Читать книгу Novellas - Francisque Sarcey - Страница 4
ОглавлениеII
Valdreck se dirigea vers la rue Mongivet (je vous avertis de ne point chercher la rue Mongivet sur les plans de Paris, on a oublié de l’y mettre). Il s’arrêta devant le numéro14. C’était la maison qu’on lui avait indiquée. Elle lui plut tout aussitôt par son air patriarcal. C’était un corps de bâtiment qui s’élevait au fond d’une cour silencieuse; à droite et à gauche de vastes jardins; en avant sur la rue, un simple rez-de-chaussée, où logeait le concierge, mais qui paraissait une demeure bien somptueuse pour un fonctionnaire du cordon.
Valdreck entra dans la loge, qui était une fort belle chambre coquettement meublée.
— C’est le second qui est à louer, madame? demanda le musicien.
La dame, qui était en train de tricoter dans un vaste fauteuil, leva la tête, ficha son aiguille dans ses cheveux, qui tombaient en grosses boucles blanches sur son visage, et regarda longuement l’aspirant locataire.
— C’est vous qui voulez louer?
–Apparemment, madame.
— Pour vous?
–Pour moi, sans doute, si l’appartement me plaît.
— A la bonne heure. Mais il faut que vous me plaisiez d’abord.
–Ah h!
— C’est comme cela, mon cher monsieur; et avancez à l’ordre.
Les types excentriques ne déplaisaient point à Valdreck, qui était artiste jusqu’au bout des ongles. Cette bonne dame, avec ses airs d’importance, piqua sa curiosité.
— Ainsi, dit-il, c’est la règle de la maison que les locataires doivent plaire à madame la concierge?
— Un peu, mon neveu. Il faut qu’on me plaise. C’est que, voyez-vous, je suis la concierge, sans l’être; je suis la concierge et je ne la suis pas. C’est moi qui garde la porte, si vous voulez. Mais je suis la propriétaire, et Justine ne vous montrera l’appartement quesi vous faites mon affaire. Et d’abord, comment vous nomme-t-on?
Valdreck donna son nom.
— Attendez donc… mais je connais ce nom-là. Je l’ai vu quelque part. Est-ce que ce n’est pas vous qui avez fait une pièce qu’on joue à l’Opéra-Comique?
— Précisément.
— Un musicien alors? interrogea-t-elle avec une nuance de dédain.
— Vous l’avez dit, et de plus professeur au Conservatoire.
— Oh! ça, c’est différent; professeur au Conservatoire! voilà qui va bien. Et puis vous êtes un homme d’âge. Point d’enfants?
— Ni femme ni enfants.
— Point de chiens, de chats, ni d’oiseaux?
— Aucune bête nuisible.
— Je crois que vous m’irez, vous…; et puis vous me donnerez des billets pour l’Opéra-Comique.
— Pardon, madame, interrompit Valdreck légèrement inquiet, est-ce que vous aimeriez la musique?
— Je l’aime, sans l’aimer; je l’aime et je ne l’aime pas. Je l’aime, mais je ne veux pas qu’on en fasse chez moi. Seulement, vous comprenez que du moment qu’il s’agit d’aller au spectacle pour rien, c’est toujours ça de gagné.
Valdreck respira. Tomber sur une propriétaire qui gardait elle-même sa maison et qui détestait le piano, c’était une double bonne fortune. Un horizon de félicités se découvrit à ses yeux enchantés. Il resta quelque temps à faire la conversation avec son hôtesse; il apprit en dix minutes qu’elle s’appelait madame Simonneau; qu’elle possédait vingt mille livres de rente; qu’elle n’avait plus qu’un neveu, un mauvais garnement, officier en Afrique, qui lafaisait endêver, mais qui l’adorait; qu’elle avait fait sa fortune en vendant des choux à la halle, et beaucoup d’autres particularités tout aussi intéressantes.
Sur l’invitation de sa maîtresse, Justine précéda V aldreck, un trousseau de clefs en mains, et le mena voir l’appartement. C’était juste ce qui convenait au maëstro. Il fut avant tout séduit par la vue d’un immense salon, très-haut de plafond, dont les larges fenêtres ouvraient d’un côté sur la cour solitaire, et de l’autre, sur un jardin. Il pourrait là se promener tout à son aise, et composer sans crainte d’être interrompu par aucun bruit. Cependant, il crut bon de prendre ses précautions.
— Qui est-ce qui demeure au-dessus?
— Un vieux monsieur, avec sa bonne. C’est un ancien noble qui a eu des malheurs. On dit qu’il a émigré sous Robespierre, mais j’en ignore, parce qu’il n’est pas causeur.
— Il n’a point de fille ni de nièce?
— Non, monsieur. Personne ne lui en connaît: il est sa famille à lui tout seul.
–Et au premier?
–L’appartement est inoccupé.
–Pourquoi?
–Parce que les locataires qui se sont présentés n’ont pas plu à madame. Et puis je crois que madame se réserve cet appartement pour le retour de son neveu. Elle logera son neveu au rez-de-chaussée, et prendra le premier elle-même.
— Est-ce que le neveu joue de quelque instrument?
— Que voulez-vous dire?
— Du piano, par exemple?
— J’ai idée qu’il ne joue que du sabre, le brave garçon; mais il en joue bien.
–Passe pour le sabre.
Valdreck était aux anges. Ce logis était une trouvaille. Il ne s’agissait plus que d’en savoir le prix.
–C’est deux mille francs et pas un liard avec.
–Pas un liard avec, soit, dit le musicien; mais quelques liards en moins, qu’en diriez-vous?
— On ne surfait pas ici. Madame Simonneau n’a jamais rabattu un centime ni sur ses choux ni sur ses loyers.
Deux mille francs! c’était cinq cents francs de plus que Valdreck n’avait l’intention de mettre à son loyer. Il n’était pas riche, et cinq cents francs sont une affaire dans un petit ménage. Il essaya quelque temps d’obtenir une diminution; cent francs lui auraient suffi; mais la veuve fut inflexible, et Valdreck donna sa parole. Il revint à la maison, un peu inquiet de l’accueil qu’il allait recevoir de Marguerite.
Aussi n’osa-t-il point, le soir même, parler à sa vieille gouvernante du coup de tête qu’il avait fait. Il remit, pour lui avouer son équipée, au jour où sa signature apposée au dos du contrat rendrait la chose définitive. Le lendemain même il avait signé son bail, et il s’en ouvrit à sa bonne, à sa chère, à son excellente Marguerite.
Elle recula, comme si elle venait de recevoir un coup en pleine poitrine:
–C’est du propre! monsieur, s’écria-t-elle. Vous louez autre part, et vous n’avez pas donné congé ici.
— C’est juste, ma fille. Je n’y avais pas pensé. Nous paierons le trimestre et tout sera dit.
— Et tout sera dit! Il paraît qu’à cette heure vous avez des mille et des cent1Vous ne songeriez pas à augmenter mes gages, mais vous vous mettez deux appartements sur le dos et vous criez misère e! Vous avez douze ans avec votre barbe grise! C’est dégoûtant, foi d’honnête femme e!
Dégoûtant ou non, il fallut bien déménager. Ce furent des journées très-douloureuses pour le brave musicien et fort cruelles pour sa domestique. Il s’esquivait dès le matin, et il errait comme une âme en peine dans les environs. Il lui était impossible de surveiller aucun de ces apprêts, et pourtant il sentait un invincible besoin de s’assurer que chaque meuble était à sa place, que ses partitions et ses manuscrits ne couraient aucun risque d’être perdus. Pour Marguerite, elle se multipliait, grondait, tempêtait, faisant à elle seule la besogne de trois hommes et parlant comme six femmes. Quand son maître s’avisait par hasard de s’aventurer dans la poussière de ce déménagement improvisé, elle ne manquait pas de l’inviter, par les épaules, à sortir, à ne pas la gêner plus longtemps.
Il voulait donc sa mort! Il ne pouvait pas rester tranquille1On n’avait jamais vu tatillon pareil! Le pauvre professeur secouait les oreilles et retournait à sa promenade.
Tout a une fin en ce monde. Le jour vint où l’appartement fut rangé, les meubles en ordre et les parquets propres comme des sous blancs. Ce matin-là, Marguerite cuisina de ses propres mains un joli petit déjeuner à son maître, qui s’oublia longuement à table, en buvant son café à petits coups. Il restait en face de la fenêtre ouverte, perdu en contemplation devant le vaste pan du ciel qui s’ouvrait sur le jardin; il jouissait de ce repos béat qui est la récompense d’une bonne digestion, quand deux heures sonnèrent à l’une des horloges du voisinage.
— Il est deux heures s! fit observer Marguerite.
— Eh bien! ma fille, qu’y a-t-il là d’étonnant?
–Ce qu’il y a d’étonnant? c’est que vous ne m’ayez pas encore crié: Marguerite, fermez donc les fenêtres s!
En disant ces mots, sa large bouche s’ouvrait pour un sourire narquois.
–Tu vois bien, dit paisiblement Valdreck, que j’avais raison. Tout cela me coûte un peu cher, mais nous aurons la tranquillité pour toujours. C’est un coin du paradis que cette maison.
Et il se renfonça dans sa rêverie.