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VI

Table des matières

Nous n’avons, on le sait, que des dates fort incertaines sur les naissances et les décès du plus grand nombre des peintres néerlandais, et Weyerman n’est pas homme à combler cette lacune; nous verrons tantôt combien il se soucie peu de rien préciser à ce sujet. Ne nous en étonnons point; il y a, au fond de ce laisser-aller de notre biographe, autre chose encore que de l’indifférence.

Dans un pays où le grand Ruyter déchirait son journal et refusait à son propre gendre le récit de ses combats qu’il jugeait dans la modestie du véritable grand homme, et de l’humble chrétien, indigne de prendre place dans l’histoire; dans un pays comme celui-là, on comprend qu’on ait pu, à l’égard des peintres, même célèbres, négliger les précautions de l’état civil. Ensuite, comme Weyerman le dit lui-même, l’artiste ne jouait pas un grand rôle dans la hiérarchie de la Néerlande, où l’esprit de caste est très vivace, malgré la forme républicaine du Gouvernement, ou plutôt à cause de cela. Le noble, le grand commerçant, le propriétaire, achetaient les œuvres des peintres, mais, sauf de rares exceptions, les laissaient recevoir leurs salaires à peu près sur le seuil de la porte.

Sans doute, nous voyons en Hollande comme en Belgique, des peintres arrivés aux honneurs, aux dignités, mais c’est presque généralement pour des causes étrangères à leur art. C’est pour leur noble origine, pour leur science, ou bien encore pour leur conduite exemplaire dans la communauté ; conduite par laquelle ils font plutôt oublier l’artiste qu’ils ne le rappellent.

Et même, lorsque le grand artiste réunit toutes les qualités du grand citoyen, il n’est pas à l’abri du préjugé de naissance. Ainsi, nous voyons Rubens insulté de la manière la plus grossière par un duc d’Aerschot, lequel se trouvant à la Haye en 1632, pour des négociations avec la Hollande, et, des obstacles étant survenus, la régente des Pays-Bas y envoie Rubens, homme éprouvé, pour venir en aide à l’ambassadeur titré mais pauvre d’esprit. Le duc s’en fâche, et une correspondance s’engage entre celui-ci et le nouvel envoyé auquel le seigneur d’Aerschot écrit entre autre gentillesse: tout ce que je puis vous dire, c’est que je serai bien aise que vous appreniez dorénavant, comme doivent écrire à des gens de ma sorte, ceux de la vôtre... Il est vrai que l’amitié d’un Buckingham, les faveurs d’une Médicis, l’attachement de ses princes, dédommageaient largement Rubens des dédains ridicules du seigneur d’Aerschot.

Voyons maintenant comment, de gré ou de force, soit manque de données, soit insouciance, notre auteur traite les naissances et les décès de ses illustrations.

«Il se gardera bien de troubler l’eau pour apprendre la date de la naissance ou celle de la mort de Pierre Soutman. — Il est probable qu’Erasme Quellyn est mort, mais en quel lieu et à quelle époque, il ne saurait le dire, et il s’en soucie fort peu. — Que nous importe, s’écrie-t-il à propos de Daniel Zegers , la chronologie des peintres! mieux vaut une description pittoresque de leurs tableaux ou le récit instructif et amusant de leurs aventures. — A propos de Van Dale, dont il ignore également les dates de naissance et de décès, il est d’avis que ces particularités sont beaucoup moins importantes que l’arrivée à bon port des flottes des Deux-Indes. — La date de la naissance d’Ary Verveer lui est aussi inconnue que l’art de fabriquer un bahut en bois d’ébène avec un fer à cheval. — Adrien Vervoet s’étant fait de peintre cafetier, s’éteignit dans cette besogne comme une pipe de tabac, et ses cendres servirent à la Mort de poudre dentifrice. — Le peintre Dullaert s’occupait de musique; mais il a eu beau chanter, la mort n’a pas voulu l’écouter. — Pierre Cousyns de la Haye, peintre de nature morte et musicien, possédait l’art de flatter la vue par son pinceau et l’ouïe par son jeu de carillon. Mais la mort, qui a la vue mauvaise et l’ouïe de même, ne fit pas la moindre attention au double talent de notre homme qu’elle logea dans la sombre terre, afin de le rapprocher davantage des fleurs et des plantes. — Weyerman croit une bonne pêche de baleine bien plus importante que la date de naissance de Jean Vorsterman. — N. Van Zon descend dans un lieu où notre auteur compte le laisser, en attendant qu’il aille l’y trouver. — N. Salomon ressemble à Homère, notre auteur se trouvant embarrassé de sept villes pour faire le choix de son lieu de naissance. Mais, s’il ignore la date et le lieu de naissance de Salomon, il connaît parfaitement les particularités de son décès.» Ce digne artiste épousa une femme laide, vieille, pauvre, sans qu’il sût pourquoi; notre homme, sauf son art, le cédant beaucoup à son homonyme sous le rapport de la sagesse. Et en effet, ce dernier ne s’amourachait pas de vieilles sempiternelles, mais de jeunes et fringantes bachelettes, et en ceci, dit Weyerman, l’expérience me fait partager la manière de voir du grand roi. Or, la vieille dame Salomon devint folle, et comme il faut supposer que l’artiste l’avait épousée pour son esprit, du contre-coup il perdit le sien. Elle mourut, il la suivit, et voilà l’histoire de Salomon et de Salomonine. — Peuteman descend au grand magasin des squelettes; Romeyn de Hooghe, dans un endroit où il a plus grand besoin de glaçons de la nouvelle Zemble, que de bois à brûler. — Jean Lys s’arrête si longtemps à achever ses tableaux commencés, que la peste, elle-même, en prend de l’humeur, et l’enlève à la fleur de l’âge.

La connaissance des dates ne change, du reste, en rien la manière dont notre auteur accueille les naissants et expédie les morts. Philippe de Koning fut précipité de son trône par Olivier — la Mort (allusion à Cromwell) qui lui arracha la couronne au mois d’août de l’année 1689. — Simon Germyn vint au monde à Dordrecht, le jour même de la naissance de Guillaume III, mais il n’eut pas, comme lui, le bonheur de conquérir trois couronnes. — Le grand divorce entre l’âme et le corps de Corneille Bisschop eut lieu en 1674. — Jean Van-der Heyden apparut sur la scène des fous de ce monde en 1637. — Adam Van Oort s’évapora dans les airs en 1641. Nous pourrions dire de lui, ajoute Weyerman, en guise d’oraison funèbre, qu’il était plus brutal qu’un cheval de carrosse, mais nous préférons laisser les morts en paix. — Jean Bronkhorst est jeté dans le four à chaux de la mort en 1626, laissant après lui deux bonnes professions, l’une de peintre, l’autre de pâtissier.

Il faut rendre cette justice à Weyerman que, lorsqu’il parle de naissance ou de décès d’hommes illustres, il demeure à la hauteur de son sujet. Les grands artistes «sont des soleils qui se lèvent pour éclairer leurs villes natales; ce sont des astres qui disparaissent au ciel des arts dont ils ont fait la splendeur.» Ainsi la petite ville de Maseyck sur la Meuse ayant donné naissance aux frères Van Eyck, «ne doit céder en rien aux villes que baignent l’Arno, le Pô, le Tibre, attendu que c’est d’elle qu’on a vu surgir le soleil dont les feux ont allumé, tant dans la patrie qu’à l’étranger, des flambeaux qui ont illuminé toute la terre », cela est un peu ampoulé sans doute, mais il faut tenir compte de l’époque à laquelle Weyerman écrit, et ce langage était de mise ailleurs encore que dans les Pays-Bas.

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