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VII

Comme il en était là de ses réflexions, Marguerite entra.

— Monsieur aura-t-il quelqu’un à dîner? demanda-t-elle.

–Et pourquoi aurais-je quelqu’un à dîner? répondit-il d’un ton bourru.

— Dame! c’est que ce jour-là…, souvent… monsieur.

— De quel jour parlez-vous? sempiternelle bavarde e!

— Enfin, quoi! c’est votre fête aujourd’hui, et j’avais pensé.

— Ah! c’est ma fête! s’écria-t-il; eh bien! je vais me la payer!

Et se jetant sur son chapeau, il sortit comme un trait.

–Décidément, il a quelque chose. murmura Marguerite.

Le lendemain, Valdreck marqua plus d’inquiétude qu’il n’en avait jamais montré. A chaque instant il ouvrait la fenêlre et se penchait en dehors s; il semblait écouter si personne ne venait. D’autres fois, il se glissait à pas de loup sur le palier, et regardait par-dessus la rampe, interrogeant l’espace. Tous ces tours avaient excité au plus haut point la curiosité de Marguerite, qui guignait son maître du coin de l’œil et se touchait le front en branlant la tête.

Tout à coup, le bruit d’une voiture s’arrêtant devant la porte cochère le fit tressaillir; il bondit jusqu’à la porte suivi de Marguerite, que l’inquiétude dévorait. Il arriva assez à temps pour voir deux hommes qui débarquaient avec soin du fond de leur voiture une caisse de piano.

— Doucement, répétait Valdreck, doucement.

L’opération ne fut pas plus tôt terminée et le piano à terre que Valdreck s’écria avec colère:

— Mais il y a erreur! ce n’est pas le piano que j’ai choisi.

— C’est celui-là qu’on nous a dit d’apporter.

— Je n’en veux pas! remportez-le.

Une voix de femme intervint, la propre voix de madame Simonneau, qui, au bruit, accourait essoufflée:

—Remporter mon piano! s’écria-t-elle, et pourquoi cela?

— Votre piano, madame! demanda le musicien stupéfait.

— Eh! oui! mon piano. Est-ce que je n’ai plus le droit à présent d’avoir un piano comme tout le monde? Par ici, mes amis, par ici.

Elle indiquait aux hommes de peine la porte du rez-de-chaussée. Valdreck courut à la dame et, lui serrant le bras avec force:

— Pour qui ce piano, madame? pour qui? ce n’est pas pour vous, j’imagine.

— Naturellement. Quelle bêtise! c’est pour mon neveu…

— Quel neveu?

— Vous savez bien…, mon neveu…, celui qui est à l’armée d’Afrique…, un fier gars.

Et s’interrompant pour parler aux hommes:

— Là… disait-elle, le long de cette muraille… prenez garde de rien abîmer.

Elle releva le couvercle:

Il est vraiment beau tout de même, dit-elle en l’admirant.

— Votre neveu?

— Qui vous parle de mon neveu? le piano, un Burkhart, mon cher, douze cents francs; payé comptant, rien que cela. Voulez-vous l’essayer, pour voir?

A cette proposition, qui avait l’air d’une amère ironie, Valdreck bondit en arrière.

— Ce neveu est donc musicien? s’écria-t-il impétueusement.

— Un peu, mon neveu! répondit-elle en riant de tout son cœur à sa plaisanterie.

— Il emporte alors un piano dans son sac de soldat?

— Quelle bêtise! non, il joue de la flûte.

— Et c’est pour cela que vous lui achetez un piano?

— Qui peut le plus peut le moins. C’est autrement difficile de jouer des airs en soufflant dans un petit trou que de taper sur ce râtelier d’Anglaise. Tenez! moi, je n’ai jamais appris; eh bien! je sais Au clair de la lune avec un doigt. Vous allez voir, c’est très-gentil.

Valdreck se précipita sur le piano, qu’il ferma avec violence, et marchant sur la pauvre femme, qui reculait d’instinct:

— Mais, madame, s’écria-t-il, voilà des choses qui ne se font pas! Quoi! je viens chez vous, au fond de l’île Saint-Louis, dans une maison d’air respectable, j’y loue deux appartements, et vous achetez un piano!

— Mais ça n’a pas le moindre rapport!

— Pas le moindre rapport! Mais si je me suis mis deux loyers sur les bras, c’est uniquement pour ne pas avoir de piano sur ma tête ni sous mes pieds, le piano est un vice rédhibitoire.

–Vous en jouez toute la journée!

–C’est précisément pour cela que je ne veux pas que personne autre en joue. Moi, mon bruit ne m’incommode pas. Celui des voisins m’est odieux. Si ce piano reste ici, je déchire mon bail, je déménage, c’est une trahison.

— Vous êtes un drôle de particulier r! vous faites semblant d’adorer le piano: on en achète un pour vous être agréable; et vo us vous enlevez comme une soup e au lait. Est-ce que sans vous j’aurais jamais songé à donner mon bon argent contre cette grande guimbarde? C’est pour vous ce que j’en ai fait. Je m’étais dit: il aime le piano, mon neveu va venir.

— Allez à tous les diables, avec votre neveu et votre piano. Je ne sais qui me retient de le mettre en pièces.

— Ah!mais, pas de ça, Lisette! un piano de douze cents francs!

Et elle se jeta résolûment devant son Burkhart, les mains tendues, prête à le défendre, jusqu’à la dernière goutte de son sang.

Le bruit d’une voiture qui s’arrêta à la porte d’entrée la tira de cette posture belliqueuse, et mit fin à la scène. Elle alla voir ce qu’il y avait de nouveau:

—Tiens! s’écria-t-elle étonnée, on dirait encore une voiture à piano. On se trompe, sans doute. Je n’en ai demandé qu’un.

L’homme qui conduisait sauta à bas du siège.

— Mademoiselle Jeanne d’Esgrigny, est-ce ici? demanda-t-il.

— Oui, monsieur, au troisième.

A ce moment Valdreck se montra:

— Ah! c’est vous, monsieur Valdreck. lui dit l’homme avec une bonhomie joyeuse. Le patron m’a chargé de vous dire que vous auriez un fameux piano, tout ce qu’il y a de plus sterling en fait de piano, et pour pas cher, vous pouvez vous en vanter.

— C’est bon! c’est bon! disait Valdrech, baissant le nez, du ton d’un homme qui veut en finir vite. Faites votre commission, j’ai à sortir.

Madame Simonneau écoutait, stupéfaite. Elle hésitait à comprendre. Elle interrogeait d’un long regard Marguerite, qui, répétant son geste familier, porta son index à son front en levant les épaules. Elle finit par éclater de rire.

—Ainsi, dit-elle, prenant le bras de Valdreck, qu’elle fit tourner sur lui-même comme un toton; ainsi le piano vous dérange, et vous en achetez pour les demoiselles. Il paraît que le piano des nièces vous est moins désagréable que celui des neveux. Sous vos pieds, il n’en faut pas; mais sur votre tête, ça vous va très-bien. Si je vous menaçais pourtant de mettre le vôtre en morceaux, qu’est-ce que vous diriez?

Hélas! Valdreck ne disait rien; il avait tout doucement détaché son bras de l’étau où le serrait l’ex-marchande de carottes, et il s’était esquivé, la mine un peu piteuse. Il ne connaissait d’autre recours, dans les embarras de la vie, que de se détendre les nerfs et de se calmer le sang par un rapide tour de promenade.

Il ne rentra que pour l’heure du dîner, se défila le long du mur pour n’être pas aperçu de la terrible madame Simonneau, ouvrit sans bruit la porte de son appartement, et se glissa, d’un pas suspendu, dans son cabinet de travail. Arrivé là, il ne put retenir un cri: un cri d’admiration et de joie. Au milieu de la chambre se dressait le clavecin de Marie-Antoinette, ce clavecin, le secret objet de ses convoitises d’artiste.

Sur la table de l’instrument s’étalait, dans un vase de vieux sèvres, dont il lui était arrivé un jour de louer l’élégance, un énorme bouquet de roses qui embaumaient.

Au vase était accotée une carte, sur laquelle Valdreck déchiffra ces mots, écrits d’une petite écriture serrée et fine:

«Mademoiselle Jeanne d’Esgrigny prie son digne maître, M. Valdreck, d’accepter cet humble souvenir d’une profonde reconnaissance et d’une sincère affection.»

Le pauvre homme jeta autour de lui un regard soupçonneux pour s’assurer qu’il n’était point épié par Marguerite; il baisa les lignes tracées par la main blanche de sa petite amie et qui lui apportaient comme un parfum d’elle; et, sans plus songer à tous ses ennuis de la journée, il s’assit devant son clavecin.

Il y avait longtemps qu’il cherchait une mélodie qui pût s’adapter à ces vers délicieux de Malherbe:

Ils s’en vont, ces rois de ma vie,

Ces yeux, ces beaux yeux,

Dont l’éclat fait pâlir d’envie

Ceux mêmes des cieux.

Il n’avait jamais rien pu trouver d’assez expressif, rien qui satisfît son goût d’artiste. A peine eut-il essayé un accord, que la phrase mélodique jaillit tout entière sous ses doigts, une phrase inspirée, d’une mélancolie inexprimable, qui est restée un des plus aimables bijoux de l’art contemporain. Il se hâta de la transcrire, mit les paroles au-dessous, puis la date, l’heure, et signa.

Quelle idée lui passa par le cerveau? Je ne sais; mais il écarta du doigt la feuille humide et demeura quelque temps perdu dans ses rêveries. Il reprit le papier et, en tête du morceau, il écrivit rapidement:

A mademoiselle Jeanne d’Esgrigny.

Et sonnant Marguerite:

–Porte cela au troisième, lui dit-il.

— Oh! monsieur!… fit Marguerite d’un air scandalisé.

— Pas un mot, ou je vous chasse; entendez-vous? je vous chasse.

— C’est bien, on y va, dit Marguerite.

La soirée fut charmante ce jour-là: l’air était tiède, et le soleil illuminait les toits de ses rayons de feu. Valdreck ouvrit sa fenêtre et s’accouda sur la barre d’appui. Il n’était pas là depuis dix minutes, qu’il eut l’ineffable bonheur d’entendre une voix jeune, fraîche, émue, qui chantait avec une charmante gaucherie d’accent:

Ils s’en vont, ces rois de ma vie,

Ces yeux, ces beaux yeux,

Dont l’éclat fait pâlir d’envie

Ceux mêmes des cieux.

Tout son cœur se fondit; il s’abima dans la contemplation du ciel, où commençait à poindre un blanchâtre croissant de lune. Il s’égarait déjà dans les plaines sacrées de la fantaisie, cueillant sur son chemin les étoiles d’or qu’il y rencontrait, quand un bruit sec le rappela cruellement à la réalité.

De l’appartement du dessous montait l’air de Au clair de la lune, joué d’un seul doigt sur le piano de madame Simonneau. Il se rejeta en arrière, et comme Marguerite entrait au même moment, portant le café sur un plateau:

Veux-tu bien fermer la fenêtre! s’écria-t-il furieux.

Allons voilà encore monsieur dans ses lubies, soupira Marguerite.

Et elle ferma la fenêtre.

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