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III

Les peuples heureux n’ont pas d’histoire, dit le proverbe. Les six mois qui suivirent cette installation s’écoulèrent pour M. Valdreck sans être marqués par aucun accident, sans laisser de traces. Il jouissait avec la satisfaction d’un dévot ou d’un égoïste (c’est tout un) d’une quiétude qu’il n’avait jamais connue. A mesure qu’il avait mieux pratiqué son appartement, il s’y était attaché davantage et s’était plu à le rendre à la fois plus commode et plus agréable. Il aimait ses aises en tout. Il savourait le bien vivre comme il goûtait la bonne chère.

Il commença par en changer les papiers, dont le ton criard lui blessait l’œil; il put, grâce à une porte de communication qu’il perça, arranger en forme de cabinet de toilette une chambre qui jusque-là avait servi de débarras. Une fois engagé dans cette voie, il renouvela ses tapis, dont la couleur était passée; il mit au rancard de vieux meubles qui lui avaient toujours servi, sans qu’il s’aperçût de leur air misérable, et il en fit faire tout exprès de neufs, afin qu’ils s’adaptassent exactement aux encoignures des chambres. Marguerite ne cessait de gémir sur ces dépenses qui la navraient.

— Mais, monsieur, vous n’y pensez pas. Cet appartement-là sera votre ruine; je vous le prédis. C’est pour la propriétaire que vous travaillez. Un beau jour, quand vous aurez fini tous vos arrangements, elle vous flanquera à la porte, et vous en serez pour vos frais.

–Fermez votre piano, ma chère Marguerite, lui disait Valdreck, en souriant.

— Vous mourrez sur la paille, et ce sera bien fait!

La vieille Marguerite avait quelque peu raison, il faut l’avouer. Le brave musicien ne tarda pas à s’apercevoir qu’il était allé un peu vite en besogne. Mais l’obligation où il se trouva de payer les notes de réparations et d’embellissements eut un bon côté. Elle le força à travailler sérieusement. C’était un voluptueux en art, comme dans le reste. Il attendait volontiers l’inspiration, et caressait longuement les mélodies écloses de son cerveau, comme un fumeur d’Orient laisse échapper de ses lèvres, avec une lenteur savante et molle, la fumée diaprée du chibouck. Le pressant aiguillon de la nécessité le poussa hors de ses goûts de rêverie et de farniente.

Il sentit le besoin de faire des démarches. C’était pour lui la plus cruelle des corvées. Il s’y résigna. Il obtint qu’un de ses opéras, reçu depuis longtemps, fût mis à l’étude, et une fois la chose en train, sa vie tout entière fut absorbée par les répétitions dans la journée, et le soir par les retouches à exécuter. Il restait quelquefois très-avant dans la nuit à son piano, et quand Marguerite, inquiète de cette fièvre de travail, lui faisait remarquer l’heure e:

— Minuit, déjà! s’écriait-il. Et personne ne se plaint du bruit que je fais! Comprends-tu, Marguerite, la joie de n’avoir pas de voisins?

–Dame! monsieur, vous en avez tout de même; mais ils ne disent rien. Ce sont de braves gens; car vous devez joliment les ennuyer.

— Marguerite! dit sévèrement le vieux musicien choqué.

Ce qu’il y a d’étrange, c’est que Marguerite se trompait. Que le vieux gentilhomme du troisième eût un certain plaisir à écouter le piano du maître, ce n’était pas le plus étrange de l’affaire. Mais madame Simonneau elle-même avait fini par prendre goût à la musique. Elle était si ravie et si fière d’avoir pour locataire un homme dont le nom était dans les gazettes qu’elle s’était réconciliée avec l’art qu’il professait. Elle avait lu dans son journal qu’on jouerait bientôt à l’Opéra-Comique une pièce de lui. Cette nouvelle l’avait remplie d’orgueil et de joie. Elle l’avait répandue dans tout le quartier, et avait cent fois répété en se rengorgeant qu’elle assisterait à la première représentation.

Le soir, elle laissait scrupuleusement sa fenêtre ouverte, et retirait les boules de coton qui fleurissaient dans ses vieilles oreilles, pour pomper avec plus de conscience, et sans en perdre un seul, les sons qui s’échappaient de chez son voisin. Elle avait fini par apprendre par cœur les principaux morceaux, et en fredonnait quelques phrases tous les jours, en poursuivant son tricot. Quand, par hasard, une amie l’interrompait pour lui dire:

— Tiens! qu’est-ce que vous chantez donc là, madame Simonneau? je ne connais pas ça!

Elle crevait dans sa peau.

— Je crois bien, disait-elle, baissant la voix et d’un air mystérieux, je crois bien que vous ne le connaissez pas. C’est tiré de l’opéra qu’on va jouer, vous savez bien, l’opéra de notre célèbre compositeur, qui est mon. locataire et mon ami. Mais, chut! ne le répétez pas; il ne faut point qu’on en sache une note avant le grand jour.

— Mais vous, pourtant, madame Simonneau, vous le chantez.

–Oh h! moi, c’est autre chose, et puis, c’est sans le faire exprès.

Parfois, sous la porte cochère de la maison s’engouffrait un léger bruissement de soie. Une jolie tête de femme, passant par le vasistas, demandait:

— Monsieur Valdreck, s’il vous plaît.

Madame Simonneau clignait de l’œil, en répondant la phrase traditionnelle:

— Au second, au fond de la cour, porte en face.

Ce regard, chargé de mystère et de malice, voulait dire: C’est une actrice e! quelque Phryné du chant, qui vient répéter son rôle!

Ces jours-là, elle veillait elle-même autour du repos de son voisin comme le dragon au seuil du jardin des Hespérides. Si par hasard quelque visiteur se présentait:

— M. Valdreck n’y est pas, disait-elle sans avoir reçu aucun ordre.

— Mais j’entends son piano, insistait l’importun.

— Quand on vous dit qu’il n’y est pas!

Madame Simonneau attendait l’actrice au débouché de l’escalier; elle la suivait des yeux dans la cour; elle la regardait monter en voiture. En France, l’air du théâtre est chargé d’émanations capiteuses; il suffisait d’une bouffée pour griser l’antique madame Simonneau.

Sa vanité fut au comble lorsque son locataire, entrant un matin dans sa loge, lui dit avec sa brusquerie ordinaire:

— Vous plairait-il, madame Simonneau, entendre une répétition générale?

Elle pâlit: une première représentation, c’était déjà une primeur bien tentante! Mais une répétition générale! être admise à l’honneur de juger, avant tout le monde, l’ouvrage nouveau! S’asseoir dans une stalle d’orchestre en qualité d’amie de l’auteur! Pouvoir dire le lendemain: J’y étais. J’avais bien annoncé que ce morceau était un chef-d’œuvre, que ce finale irait aux nues s! C’était à en avoir la cervelle tournée.

L’opéra du maître obtint un de ces succès de critiques et de dilettantes que l’on distingue des succès d’argent en les appelant: succès d’estime. Mais lé retentissement en fut assez fort et assez long, après tout, pour justifier les bruyantes explosions d’enthousiasme dont madame Simonneau se montra prodigue. Valdreck, après cet ouvrage, resta dans cette discrète pénombre dont sa réputation clandestine avait toujours été enveloppée. Il continua d’être estimé des amateurs et indifférent à la foule. Mais il passa grand homme aux yeux de madame Simonneau.

Cette vénérable douairière se prit pour la musique d’une passion dont les éclats faisaient sourire le vieux musicien. Elle avait cherché à se lier d’amitié avec la revêche Marguerite, pour obtenir la permission d’écouter, tout en causant dans la cuisine, le piano du maître, tandis qu’il étudiait ou composait au salon. Mais la terrible gouvernante n’était pas commode à apprivoiser, et madame Simonneau y avait perdu toutes ses avances.

–Ah! disait-elle parfois en soupirant à son locataire, quel malheur qu’on ne m’ait pas fait apprendre le piano quand j’étais jeune! Je pourrais jouer toutes les belles choses que vous composez.

— C’est dommage, en effet! répondait imperturbablement Valdreck, qui riait dans sa barbe.

Un matin, comme il était en train de prendre son café, et qu’il en humait le parfum à petits coups, la bonne dame entra et lui dit après les premiers compliments:

— Ma foi! monsieur Valdreck, je vous ménageais une petite surprise, qui vous eùt été bien agréable. Mais je vous aime tant que je ne peux pas me tenir. Le secret me démange. Il faut que je vous prévienne.

Le musicien pensa que sa propriétaire lui avait confectionné quelqu’une de ces friandises dont elle n’était pas chiche: comme pâtisseries, confitures, sirops ou liqueurs s: 11 accueillit donc cette ouverture avec un regard bienveillant et un sourire humide de reconnaissance.

— Quel est donc ce grand mystère? deman-t-il.

–Vous savez bien l’appartement qui est au-dessous de vous?

— Parfaitement, madame Simonneau. Il est vacant.

— Eh bien n! il ne l’est plus. Je l’ai loué.

Valdreck recula, comme un homme mordu par une vipère:

— Et à qui, s’il vous plaît? demanda-t-il avec anxiété.

–C’est là que je vous attendais. Je l’ai loué…

Et ici elle s’arrêta par une suspension savante, comme une mère qui laisse flotter un polichinelle aux yeux de son bébé, avant de le lui mettre dans la main.

— A qui? répéta le musicien avec impatience.

— A qui! s’écria orgueilleusement madame Simonneau, à un artiste, à un chanteur de la Renaissance, à M. Couperose.

— Et vous avez fait cela?

La voix de Valdreck était si altérée, son visage si flamboyant, que madame Simonneau recula d’épouvante.

— Qu’avez-vous? lui dit-elle. On dirait que vous êtes furieux. Mais c’est lui qui m’a assuré, quand je lui ai prononcé votre nom, que vous seriez enchanté de l’avoir pour voisin, et qu’il serait ravi d’être le vôtre. L’affaire est conclue, et j’ai donné ma parole. Il emménage au terme prochain.

Valdreck tomba anéanti sur sa chaise.

— Non, madame, cela n’est pas possible, murmura-t-il. Vous ne voudrez pas me faire ce chagrin. Il faut résilier.

— Mais puisque je vous dis que c’est un chanteur; vous irez très-bien ensemble; il chantera toute la journée, il vous jouera du piano.

Valdreck bondit comme un de ces diables qu’un ressort lance hors d’une boite à joujoux. Il était si furieux qu’il sentit bien que si l’entretien se prolongeait, il ne pourrait se contenir et accablerait d’épithètes désagréables sa pauvre propriétaire, qui croyait avoir fait pour le mieux.

–C’est bien, madame, lui dit-il en la congédiant, nous reparlerons de cela plus tard, ce soir, si vous voulez J’ai un travail pressé qui me réclame.

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