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IV

Et quand elle fut partie e:

–Marguerite!cria-t-il, Marguerite!

La bonne reconnut la voix dont il lui disait au temps jadis:

Ferme la fenêtre1

Elle accourut.

— Qu’est-ce qu’il y a donc? demanda-t-elle, effarée. Le feu est-il à la maison?

— Hélas!c’est bien pis! l’invasion des pianos commence. Le premier vient d’être loué à un imbécile de musicastre.

–Dame! ça devait arriver un jour, répliqua philosophiquement Marguerite.

— Ah! j’en mourrai, ma fille!

— Mais non, vous n’en mourrez pas. Et puis, il y a peut-être moyen d’arranger cela. Tant qu’un mariage n’est pas fait, il peut se rompre. C’est encore plus vrai d’un bail; tant qu’il n’est pas signé, on peut revenir dessus.

— Au fait, tu as raison, Marguerite. Il doit y avoir un moyen d’échapper à cette catastrophe.

Et, s’enfonçant dans son fauteuil, Valdreck se plongea dans les réflexions les plus profondes.

Il demeura longtemps enseveli dans ses pensées, qui n’étaient point couleur de rose. Marguerite tournait autour de lui, guignant de l’œil un moment opportun pour rentrer en matière. Le silence pesait fort à l’excellente vieille, qui n’avait pas sa langue dans sa poche.

— Je vous l’avais bien dit, monsieur.

Le maître se leva impétueusement:

— Je vous l’avais bien dit! s’écria-t-il, imitant l’intonation de Marguerite. Ah! parbleu! j’attendais cette phrase absurde. Eh bien! qu’est-ce que tu m’avais dit?

— Que ça n’avait pas le sens commun de faire tant de dépenses pour un appartement où vous n’étiez pas sûr de rester. Nous allons encore être obligés de déguerpir r! Quel dommage e! une maison si tranquille! un si bel appartement! tous les meubles faits exprès! monsieur ne retrouvera jamais rien de pareil!

— Te tairas-tu, maudite bavarde!

Valdreck voulut se mettre à son piano; mais l’inquiétude faisait trembler ses doigts; il était agité, nerveux. Il redescendit chez madame Simonneau:

— Voyons! madame Simonneau, est-ce qu’il n’y aurait pas moyen d’arranger cette affaire-là entre nous, à l’amiable?

— Mais j’ai donné ma parole! j’ai reçu le denier à Dieu n!

— Si ce n’est que votre denier à Dieu, je vous le rendrai.

— Oui, mais mon appartement, me le louerez-vous?

Ce mot, tombé au hasard de la conversation, illumina le musicien d’une idée soudaine.

— Pourquoi ne vous le louerais-je pas? demanda-t-il.

— Parce que vous n’en avez que faire. Le vôtre n’est déjà que trop grand pour vous.

–C’est ce qui vous trompe, madame Simonneau. J’aime être au large, et je ne sais plus où fourrer mes livres.

— Vous plaisantez?

–Je ne plaisante point; si je louais votre premier, me donneriez-vous la préférence?

— Assurément. Mais vous avez beau être artiste, vous n’êtes pas assez fou pour vous mettre deux loyers sur les bras.

— Cela ne regarde que moi. Quel était le prix dont vous êtes convenue avec ce chanteur, que le ciel confonde!

La dame tira de sa poche un papier timbré plié en quatre:

–Voilà le bail, dit-elle, que j’avais déjà préparé.

— Donnez-le, je vous prie.

Valdreck y jeta un coup d’œil; d’un trait de plume rageuse il biffa le nom de son ennemi, y substitua le sien, signa au bas de la feuille:

— Voilà qui est fait! signez à votre tour.

— C’est pour rire, n’est-ce pas?

–Signez donc, répéta-t-il d’un air si grognon, si hérissé, que la propriétaire ne put s’empêcher de lui dire:

— Oh! quel visage méchant vous nous faites!

Et elle signa.

Il n’y avait plus à s’en dédire. Valdreck poussa un soupir de soulagement. Mais en remontant l’escalier, au moment de sonner à sa porter il trembla à l’idée de l’aveu qu’il faudrait faire à Marguerite. Le cœur lui manqua; il tourna les talons, descendit à pas de loup, comme un voleur pris en faute, et se faufila, en rasant les murailles, par la porte ouverte.

Une fois dans la rue, il ouvrit, selon son habitude de parler tout haut, tout seul, un libre cours à son indignation.

— La vieille folle! répétait-il, quelle idée s’est-elle allée mettre en tête d’aimer la musique1à son âge! et avec sa voix x! C’est qu’elle n’y entend rien, la malheureuse se! pas d’oreille, et elle bat toujours la mesure à contre temps. Ah h! je t’en donnerai, à toi, des billets d’Opéra-Comique. Viens m’en demander, tu seras bien reçue e! car c’est moi, triple brute, qui lui ai fourré ce vertigo en cervelle! Elle n’avait point l’intention de louer son premier; non, elle ne l’aurait jamais loué; elle le gardait pour elle; il a fallu que j’eusse la bêtise d’écouter ses balivernes sur l’art etles artistes. Si l’on m’y reprend!

Le digne musicien broda sur ce thème des variations à l’infini, les entrecoupant de gestes qui faisaient retourner les passants. Mais il ne s’en souciait guère. La faim l’avertit qu’il était l’heure de rentrer au logis. Il n’y avait plus moyen de tarder davantage. Il allait se trouver face à face avec la terrible gouvernante et subir le flux de ses reproches.

Il cherchait une entrée en matière pour lui faire avaler plus doucement la pilule. Mais elle ne le laissa pas longtemps en peine. Il la vit qui l’attendait au haut de l’escalier, les bras croisés, l’air méprisant:

— Eh bien! vous en faites de belles! est-il possible qu’à cinquante ans un homme n’ait pas le sens d’une oie! d’une oie, entendez-vous! Une oie aurait refusé de signer, j’en ai gardé dans ma jeunesse, et je sais ce que je dis.

Le pauvre homme passa, en renflant le dos, sous ce déluge d’imprécations. Il sentait sa coulpe et ne répondait rien. Il fit ce soir-là tout ce qu’il put, afin d’amadouer Marguerite: il trouva son potage exquis, ses perdreaux cuits à point et savoureux; il proclama son gratin un chef-d’œuvre, et lui demanda avec des larmes de reconnaissance dans la voix où elle achetait son fromage.

— Tenez! lui dit enfin Marguerite radoucie, voulez-vous savoir la conclusion de tout ça? c’est que vous êtes un enfant. Vous avez quatre ans.

Le bruit de cette histoire se répandit, comme bien vous pensez, dans tout le voisinage, et l’on convint, dans une bonne partie de l’île Saint-Louis, que les artistes seraient toujours des originaux, et des mange-tout, que les vieillards mêmes n’étaient pas exempts du petit coup de marteau. Si M. Valdreck, lorsqu’il sortait, n’avait pas été absorbé par les préoccupations de son art, il aurait surpris plus d’une fois attachés sur lui des regards de compassion et de dédain.

Le courroux de Marguerite s’apaisa peu à peu et d’autant plus aisément qu’elle imagina de transformer le salon vide du dessous en un vaste fruitier, où elle conservait, par des procédés spéciaux, connus d’elle seule, des raisins, des. poires et des pommes qui faisaient l’admiration de son maître et de ses amis. Madame Simonneau ne tarda pas non plus à rentrer en grâce: elle remarqua pourtant, non sans un certain chagrin mêlé de surprise, qu’on ne lui offrait plus de places de théâtre. Elle se hasarda un matin à en demander:

— Est-ce que vous n’avez pas aujourd’hui dans vos poches quelque billet d’Opéra-Comique qui traîne?

— Non, madame, mais il y a séance à l’Institut, et si vous voulez deux billets.

— Comment donc? avec plaisir.

— C’est que l’Institut… hum! peut-être allez-vous bien vous ennuyer?

— M’ennuyer, mon cher!… mais on ne doit entendre là que des gens d’esprit!

Valdreck la regarda en dessous, elle était parfaitement sérieuse.

— J’aime mieux cela! grommela-t-il entre ses d Lents.a littérature fait moins de bruit que la musique.

Et il s’en alla tout guilleret.

Il dînait en ville ce jour-là, et rentra chez lui passé onze heures du soir. Comme Justin lui donnait son bougeoir, il aperçut dans la loge une fort jolie jeune fille qu’il n’avait pas encore vue. Elle paraissait avoir de vingt à vingt-cinq ans; tête sérieuse et fine, de grands yeux doux et clairs, une taille élancée, un je ne sais quel air aristocratique répandu sur toute sa personne.

— Mademoiselle rentre bien tard, lui disait Justine.

— Oui, répondit-elle d’une voix harmonieuse et vibrante; ma tante avait du monde, des amis m’ont ramenée. Veuillez me donner mon bougeoir.

— La bonne a oublié de le descendre.

— Comment vais-je faire? dit-elle embarrassée.

Valdreck s’approcha galamment:

–Si mademoiselle veut accepter le secours du mien, j’aurai l’honneur de la reconduire jusqu’à sa porte. Elle loge sans doute au troisième au-dessus de chez moi?

— Oui, monsieur, chez mon parrain.

— Il me semble que c’est la première fois qe u’ai le plaisir de vous voir.

— Je n’y suis en effet que depuis deux jours. J’ai eu le malheur de perdre mon excellent père.

D’un geste élégant, elle montra ses vêtements noirs, et essuya une larme qui jaillissait de ses beaux yeux:

— Il a légué la pauvre orpheline à M. Mirecourt, mon parrain, qui a bien voulu accepter la succession. Mais pardon, monsieur, nous voici arrivés. Il ne me reste plus qu’à vous remercier de votre obligeance.

Elle ouvrit la porte et prit congé avec une longue et aimable révérence de Valdreck, qui restait sur le palier, son bougeoir à la main, immobile de surprise et d’enchantement.

Beauté, rayon divin, qui sait pourquoi l’on t’aime?

s’écriait le poëte de Jocelyn. Ce divin rayon, se posant sur les yeux de l’égoïste, le détourna de pensr aux suitesr peobables de l’intrusion d’une demoiselle de vingt ans dans la maison. Il oublia son horreur du piano, pour ne rêver qu’au charme de cette courte et subite apparition.

— Une belle enfant, murmura-t-il en redescendant l’étage, une bien belle enfant, en vérité!

Il se coucha tout rêveur, et les songes qui sortent par la porte d’ivoire peuplèrent son sommeil de fantômes radieux et de célestes sourires.

Il fut étonné lui-même en se levant le lendemain de penser encore à cet incident, qui était de si peu de conséquence. Il se surprit à attendre avec une certaine impatience l’heure du déjeuner. C’est que Marguerite avait l’habitude de tourner autour de lui, pendant qu’il était à table, et de lui conter les menus commérages du quartier.

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