelleterie, la bouteillerie, la lavanderie, la fruiterie, la pannetterie, l’épicerie, le charbonnier, le lieu où l’on faisait l’hypocras, la pâtisserie, le bûcher, la toilerie, la cave où se mettait le vin des maisons du roi, plus les cuisines, jeux de paume, celliers, colombiers et glacières.

Les rois recevaient alors de leurs fermiers des poulets, chapons, pigeons, vin, charbon et légumes. Il y avait de plus dans le Palais une fonderie sous la grande salle.

Nous ne pouvons plus aujourd’hui nous faire une idée exacte de ce qu’étaient les maisons royales de ce temps; on y faisait le pain, le linge, les vêtements; on y travaillait les peaux, on y fabriquait des toiles, des armes; le pâtissier y coudoyait le soldat de la maréchaussée, et les conseillers du roi résidaient en son palais.

A l’étage supérieur se trouvaient les chambes occupées par le roi, par ses officiers et par sa cour de justice; c’est pour la première fois qu’il est question dans nos annales de la résidence de la cour royale ou cour de justice dans le Palais.

Il y avait au Palais une salle destinée aux audiences du parlement; car c’est ainsi que nous appellerons désormais a cour royale.

Sous saint Louis, le parlement ne siégeait plus guère qu’à Paris, et sur ce point on lit ce qui suit au mot Parlement, dans l’Encyclopédie nouvelle. «Les grands du royaume

«s’assemblaient ordinairement à Paris, dès Louis le Jeune,

«pour juger, tellement que le roi d’Angleterre offrit de

«s’en rapporter à leur décision.» L’auteur de cet article Parlement ajoute ensuite que «dès saint Louis, le

«parlement ne se tenait plus qu’à Paris.

«Ce fut ce prince qui donna son palais à perpétuité pour

«la séance du parlement.

«En effet, la chambre où se tint la tournelle criminelle,

«conserve encore le nom de salle de Saint-Louis, comme

«étant le dernier prince qui l’a occupée, et la chambre du

«conseil de MM. des requêtes du Palais, qui était celle de

«MM. de la seconde, dans le temps qu’il existait deux chambres,

«celui de l’oratoire de saint Louis.»

Saint Louis habita la chancellerie.

La reine était magnifiquement logée dans le palais embelli par saint Louis; elle avait, outre les appartements accessoires, une chambre aux eaux de roses, une de parade, une autre chambre blanche, deux chapelles, des bains et des étuves.

Les appartements étaient couverts en tuiles, et peu en ardoises; quelques uns en tuiles plombées. Quant aux celliers, cuisines, écuries et autres pièces de basse-cour, elles étaient couvertes de chaume.

11 y avait en outre, dans le Palais, des volières de fil d’archal, et dans tous les appartements, même dans ceux de la reine, se trouvaient des cages peintes et treillissées de fil d’archal pour mettre des oiseaux de toute sorte.

Il y avait au Palais, aussi bien que dans toutes les maisons royales, une ménagerie et une cour pour les joutes.

A la droite de la cour se trouvait, comme aujourd’hui, la grand’salle, qui était fort spacieuse; les voûtes, construites en bois, étaient peintes en couleur d’azur et enrichies de dorures. Le pavé était une mosaïque de marbre blanc et noir.

Il paraît. qu’il y avait déjà, du temps de saint Louis, une grand’chambre qui servait de salle d’audience, et c’était dans la grand’chambre ou la chambre dorée que s’assemblait le parlement.

Cette chambre est aujourd’hui la salle d’audience de la cour de cassation.

La chambre dite de la chancellerie remonte aussi au règne de saint Louis; c’est, dit on, dans cette chambre qu’il passa la première nuit de ses noces.

Deux incendies et la main du temps ont détruit en grande partie les constructions du Palais, tel que saint Louis l’avait fait ordonner; néanmoins, il reste encore des parties précieuses de ces constructions.

Mais de ce palais, augmenté et embelli par saint Louis, ce qui nous reste de plus éclatant, ce qui nous donne l’idée la plus exacte de l’art architectural de son temps, c’est évidemment la sainte Chapelle.

Elle est une véritable dépendance du Palais, et à ce titre, elle doit avoir place dans cet ouvrage: nous nous en occuperons brièvement, par cette raison qu’elle a été l’objet de diverses publications particulières.

Aujourd’hui, la sainte Chapelle, bâtie par les soins de saint Louis, nous apparaît dans tout son éclat; elle est complètement restaurée: l’art moderne a su réparer les injures que le temps et la main des hommes lui avaient fait subir.

Le roi Louis IX la fil bâtir afin de recevoir des reliques précieuses qu’il avait achetées de Baudouin II, de Courtenay, empereur de Constantinople; parmi ces reliques se trouvait la véritable couronne d’épines de Jésus-Christ. Baudouin l’affirma du moins, et sans nul doute le roi de France ajouta foi à son affirmation. Cependant, dans le moment même où il en faisait l’acquisition, il existait déjà dans l’abbaye même de Suint-Denis une couronne qu’on disait être la vraie couronne d’épines du Christ.

Saint Louis fit commencer la construction de la sainte Chapelle en l’année 1245. Il chargea de ce travail l’architecte Pierre de Montereau, qu’il honorait avec raison de toute sa confiance, et dans cette année même de 1245, le roi posa lui-même la première pierre du monument; il fut achevé en 1248, — en moins de trois ans. On voit que l’architecte ne perdit pas de temps et qu’il mena rapidement son œuvre.

La sainte Chapelle est le type le plus pur, et en même temps l’œuvre la plus achevée, à Paris, de cette architecture dont nos pères surprirent le secret chez les Sarrasins.

Nulle part on ne trouve pins de légèreté hardie, une plus grande abondance de traits délicats, d’ornements riches, variés, minutieux, qui sont le charme du genre gothique, comme ils en sont le caractère. En imitent les constructions sarrasines, les architectes chrétiens les exhaussèrent et les dilatèrent. Ils plantèrent mosquées sur mosquées, colonnes sur colonnes, galeries sur galeries; ils attachèrent des ailes aux deux côtés du chœur, et des chapelles aux ailes. Partout la ligne spirale remplaça la ligne droite; au lieu du toit plat, se creusa une voûte formée en cercueil ou en carène de vaisseau. La sainte Chapelle a un caractère religieux qui frappe et saisit, et qui reflète les sentiments qui animaient alors les artistes chrétiens.

Louis IX n’épargna aucune dépense pour rendre cette chapèlle digne de renfermer les reliques qu’il avait pu réunir. Il paraît que son conseil ne fut p s toujours porté à applaudir a tant de magnificence, car l’un de ses membres lui soumit un jour à ce sujet de respectueuses remontrantes. «Dieu, répondit le roi, Dieu m’a donné tout ce que je possède... ce que despenseray pour lui et les nécessiteux sera toujours le mieulx placé.»

Louis IX voulut qu’on employât, pour la sainte Chapelle, l’or, l’argent, l’émail et les pierres précieuses.

Pigauiol de la Force nous apprend que le bâtiment de la sainte Chapelle et les reliques qu’il renfermait coûtèrent deux millions huit cent mille livres de la monnaie de France. (Tome II. p. 19.)

«Le bâton du chantre, nous dit-il dans l’énumération qu’il fait des choses précieuses qui se trouvaient de son temps encore dans la sainte Chapelle, mérite l’attention à cause de l’agate qui est en haut et qui est censée représenter saint Louis à demi corps, tenant d’une main une petite croix, et de l’autre une couronne d’épines. La tête est antique et représente l’empereur Titus, mais quelques traits de ressemblance ont fait qu’on l’a décorée des attributs qu’on donne à saint Louis et qu’on a dit qu’elle représentoit ce saint roi.»

Il ajoute ensuite qu’on y voyait des livres d’église d’une grande ancienneté et d’une grande richesse, car les couvertures étaient enrichies d’or, de perles et de pierreries de plusieurs espèces, entre lesquelles était une grosse améthyste gravée en creux qui représentait un empereur romain.

Parmi ces volumes se trouvait un manuscrit contenant les Evangiles, qu’on croyait être du temps de Charlemagne. L’écriture, les vignettes et les autres ornements en étaient admirables.

Enfin, on remarquait au nombre de bien des choses curieuses, une agate-onyx d’une beauté si parfaite, qu’on n’avait jamais rien vu en ce genre qui en approchât. Les figures qui y étaient gravées étaient telles, que les antiquaires prétendaient que Rome, dans ses plus beaux jours, n’avait rien produit de plus beau.

Dès que la sainte Chapelle fut construite, on la consacra solennellement (25 avril 1248) en présence du roi, qui y établit un collége d’ecclésiastiques pour la servir; et sur sa demande, le pape Innocent IV lui accorda quatre bulles en l’an 1243.

La première défend à toute personne d’interdire la sainte Chapelle, ou de lancer contre elle ou ceux qui la desservent, présents et à venir, aucune sentence d’excommunication, de suspense ou d’interdit sans un ordre exprès du saint-siége. Les trois autres accordaient des indulgences à ceux qui la visiteraient à des jours indiqués.

Au mois de janvier 1245, saint Louis fit expédier les lettres de fondation d’après lesquelles il devait y avoir cinq principaux prêtres ou maîtres chapelains, y compris le titulaire de l’ancienne chapelle, et des marguilliers, qui devaient être diacres ou sous-diacres.

L’église de la sainte Chapelle offre toute la régularité , toute l’élégance qui distinguent l’architecture sarrasine, la plus correcte et la mieux entendue. Elle ne paraît supportée que par de simples colonnes. Les voûtes, d’une hardiesse surprenante, ne sont soutenues par aucun pilier dans œuvre, quoique le vaisseau soit très-exhaussé et qu’il y ait deux églises l’une sur l’autre.

La chapelle inférieure servait aux habitants de la cour du Palais; La chapelle supérieure, destinée au roi, à la reine et à leurs officiers, a cent dix pieds de longueur, vingt-sept pieds de largeur; et la hauteur des deux étages, qui est de cent dix pieds, égale la longueur totale de l’édifice. La chapelle est belle et hardie; le clocher, l’un des plus élevés de Paris, était remarquable par sa légèreté. Il souffrit beaucoup des suites de l’incendie de 1618; plus tard, on fut obligé de le démolir.

Les vitraux, d’un ton clair obscur, ont toujours été remarqués par leur prodigieuse élévation et la vivacité des couleurs.

Avant la révolution de 1789, on admirait, dans la nef, une Notre-Dame de Pitié, considérée comme le chef-d’œuvre de Germain Pilon. Aux deux côtés de l’entrée du chœur se trouvaient deux tableaux en émail, représentant la Passion; les émaux avaient été exécutés, en 1553 sur les dessins du Primatice par Léonard le Limousin.

Du côté de l’épître se trouvait l’oratoire de saint Louis: c’était une petite chapelle où ce monarque se retirait pour entendre l’office. Sur l’autel on remarquait un tableau représentant l’intérieur de la grande châsse avec toutes les reliques, telles qu’elles y étaient rangées, et saint Louis agenouillé devant elles.

Au fond du chœur était le maître autel, construit à la romaine, dans un carré marqué par quatre colonnes de marbre noir et revêtues de chapiteaux surmontés d’anges en bronze. Les reliques vendues à saint Louis par l’empereur Baudouin étaient enfermées dans une arche de bronze doré ; on y remarquait les instruments de la Passion, la couronne d’épines, le roseau, un morceau considérable de la croix et un fragment de pierre du saint sépulcre. Le trésor de la sainte Chapelle consistait en deux grandes armoires placées dans la sacristie, et qui contenaient une quantité considérable d’objets précieux.

Louis IX, ainsi que nous l’avons dit plus haut, s’appliqua, dès qu’il fut monté sur le trône, à porter remède aux abus qui existaient dans le royaume.

Un des plus grands était la vénalité des charges de judicature. «La prévôté de Paris, nous dit Défontaines dans son Histoire de la ville de Paris, qui autrefois n’était accordée qu’à la naissance et au mérite, se trouvait, sous son règne, entre les mains de simples marchands qui l’avaient prise à ferme; aussi n’etait-ce plus qu’un tribunal d’iniquité où l’innocence pauvre était la victime du riche coupable. »

Saint Louis, pour faire cesser ce désordre, défendit désormais de vendre la charge de prévôt, rétribua ceux qui l’exerçaient et anéantit tous les usages que la vénalité avait introduits contre les pauvres habitants.

Il envoya aussi des commissaires royaux dans les provinces pour remédier aux abus qui s’y étaient introduits. Il imita ainsi Louis le Gros et Philippe Auguste, et lui-même les parcourait souvent pour connaître les plaintes du peuple et soulager ses souffrances. En 1261, il donna la charge de prévôt de Paris à Étienne Boileau, dont il connaissait les lumières et l’intégrité. Ce nouveau prévôt, suivant une route opposée à celle de ses prédécesseurs, rendit à la prévôté de Paris tout son premier éclat. Il rappela la justice dans son tribunal, réprima la licence et donna l’exemple à tous les autres juges du royaume.

Saint Louis, satisfait de sa conduite, faisait asseoir ce prévôt à côté de lui, lorsqu’il était au Châtelet. pour l’encourager et faire connaître qu’il prenait fort à cœur le rétablissement de la bonne justice dans ses Etats.

Ce fut cet Étienne Boileau qui donna aussi une impulsion sérieuse au commerce et aux arts, qui étaient alors fort négligés à Paris. Il rangea tous les marchands et les artisans en différents corps de communautés, auxquels il donna le nom de confréries; ce fut lui, toujours agissant sous les inspirations de saint Louis, qui fut l’auteur de leurs premiers statuts, qu’il fit approuver par les principaux bourgeois de Paris assemblés.

L’origine de la charge de prévôt de Paris est clairement caractérisée par les écrivains historiques du temps.

Ainsi que nous l’avons indiqué précédemment, les comtes, sous les rois de la seconde race, rendaient la justice dans tout le royaume. Le comté de Paris ayant été réuni à la couronne, on y établit un prévôt, c’est-a-dire un lieutenant préposé par le roi pour administrer la justice en son nom. On ne sait pas au juste en quelle année se fit cet. établissement, mais il est certain qu’il subsistait en 1060 et 1067. Deux chartes, datées de ces mêmes années, et données en faveur de Saint-Martin-des-Champs, par les rois Henri 1er et Philippe 1er, sont souscrites par Etienne, prévôt de Paris. Le prévôt de Paris avait trois juridictions: une ordinaire, qui était la connaissance du siège du Châtelet, et deux déléguées, qui étaient la conservation des priviléges royaux, de l’Université, et la criée des maisons.

Le prévôt de Paris était le chef du Châtelet et y représentait le roi au fait de la justice.

Les prérogatives du prévôt étaient nombreuses; il avait des gardes avec hoquetons et hallebardes, une place marquée aux lits de justice, au-dessous du grand chambellan, et le droit d’assister aux états généraux, comme premier juge ordinaire et politique de la capitale du royaume.

En l’année 1245, saint Louis rendit une ordonnance touchant les guerres privées: elle défendait, avant les quarante jours expirés, d’attaquer les parents de ceux qui avaient droit de déclarer la guerre, ou qui la déclaraient réellement, pour quelque cause que ce fût. Quiconque contrevenait à cet édit, devenait coupable de haute trahison et était puui de mort. C’est ce qu’on appelait la quarantaine le roi. Si quelqu’un était tué dans ces querelles, de chacun noveal mort, on commandoit quatre quarantaines, lesque les quarantaines furent toujours bien tenues, quelconques haisnes il avinst entre les parties.

Dès lors on ne vit plus que des guerres ayant des motifs sérieux, où l’on se trouvait prépare de part et d’autre, Les campagnes purent être cultivées et habitées sans crainte; la vie des particuliers cessa d’être exposée a mille accidents imprévus. (Velly, Histoire de France, t. II, p. 365 )

Saint Louis défendit en outre, dans ses domaines, le duel judiciaire, n’osant pas l’attaquer de front dans tout le royaume.

«Nous défendons, dit-il dans ses Etablissements, les batailles partout notre domaine, en toutes querelles, et en lieu de bataille, nous mettons preuves de témoins et de chartes, selon droict écrit en code el titre de Pactis.» (Liv. I, chap.2.)

Les barons luttèrent longtemps contre un exemple si dangereux pour ce qu’ils appelaient leurs priviléges. L’appel des jugements à la cour du souverain était une conséquence inévitable de l’abolition des combats, et leur orgueil se trouvait blessé à la pensé seule de se soumettre à l’autorité de la couronne; mais une nouvelle puissance s’était formée depuis l’affranchissement des communes, et des règles justes et fixes allaient bientôt l’emporter sur la force des armes et le hasard des odalies.

Dès le moment où suint Louis abolissait le combat judiciaire dans ses domaines, et substituait des preuves écrites ou orales aux épreuves, il dut naturellement songer à créer des officiers chargés de fournir, par actes écrits, les bases des décisions judiciaires. C’est à lui qu’on doit la création des premiers notaires. Les actes authentiques, avant saint Louis, se faisaient devant les juges et les evêques; les doubles étaient renfermés dans un dépôt public. Il y avait dans la justice de Paris soixante greffiers, ou clercs, occupés à écrire les actes; les magistrats, ne pouvant plus sutfire aux détails immenses dont ils étaient surcharges, finirent par laisser à leurs clercs le soin de rédiger les conventions. Ces clercs, dont la science consistait uniquement dans la pratique des formes, faisaient les actes comme ils le pouvaient, et leur ignorance était une source de procès. Saint Louis sentit la nécessité de mettre un terme à ce désordre. Il ôta aux juges le droit de recevoir les contrats volontaires, et conféra ce pouvoir a des officiers qui furent nommes notairesou tab l tions. C’était dans les salles du Châtelet qu’ils exerçaient leur ministère. Les ordonnances des règnes suivants dégrossirent et perfectionnèrent cette ébauche.

La maxime: Témoins par voix vive passent lettres perdit sa puissance destructive à l’égard des actes marqués d’un scel authentique. Plus tard, ce vieil adage disparut tout à fait dans les ténèbres du moyen âge; les écritures privées et reconnues partagèrent la faveur d’être mises hors des atteintes de la preuve testimoniale. Ainsi avaient fait les Romains. Cependant aucune Ici ne prescrivait d’écrire les actes, aucune loi ne distinguait leur nature et leur importance. 1 a preuve des naissances, des mariages, des décès, des degrés de parenté, était abandonnée aux souvenirs trompeurs et à la vive voix des hommes.

Sous le règne de saint Louis, la ville de Paris fut très-fréquentée par les prélats et la noblesse, parce qu’il y tenait tous les ans deux ou trois parlements. Celui qu’il y tint à la Pentecôte, en 1267, fut l’un des plus célèbres; il s’y trouva beaucoup d’évêques et de seigneurs à cause de la cérémonie qui s’y fit au Palais.

Philippe, fils aîné du roi, Robert, comte d’Artois, son neveu, un fils du roi d’Aragon, Edmond d’Angleterre, et plusieurs autres seigneurs, jusqu’au nombre de soixante-sept, y furent faits chevaliers. Le roi lit seul toute la dépense, qui monta à trente mille livres.

Les assemblées ou parlements tenus par Louis IX ont cela de particulier qu’on y vit figurer, pour la première fois, des députés des communes ou des bonnes villes. C’est donc à son règne qu’il faut faire remonter l’intervention de la bourgeoisie, sous un titre ou sous un autre. Et c’est là un point d’histoire qu’il est bon d’etablir, parce qu’il prouve que, dès le moment où la nation régularise son activité et tend à se coordonner, on voit apparaître, comme élément constitutif du pouvoir législatif et parlementaire, des délégués des villes libres et communes.

Nous devons dire encore, en l’honneur de la mémoire de saint Louis, que, sous son règne, il se fit de nombreux affranchissements et qu’il continua avec fermeté l’œuvre commencée par Louis le Gros.

La reine Blanche, sa mère, le suivit dans cette voie; en voici une preuve convaincante:

Le chapitre de Paris s’arrogeait une autorité absolue sur ceux qui dépendaient de lui, comme serfs et autres. La reine Blanche, ayant appris que ce chapitre retenait prisonniers plusieurs habitants de Châtenay, coupables envers lui de certaines choses interdites aux serfs, et que ces prisonniers étaient si mal traités, que l’on craignait beaucoup pour la vie de plusieurs d’entre eux, la reine, voulant d’abord user des voies de douceur, envoya prier le chapitre de relâcher les prisonniers sous caution. Il fit à cette princesse une réponse qui la choqua; et en même temps il augmenta les violences qu’il exerçait contre les prisonniers dont elie avait demandé la liberté. La reine, piquée jusqu’au vif d’nn mépris qui portait atteinte à son autorité, prit de suite une résolution courageuse. Elle se rendit elle-même à la prison où les prisonniers étaient détenus, et dès qu’elle y fut arrivée, elle frappa la porte d’un bâton qu’elle tenait à la main. Au même instant, les gardes et ceux qui l’avaient suivie brisèrent cette porte et procurèrent ainsi la liberté à une foule de femmes et d’enfants, qui vinrent tous se jeter à ses pieds en lui demandant sa protection.

Les chanoines, irrités de ce coup d’autorité, murmurèrent hautement et perdirent le respect dû à la majesté royale. La reine, pour les mettre à la raison, fit saisir leur temporel. Le chapitre se vit enfin contraint d’affranchir les habitants de Châtenay pour une somme qu’elle fixa.

Ceci se passa vers l’année 1251, alors que le roi saint Louis, qui s’était absenté de son royaume pour aller guerroyer en terre sainte, se trouvait obligé de demander à sa mère de grosses sommes pour sa rançon, car il était tombé entre les mains des infidèles. La reine Blanche, pendant son absence, avait été chargée de l’administration du royaume.

Le fait que nous venons de citer et d’autres prouvent la persistance que mit le clergé à désobéir aux édits et ordonnances qui voulaient que tous les serfs du royaume fussent affranchis. La reine Blanche, qui procura la liberté à bon nombre de serfs par sa généreuse intervention, mourut en 1252.

Saint Louis, de retour en France après sa première expédition en Orient, promulguases Etablissements, ainsi que la pragmatique sanction, fondement des libertés de l’Eglise gallicane.

En terminant nos recherches et observations, tant sur les constructions importantes faites au Palais par Louis IX que sur les réformes les plus importantes qui eurent lieu sous son règne touchant l’administration de la justice, nous croyons utile de constater qu’il fonda dans Paris un grand nombre d’édifices, et que c’est lui, en réalité, qui créa la première bibliothèque publique de France.

Il la plaça dans une salle voisine de la sainte Chapelle; il y rassembla avec zèle les copies qu’il avait faire de tous les manuscrits précieux qui avaient pu être mis à sa disposition. Il venait souvent lui-même dans la salle de sa bibliothèque lire et travailler, se mêlant à ceux que l’amour de l’étude y amenait, s’entretenant avec les lettrés, qu’il estimait beaucoup, et expliquant aux personnes moins instruites les plus beaux passages de l’Écriture sainte et des pères de l’Eglise.

Philippe III, dit le Hardi, était encore en Afrique au moment de la mort de son père: il en partit immédiatement, après avoir conclu une paix de dix ans avec le roi de Tunis.

Ce fut sous ce règne que des lettres d’anoblissement furent données à Raoul, l’orfèvre ou l’argentier du roi, — homme de roture. — «Cette introduction nouvelle, dit le président Hénault, par laquelle on rapprochait les roturiers des nobles, et qui fut appelée anoblissement, ne faisait que rétablir les choses dans le premier état. Les citoyens de la France, même depuis Clovis, sous la première et longtemps sous la deuxième race, étaient tous d’une condition égale, soit Francs, soit Gaulois, et cette égalité dura jusqu’au moment où il y eut usurpation des seigneuries.»

Nous avons, sous ce règne, un procès célèbre à enregistrer: ce fut celui de Pierre de la Brosse, qui avait été barbier de saint Louis, puis qui était devenu favori et ministre de Philippe III.

En l’année 1275, le roi épousa en secondes noces la princesse Marie, fille de Henri, duc de Brabant. Le mariage se fit dans le château de Vincennes. Le roi fit couronner sa nouvelle épouse dans la chapelle du palais par l’archevêque de Reims, malgré l’opposition de l’archevêque de Sens, qui prétendait que celui de Reims n’avait aucun droit de faire cette cérémonie dans Paris; mais on lui répondit que la sainte Chapelle ne dépendait pas de Sens.

Les réjouissances qui eurent lieu à l’occasion de ce nouveau mariage de Philippe III firent bientôt place à la tristesse que causa la mort de Louis, son fils aîné.

On dit d’abord dans le public que la jeune reine, sa belle-mère, l’avait empoisonné : Pierre de Brosse, chirurgien du roi, était l’auteur de ces bruits fâcheux. Cet homme, né à Tours, s’était rendu à la cour sous le règne de saint Louis qui faisait un grand cas de la chirurgie, et il l’attacha ensuite à la personne de son fils; ce jeune prince étant monté sur le trône le fit son chambellan. Il l’aimait beaucoup, ne voyait en quelque sorte que par ses yeux, et ne répandait ses faveurs que sur ceux que son favori lui indiquait.

La mort de son fils lui causa une vive douleur, et il se montra visiblement porté à croire les bruits que de Brosse répandait sur sa mort.

Ses soupçons se portaient donc sur la reine, sa jeune femme, puis il lui prenait un remords et ne pouvait croire qu’une princesse si jeune, si remplie de grâces, d’un naturel parfait, se fût rendue coupable de l’empoisonnement de son jeune fils.

Il y avait en ce temps-là en France, nous dit un historien judicieux, de ces gens comme nous en avons eu en d’autres temps, qui se mêlent de prédire l’avenir, de révéler les choses cachées, qui, pour paraître prophètes aux yeux des simples, s’embarrassent peu d’accuser un innocent, et qui plongent souvent les personnes crédules qui les consultent dans les malheurs qu’elles croyaient pouvoir éviter en les consultant.

Le vidame de l’église de Laon, un moine vagabond et une béguine de Nivelles en Flandre, passaient alors pour trois devins infaillibles, mais la religieuse avait encore plus de réputation que les deux autres; le roi, qui en avait entendu parler, eut le désir de la consulter ou peut-être fit naître habilement en lui ce désir; il envoya auprès d’elle Mathieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis, et l’évêque de Bayeux, parent de la femme de Brosse. Ce prélat parla à la béguine avant Mathieu de Vendôme, aussi crédule que le roi; il s’imaginait que cette religieuse pouvait découvrir la vérité d’un fait passé à cinquante lieues d’elle; elle lui parla longtemps, dit un historien, mais on n’a jamais su ce qu’elle lui dit, et lorsque l’abbé de Saint-Denis fut à son tour pour l’interroger, elle ne fit d’autre réponse sinon qu’elle avait tout dit à l’évêque.

Quand l’évêque fut de retour, le roi l’interrogea, mais celui-ci répondit vaguement, ce qui le plongea dans une plus grande incertitude que celle dans laquelle il se trouvait déjà. Il crut devoir envoyer de nouveaux émissaires à la religieuse, et la fit consulter par Thibaud, l’évêque, et Arnoult, chevalier de l’ordre du Temple; la devineresse leur dit qu’ils pouvaient assurer leur maître de l’innocence de la reine.

Aussitôt les soupçons du roi cessèrent, et il attendit du temps la découverte de la mort de son fils, puis on finit par lui persuader que son favori de Brosse, le calomniateur de la reine, était lui-même l’auteur du crime dont il l’avait accusée. Les choses étant arrivées à ce point, le ministre fut arrêté, jugé et condamné à être pendu par une commission de trois juges.

Ce jugement fut exécuté à Montfaucon en l’année 1275.

Après la mort de de Brosse, il se trouva des gens notables qui disaient hautement que l’inimitié des grands était son crime, et le seul qui lui avait fait perdre la vie. Philippe le Hardi manquait d’instruction et avait l’esprit fort peu étendu; aussi sous son règne la législation resta stationnaire, néanmoins il rendit une ordonnance assez remarquable sur la profession d’avocat.

Histoire du palais de justice de Paris et du parlement (860-1789)

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