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IV
FORCE ET FAIBLESSE

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Table des matières

Combien de larmes le pauvre Charles avait répandues en cachette, le soir, dans des coins sombres; le jour, dans les parties les plus élevées de la mâture, toutes les fois qu’il avait pu donner à sa mélancolie un instant de solitude!... Heureux lorsqu’il lui était permis de pleurer!

A diverses reprises, il avait essayé d’épancher son cœur en écrivant à sa mère, mais toujours, hélas! Fargeolles était à ses côtés; Fargeolles l’épiait et le troublait. Avec un acharnement infatigable, Fargeolles lui faisait cette misérable guerre d’escarmouches qui lasse les plus patients, qui abat les plus forts.

Il s’agissait de former le caractère du petit fistau d’éduquer mademoiselle! c’était drôle!... Bien drôle sans contredit, car il se trouvait à point nommé de niais bons enfants pour rire et même pour devenir les bénévoles complices du persécuteur.

Simples farces! pures plaisanteries!... ™

On cachait les plumes de Charles, son encre ou son pier; on lui enlevait son pliant. On lui faisait toutes rtes d’aimables niches d’un goût non moins délit.

S’il est un monstre plus odieux que le vampire, un re plus exécrable que l’assassin de profession, c’est farceur!... Dans une république sagement ordonnée, ut farceur devrait être mis hors la loi et traqué comme le bête fauve. Le farceur est un pestiféré dont le mal vient contagieux. Il désapprend à ses stupides admiteurs la pitié, l’humanité, l’honnêteté, tout, jusqu’à gaieté franche et au rire de bon cœur. La passion du rceur est un égoïsme brutal qui prend plaisir aux ouleurs d’autrui; c’est la méchanceté poussée à la ernière puissance par la bêtise.

Pour faire une bonne farce, quelque farceur mettra univers en cendres.

Le farceur achevé a causé cent duels, autant de faillis, la perte des emplois les plus nécessaires, la ruine 3vingt familles. Tout cela parce qu’il a indiqué une usse adresse au lieu d’une bonne, une heure fausse lieu d’une vraie. Farces!

Votre fortune, votre salut tiennent à une démarche, ut retard doit entraîner une catastrophe!..... Cet homme sera brûlé la cérvelle, cette femme sera morte de mire, quand vous arriverez,–un facétieux mauvais aisant vous égare, vous retarde. Il vous fait un drôle mensonge qui entraînera une querelle, une brouille, n meurtre. Farces!... Farces!...

Il sait que vous attendez impatiemment une lettre; ourquoi?–Il l’ignore absolument; peu lui importe, ourvu qu’il puisse faire une bonne farce. Il la sous-’ait au passage, et vous la renvoie deux jours après ervant d’enveloppe à un bocal de cornichons. Ah! ue c’est amusant!... que c’est fin et joli!... Mais lute d’être allé au rendez-vous qu’assignait cette lettre, ous n’obtiendrez pas la place qui eût donné du pain à os enfants.

Eh mon Dieu!... Il n’en savait rien, lui, le farceur!... Il n’y a pas mis de méchantes intentions!... Devine-ton ces choses-là!... une lettre de trois sous par la petite poste retardée de quarante-huit heures, voyez donc le grand crime!... Farce! Et l’on bat des mains aux faits et gestes des farceurs!

Fargeolles avait du succès comme farceur fini!... Fargeolles poussa un jour la facétie jusqu’à s’emparer adroitement d’une lettre commencée par Charles, et rassemblant cinq ou six de ces rieurs attitrés, il enr donna leclure à haute voix:

«Ma chère maman, ma bonne petite sœur!...»

Fargeolles avait pris le fausset, il larmoyait dramatiquement, il gesticulait, il portait la main à ses yeux, il faisait semblant de pleurer.

«Je ne vous dirai pas que je suis heureux à bord de l’Orion, puis-je être heureux loin de vous!...»

–Ah!... je m’évanouis!... que c’est attendrissant Fabien, soutiens-moi!...

Charles survint, il reconnut sa lettre et s’élança sur le vétéran avec impétuosilé; mais messieurs les rieurs à le retinrent. Fargeolles alla jusqu’au bout déclamant, ricanant toujours!... Farce d’école!...

A la fin, on lâcha Pierremont qui trépignait; il atteignit sa lettre, il l’arracha brusquement des mains de Fargeolles. La lettre se déchira.

–Ce n’est pas ma faute, mademoiselle Fistau!... dit l’inimitable farceur avec un accent inimitable. Quel dommage pourtant, messieurs!... tant de jolis sentiments en morceaux? Ah! mademoiselle! vous les maltraitez: par trop, vos irop jolis sentiments!... C’est mal!... très-mal!...

L’adjudant de service passa en disant:

–A vos places! messieurs!... Silence!...

Fargeolles s’assit, repassa la leçon de navigation et t son calcul avec un sang-froid parfait. Charles bouleersé attendait la récréation pour se réfugier sur les arres de la cacatois; il comptait sans Fargeolles. Fareolles l’y suivit. Il redescendit, Fargeolles l’imita, touours gouaillant avec le joyeux esprit qu’on lui sait.

L’heure de la classe vint, Charles fut interrogé, il épondit mal, et eut un mauvais point.

Lettre de famille, étude, récréation, Emile Fargeolles vait tout empoisonné.

Et cela durait ainsi depuis le lever jusqu’au coucher, a nuit même, quand Fargeolles ne dormait pas, le latin s’il s’éveillait le premier. Les farces de dortoir uccédaient aux farces de réfectoire, de classe ou d’exerice.

Charles fut amarré et transfilé dans son hamac: pluieurs fois on lui barbouilla la figure pendant son somneil, ou encore on détacha la corde du côté des pieds t on le fit tomber brutalement tandis qu’il dormait. ’arecs sur farces!

Quelques jours après, enfin, Fargeolles se trouvait ar bonheur à l’autre extrémité de la batterie; Charles rofita d’une occasion si rare. Il put achever, fermer et xpédier sa première lettre:

«Il m’est impossible, ma bonne mère, écrivait-il, de ous dire que je suis heureux loin de vous et de ma hère Eglé; mais l’espérance de contribuer à votre boneur soutient mon courage. Je travaille, je fais tous les efforts pour suivre vos excellents conseils et me montrer digne de votre tendresse. En travaillant, je âche de ne point trop penser à vous, car c’est votre, ensée qui fait ma faiblesse comme elle fait ma force, la tristesse comme ma joie. Puisque je dois être marin, faut que j’apprenne à ne trouver qu’une véritable nergie dans les sentiments que vous m’inspirez, ma mère, dans l’affection fraternelle que j’ai pour toi, ma douce Eglé.

«Oh! qu’il m’est difficile de vous aimer sans faiblesse, de ne penser qu’aux devoirs de l’avenir, de ne pas regretter le bonheur perdu!

«Pendant les récréations, mon plaisir est de monter au haut de la mâture pour apercevoir le toit que vous habitez.–«Elles sont là, ma mère, ma sœur!... Elles sont là, me dis-je, celles qui m’aiment et qui prient pour moi!...» Les yeux fixés sur Brest, je songe aux heureux temps écoulés entre vous. Je me rappelle aussi que mon tour est venu de travailler pour votre bonheur. Alors, je redescends fort; mais plus souvent, je l’avoue, je redescends triste et faible.

«Je me priverai, ma mère; je n’irai plus chaque jour sur les barres de cacatois. Je me refuserai ces émotions trop vives, parce qu’elles amollissent mon cœur. Mais une fois par semaine, ma bonne Eglé, le dimanche à l’heure où vous revenez de la messe, je monterai, je monterai là-haut comme l’oiseau qui vole vers le ciel, et si j’aperçois à la pointe un mouchoir blanc qui s’agite, je dirai: Ce sont elles!... Une fois chaque semaine seulement, ce ne sera pas trop, n’est-ce pas. chère mère? Le dimanche, il n’y a pas de cours; je ne risquerai pas en descendant d’être distrait et de ne pas bien écouter les démonstrations des professeurs.»

Charles de Pierremont entrait ensuite dans quelques détails sur sa vie matérielle à bord, mais il ne parlait ni de Fargeolles ni de ses persécuteurs ordinaires. Il ne se plaignait de rien, il se louait du commandant et des officiers; enfin il annonçait que le jeudi suivant serait son jour de sortie.

Cette lettre était un acte de courage; son dévouement filial lui donna la force de la terminer sans se trahir, sans avouer combien il souffrait.

Cette lettre attira de douces larmes dans les yeux de nadame de Pierremont:

–Il est moins malheureux que je ne le craignais, lit-elle en embrassant Eglé; brave enfant!...

–Jeudi! s’écriait la jeune fille; nous le verrons! Il ’iendra jeudi!

Eglé compta les heures, Charles aussi les trouvait bien lentes; elles s’écoulèrent pourtant au gré de leurs vœux.

Le jeudi, au point du jour, les douzes élèves de la able où mangeait Charles descendirent au vestiaire, dans l’entrepont, s’habillèrent en grande tenue, réponlirent à l’appel et embarquèrent sous la surveillance le l’adjudant de service.

Dans la chaloupe, Fargeolles tint un discours homérique et mémorable à tous égards. Le style, les grâces. a pensée s’y disputaient la palme du bon goût. Le vétéran déclara, dès son exorde, que celui-là serait réputé mauvais camarade, capon et cuistre, qui refuserait d’aller déjeuner chez Coquinot.

Coquinot était alors le restaurateur en vogue parmi les élèves de marine; à bord de l’Orion, l’on ne jurait que par Coquinot et Jeanneton, la plus accorte des filles du restaurant.

Fargeolles, au nom de la camaraderie, préconisa son banquet, parla de Champagne, vanta la salade d’anchois et déclama l’éloge des pâtés aux truffes.

–Saperlotte! poursuivit-il, nous sommes douze; c’est historique, mathématique et physique. A20fr. par tète, nous pouvons faire un festin de monarques! Ceci est arithmétique!... et je vous certifie que nous nous amuserons comme trente-six!... Je m’en charge! D’abord, je déclare à madame Coquinot que nous voulons être exclusivement servis par Jeanneton, une bonne enfant, qui entend la plaisanterie comme un cheval de trompette!... Ensuite, nous irons au café Laplanche prendre la demi-tasse, le pousse-café le contre-pousse-café, la liqueur, etc., sans compter les cigares. Après, nous louons des chevaux, et nous allons collationner à Guipavaz. Laissez-moi gouverner, mes amis; je vous ferai passer une journée maritime un peu suivée!..... Voyons voir, qui en est?

–Moi!...–Moi!...–Moi!...

Dix élèves, tous étrangers à Brest, approuvèrent les projets de l’orateur. il leur sembla naturel de fêter largement la première sortie et de dépenser un mois d’appointements, d’autant mieux que la deuxième sortie n’aurait lieu que six semaines après.

–Et mademoiselle Fistauline de Saint-Fistau? ajouta Fargeolles. Mademoiselle n’a rien répondu, je crois?...

Charles garda le silence.

–Eh bien! Pierremont? demanda Sergette, un de ces bons enfants insignifiants qui n’ont d’autre mérite que leur nullité.

–Vous disposez de la journée entière, répondit enfin Charles; à quelle heure irais-je donc voir ma famille?

–Au fait, interrompit un camarade assez bienveillant, aucun de nous n’est de Brest.

–Excepté moi, pourtant! s’écria Fargeolles. J’y ai ma famille aussi, moi; mais je sais être bon garçon d’abord.

On se rappelle que la prétendue famille de Fargeolles se réduisait à la personne d’un tuteur parfaitement mal disposé à son égard.

–Allons, Pierremont! reprit Sergette, déjeune toujours avec nous, nous te lâcherons après déjeuner.

–C’est impossible; ma mère et ma sœur sont pressées de me revoir.

–Petit pingre! s’écria Fargeolles; il pleure ses fichus vingt francs, voilà le fait! Mademoiselle Fistaulotte est économe.

Charles rougit.

Fistauline, Fistaulotte de Saint-Fistau, ces sobriquets ujours nouveaux, avaient un succès de rire, et puis argeolles était si farceur!... Dès qu’un farceur est bien dûment posé, il fait rire en disant bonjour.

On riait donc, et à ces rires se mêlaient des railleries ontre l’avarice inqualifiable de Charles. Heureusement, chaloupe aborda.

Madame de Pierremont et sa nièce Eglé attendaient ar le quai; le jeune élève se jeta dans leurs bras avec ansport.

Dix des camarades saluèrent en passant.

Fargeolles garda résolûment son chapeau sur la tête, ; dit assez haut pour être entendu par Charles:

–Tiens! tiens! elle n’est pas mal, la petite Mimi de aint-Fistaupin. Je la préférerais presque à Jeanneton, elle avait une robe sans pièces, un fichu moins antiue et un chapeau plus moderne. Quel attirail solenel!...

Comparer Eglé à une servante d’auberge, tourner en idicule la pauvreté de sa mère, et cela, au moment nême où on l’accusait, lui, Charles, d’être pingre, de e pas vouloir dépenser un mois d’appointements en olies, en orgies!

Madame de Pierremont trouva Charles un peu changé; nais on se rappelle qu’il était convalescent en embaruant à bord de l’Orion; elle ne s’inquiéta pas. D’ailours, malgré les propos blessants de Fargeolles, Charles était sous une telle impression de bonheur, que sa trisesse disparaissait.

Sa mère lui prit le bras, Églé l’autre main.

Déjà Fargeolles et ses dix commensaux mettaient tout ens dessus dessous dans la maison Coquinot et faisaient erdre la tête à l’infortuné Jeanneton, lorsque Charles, vivement ému, rentra dans la modeste demeure de sa nère.

Trois bols de faïence d’une propreté recherchée, un petit pot au lait et un gros morceau de beurre, étaient disposés sur la table.

–Mon bon Charles! mon bon petit Charles, ne bouge pas! dit Eglé, je te le défends aujourd’hui! Laissez donc, monsieur, restez avec maman!... Non. Charles! ne te dérange pas, je t’en prie, je veux te servir!...

Eglé, avec une joie enfantine, apporta bientôt trois petits pains et quelques morceaux de sucre.

–Du sucre blanc et des petits pains dorés! s’écria-t-elle. Je te ménageais cette surprise!...

Charles eut envie de pleurer.

Il embrassa encore une fois sa mère et puis sa chère petite cousine.

En ce moment, l’audacieux Fargeolles remplissait des éclats de sa voix la grande salle du restaurant Coquinol.

–Et les anchois, Jeanneton! les anchois! criait-il. Si dans deux minutes nous n’avons pas notre salade d’anchois, jeune beauté, je vous retire l’estime et les adorations de l’école de marine.

–Je m’en fiche pas mal de votre estime, gros laid! riposta l’intéressante Jeanneton. Tenez voilà vos huîtres!...

–Sublime réponse! s’écria Fargeolles; messieurs, un ban pour Jeanneton!

Fargeolles donna l’exemple et le signal; ses dix camarades frappèrent en cadence dans leurs mains. Jeanneton courait à la cuisine.

Un lieutenant-colonel d’infanterie, qui déjeunait dans le petit salon, se tourna vers la maîtresse de l’établissement:

–Que diable y a-t-il donc chez vous ce matin? demanda-t-il.

–Rien colonel, répondit madame Coquinot. C’est jour de sortie des élèves de l’Orion; ils s’amusent, ces enfants; ils agacent un peu Jeanneton, en buvant du sauterne et en mangeant des huîtres.

Eglé faisait avec délices les honneurs du frugal repas qu’elle avait préparé elle-même. C’était sur ses modiques épargnes qu’elle avait acheté le sucre blanc, les petits pains et même le café.

Depuis longtemps, dans l’intérieur de madame de Pierremont, n’avait régné une joie si cordiale et si franche.

Cependant, dès que le déjeuner fut fini, Charles prit son chapeau pour sortir:

–Quoi! déjà! s’écria Eglé.

–Oh! je serai bientôt de retour, chère sœur, dit le jeune élève.

–Mais où vas-tu donc si vite? demanda madame de Pierremont.

–A l’hôpital de la Marine rendre visite à un de nos camarades.

–Très-bien, mon enfant, va donc, et ne nous fais pas trop attendre; tes moments nous appartiennent.

–Oh! soyez tranquille, ma mère, je suis avare de mes instants de bonheur; mais la visite que j’ai à faire est un devoir!...

Eglé se demandait quel pouvait être cet ami que Charles montrait tant d’empressement à aller visiter; elle suivit son cousin dans l’antichambre:

–Qui est-ce que ton malade? dit-elle.

–Il s’appelle Renaud, répondit Charles.

–Tu l’aimes donc bien!... Et s’il est ton ami, pourquoi ne nous en as-tu rien dit dans ta lettre? Nous aurions été si contentes de te savoir lié avec un digne camarade.

–Mon Dieu! répondit Charles en hésitant, je ne puis dire qu’il [soit mon ami; je ne le connais même pas!...

Charles laissa Eglé fort surpnise d’une pareille réponse.

–-Il paraissait embarrassé, pensa la jeune fille; Charles ne ment jamais; que signifie ce qu’il m’a dit? Il nous cache quelque chose, bien sûr. Si c’est un chagrin, je veux le connaître pour le partager avec lui.

Une haine à bord

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