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V
CONFIDENCES

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Table des matières

Charles n’avait pas longtemps ignoré la cause première de l’accident de Jules Renaud, dont les fistaux parlaient chaque jour. Charles avait eu la douleur d’apprendre que c’était pour lui que l’alerte Parisien s’était exposé avec une témérité si généreuse. il se promit, dès ce moment, d’aller lui rendre visite aussitôt qu’il descendrait à terre.

Jules, le bras gauche en écharpe, et du reste ayant fort bonne mine, se promenait dans le jardin, quand Charles l’aborda.

Jules reconnut au premier coup d’œil son jeune collègue, et lui tendit la main droite:

–C’est bien à vous, lui dit-il, d’être venu me voir, merci mille fois.

–C’est moi qui viens vous remercier et vous exprimer tout le chagrin que j’éprouve.

Jules interrompit:

–La faute en est à Fargeolles d’abord, à moi enuite; j’aurais dû m’affaler par les haubans ou les alhaubans.

La connaissance était faite. Charles répondit à toutes es questions de Jules, se chargea de ses commissions t se plaignit un peu de la tyrannie de Fargeolles.

–Je ne suis pas rancunier, dit Jules, mais s’il recomnence en ma présence, je vous promets de le mettre à araison!... Plût à Dieu, ajouta Jules en soupirant, ue M. Fargeolles fût mon plus gros souci!...

–Qu’avez-vous donc? demanda Charles; votre bras ous fait-il beaucoup souffrir?

–Mon bras? pas du tout!... La fracture était simle le chirurgien est sans inquiétude; question de atience!... Mais je perds mon temps, voilà ce qui me ésespère. Figurez-vous bien que je ne savais pas nême ce qu’il aurait fallu savoir sur le bout du doigt pour entrer à l’école. Nul n’a autant besoin que moi de ous ses instants; je serai refusé à l’examen de sorie.

–Oh! par exemple!... s’écria Charles.

–Me voici à l’hôpital pour quarante ou cinquante ours, après une première quinzaine d’études qui ne l’ont nullement profité. Pour un autre, ce serait deux lois de retard; pour moi, ces deux mois en valent ix.

Avez-vous vos livres ici? demanda Charles.

–Non!

–Je vous les enverrai demain; repassez bien votre ours d’entrée; et je vous réponds du reste. Dès que ous serez à bord, je vous remettrai au courant penant les récréations.

–Mon cher ami, répartit Jules avec enthousiasme, lites cela; vous me rendrez le plus heureux élève es temps passés et à venir!...

–Je serais un ingrat si je ne me mettais tout à votre ervice.

–Ma foi!... vous ne me devez rien jusqu’ici; reprit Jules. Si je vous avais épargné quelques vexations, passe!...

Mais, laissez-moi revenir avec le bras guéri; M. Fargeolles me payera l’arriéré à la première rencontre.

–Gardez-vous en bien! vous seriez puni!

–Tant pis! l’on ne meurt pas d’une punition, et l’on a tout à gagner en se débarrassant, d’un taquin, on travaille mieux après!...

La visite ne se prolongea pas; Charles dit qu’il avait hâte de rejoindre sa mère et sa sœur; Jules fut le premier à le presser de ne pas tarder davantage.

–Nous causerons à bord tout à notre aise; allez, mon ami; comptez sur moi, je compte sur vous.

Eglé regardait à chaque instant par la fenêtre; enfin, Charles reparut; il revenait presqu’en courant. Quelques affaires pressantes ayant obligé madame de Pierremont à sortir, Eglé pût faire subir à Charles un long interrogatoire.

Il fallut bien alors qu’il avouât la vérité, qu’il expliquât pourquoi Jules s’était cassé le bras, qu’il parlât de Fargeolles.

–Fargeolles! dit Eglé, oh! je le connais!... Sa vue m’a fait éprouver un sentiment de répulsion inimaginable. Qu’il a bien l’air méchant!... Mais, s’il te persécute, pourquoi ne te plains-tu pas aux officiers, au commandant du vaisseau?

–Je passerais pour rapporteur; je serais en butte à l’inimitié de tous mes camarades.

–Comment! tu es le plus faible, et tu n’as pas le droit de demander protection?

–Non, Eglé!... Il faut que je souffre avec patience et courage.

–Rapporteur!... répéta Eglé. Je conçois que si M. Fargeolles fait quelque chose de contraire aux règlements, ce ne soit pas à toi de le dénoncer: tu fermes les yeux, tu ne dis mot. Mais il t’attaque, il te tourmente nuit et jour; il t’empêche même de travailler; il abuse e sa force, il te fait une guerre abominable, et tu ne ois pas t’en plaindre!

–C’est absurde, j’en conviens; c’est pourtant omme cela!

Eglé se fit raconter une à une toutes les tortures de Charles. Eglé pleurait à chaudes larmes; Charles ’efforçait de la consoler:

–Tu es plus malheureux qu’un esclave, mon paure Charles!...., ils t’assassinent à coups d’épingle, ils e font mourir à petit feu!

–Bonne sœur, tu m’as arraché mon secret; mais ne dis rien à maman, je t’en prie. Tu lui ferais de la leine. Laisse-lui croire que je vis en repos à bord. Il aut que je sois marin; je veux l’être. J’aurai de la réignation et du courage; j’attends le brave Renaud, il era mon protecteur. Non, vois-tu ces vexations ne dueront pas toujours.

–Charles!... pauvre ami! disait Eglé en sanglotant, e ne répéterai pas tes confidences à ma tante, mais ne ne cache rien à moi, ne me cache rien!...

Et Charles, qui avait besoin d’ouvrir son âme, ne tut ue la dernière insulte de Fargeolles, le matin, sur le quai de débarquement.

Les larmes étaient essuyées, cependant; des pensées consolantes avaient rasséréné les traits de Charles et l’Eglé, quand madame de Pierremont rentra, Elle consacra le reste de la journée à son fils, s’efforçant par le tendres et nobles conseils de lui raffermir le moral. Elle ignorait combien ces conseils étaient inutiles, elle gnorait quelle force Charles déployait en ne parlant ) as de ses douleurs.

Enfin, après un dîner plus que modeste, et bien moins joyeux que le premier repas, car l’heure de la séparation approchait, Charles fut reconduit par sa nère et sa cousine vers la cale, où attendait la chaoupe. Il y arriva le premier.

Ses camarades furent en retard de dix minutes; l’adjudant de service gronda un peu, ce fut tout.

Ces messieurs s’étaient littéralement conformés au programme d’Emile Fargeolles. Déjeuner, courses à cheval, collation à Guipavaz, séance au café Laplanche, dîner chez Coquinot, punch, cigares, ils n’avaient rien passé. Ils revenaient les poches pleines de tabac et de fioles de liqueur,

Fargeolles était passablement ivre, quatre ou cinq autres l’étaient tout autant. Eglé reconnut le persécuteur de Charles et frissonna.

–Sois discrète, rappelle-toi ta promesse, Eglé, murmura le jeune élève en lui donnant le baiser d’adieu.

–Madame de Pierrement le pressa entre ses bras une dernière fois. Charles sauta dans la chaloupe. Emile Fargeolles n’avaient pas manqué de faire quelques observations grossières, qui cette fois du moins ne furent pas entendues par le jeune élève. Charles était pensif, les yeux tournés vers sa mère et sa cousine, qu’il suivit du regard jusqu’au moment où l’on fut hors du port.

La mer était dure; le trajet de la chaloupe, dura trois quarts d’heure; il faisait nuit avant qu’on eût accosté le vaisseau:

–Bon! murmura Fargeolles; nous avons de la chance.

Il s’agissait d’introduire en contrebande les cigares et la liqueur. Le vétéran avait ses poches par trop bourrées.

–Allons! mademoiselle! dit-il à Charles de Pierremont, charge-toi de ceci!

–C’est défendu; je ne veux pas!...

–Tu ne veux pas, gamin!... Entendez-vous, messieurs! il refuse un service de camarade.

Les trois ou quatre élèves les plus ivres s’indignèrent de la résistance du fistau. Bon gré, mal gré, on lui remplit ses poches.

Charles fut obligé de monter le premier à bord.

Un adjudant était aposté sur le pont avec ordre de ouiller les permissionnaires; il trouva les cigares et les confisqua.

Fargeolles montait le second; il vit que Charles était oris en flagrant délit, et dit à demi-voix:–«Gare!... on fouille!.....» En même temps, il essayait de jeter oute sa contrebande à la mer.

Il n’en eut pas le temps.–Les autres élèves furent ) lus heureux.

Par les ordres de l’officier de service, Charles et argcolles durent être immédiatement conduits à la alle de police pour y passer la nuit.

Quel contraste! après une journée de tendres épanhements et de douces émotions, rentrer à bord pour tre enfermé dans une étroite cellule, avec son acharné ersécuteur,–être puni, quand il s’était tant promis le ne s’exposer à aucune punition.

Charles pâlit, toute sa résolution l’abandonna; il prouva le sentiment d’horreur du condamné qu’on ivre aux bêtes du cirque.

Seul, avec Fargeolles, pendant une nuit entière! Eglé, en ce moment, priait pour Charles; les vœux e son âme innocente montaient vers le ciel comme n parfum. Et madame de Pierremont pliait aussi pour son fils.

Charles, tremblant, s’attendait à voir retomber sur ni le courroux de son cruel camarade.–Il n’en fut ien.

Fargeolles était ivre, et venait de se jeter sur le lit e camp. Après avoir proféré quelques blasphèmes imurs, quelques propos cyniques, quelques lâches sarasmes, il s’endormit d’un sommeil de plomb.

A huit heures du matin, Fargeolles ronflait encore, orsque le commandant, surpris de trouver le nom de harles sur la liste des punitions, fit comparaître le eune élève.

Charles se justifia, en déclarant la vérité. Il préférait encourir la colère générale, au risque d’être de nouveau enfermé en tête à tête avec Fargeolles. Le commandant leva sa punition, en prolongeant celle du facétieux vétéran.

Les anciens d’Angoulème crièrent à l’injustice. Mademoiselle Fistau était outrageusement protégée, à les en croire.

Personne cependant n’attaqua Charles; il eut le bonheur de vivre deux jours entiers hors des atteintes de son voisin.

–Il se trouvait comparativement heureux.

Mais Eglé ne cessait de penser à son affreuse situation.

Le malheur développe rapidement l’intelligence, toutes les fois qu’il ne parvient pas à l’anéantir. Soutenue par l’exemple de sa noble tante, Eglé avait profité des leçons de l’infortune. Son esprit, son cœur, sa raison n’étaient pas moins précoces que ses grâces de jeune fille.

Enfant par l’âge, si elle cédait souvent à ses instincts d’enfant, elle savait souffrir, ressentir une pitié profonde, s’émouvoir en toute connaissance de cause; –la douleur lui avait donné cette science si rare parmi les heureuses jeunes femmes et jeunes filles de sa classe, dont les plus sincères émotions sont presque toujours superficielles. Elle savait aimer surtout, aimer avec délicatesse et dévouement.

Eglé avait promis de ne rien dire à sa seconde mère elle tint sa promesse. Mais elle cherchait un moyen de secourir Charles: elle priait les anges de lui inspirer une démarche utile à son infortuné cousin.

Elle songea d’abord à écrire directement au commandant du vaisseau-école; à la réflexion, elle n’osa point, de crainte que Charles, interrogé, ne fut mis à l’index comme dénonciateur, et ensuite plus malheureux que jamais.

Eglé eut l’idée de s’adresser à Jules Renaud.–«S’il ivait à ses meilleurs camarades de s’unir pour proger Charles, pensait-elle, de se liguer contre Farolles, ils le feraient certainement.»–Mais coment demander à Jules un pareil service?–Sans sa nte, elle ne pouvait aller le visiter à l’hôpital, elle ne connaissait même pas, et enfin pouvait-elle se perttre de lui écrire sans blesser toutes les convenan-?

Eglé priait encore, cherchant toujours.

Une circonstance inespérée se présenta: un des offiers de l’Orion vint faire visite à madame de Pierreont pendant qu’elle était sortie. Eglé le reçut avec empressement extraordinaire. C’était le secours ovidentiel qu’elle avait tant imploré, pensait-elle, la compense de son ardente foi.

–Ma tante n’y est pas, dit la jeune fille; mais nez, monsieur, je vous en supplie, car j’ai à vous delander le plus grand des services.

Le lieutenant de vaisseau à qui elle s’adressait était n vieil officier, père de famille, sensible, bien fait pour comprendre. Il fut touché par le récit naïf d’Eglé, ar ses larmes et ses élans de cœur.

–Ce n’est pas un secours direct que je vous demande, disait-elle; il faudrait, par quelque moyen naurel, à l’insu des élèves, à l’insu même du commanant, s’il se pouvait, faire changer Charles de division. n’aurait plus pour voisin ce méchant Fargeolles, et u moins il lui échapperait aux heures d’étude, des epas et du sommeil!–Mais pas de plaintes officielles .u commandant, pas de punitions inutiles qui ne feaient qu’irriter Fargeolles, et dont Charles recevrait le contre-coup.

Le vieil officier s’étonnait d’entendre la jeune fille parler ainsi.

–Depuis huit jours que je médite et que je prie, pour suivit-elle, j’ai deviné bien des choses. Charles en quelques mots m’a mise sur la voie. Et moi, j’ai senti ce qu’il y aurait à faire.

–Ce sera fait, mademoiselle, répondit l’officier. J’obtiendrai du commandant de faire passer votre jeune frère dans ma division, qui n’a rien de commun avec celle de ce M. Fargeolles.

Le lieutenant réussit à souhait; Charles de Pierre mont alla occuper précisément la place laissée vacante par Jules Renaud.

–Mon Dieu!... pensait-il, quand Renaud sortira de l’hôpital, il se trouvera voisin de Fargeolles. A son tour, il souffrira ce que j’ai souffert!

Sans cette généreuse réflexion. Charles eût été trop satisfait. Ses nouveaux camarades se montraient accommodants, il vivait très-bien parmi eux. Enfin, pour comble de bonheur, son jour de sortie fut par suite de la permutation avancé de trois semaines.;

Comme la première fois, il alla voir Jules; il lui confessa ses scrupules en se défendant d’avoir sollicité sa place.

L’auriez-vous sollicitée, répondit le brave Parisien, je ne vous en voudrais pas le moins du monde. S’il n’y a que ce changement pour vous chagriner, tranquilli sez-vous!... Maître Fargeolles n’a qu’à se bien garer; je l’attends de pied ferme. Bien que nous nous soyons1 battus une première fois, bien que je me sois blessé par sa faute, je ne commencerai pas. je patienterai même, jusqu’à ce que mon bras gauche ait recouvré toute sa force. Mais alors. tant pis pour lui, rira bien qui rira le dernier!

Une haine à bord

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