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I De Marseille à Bonifacio.

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Le 26 mai 1864, nous partions de Marseille, sur le vapeur le Progrès, capitaine Pozzo di Borgo. Cet officier, auquel j’avais été recommandé, passait pour le meilleur marin de la compagnie Valéry, et peut-être de la Corse entière; ce qui ne l’empêcha point, hélas! de périr quelque temps après, par une tempête de nuit, à l’entrée de la coquille de noix, qui sert de port à Bastia. On dit que, dans cette affreuse catastrophe, il aurait pu sauver sa vie, mais que, désespéré de la perte de ses passagers, de son équipage et de son navire, il ne put se décider à leur survivre et se donna la mort. Que Dieu lui ait fait miséricorde !

Jeune encore, plein de vigueur et d’énergie, il cachait sous une écorce un peu rude une intelligence fine et le meilleur cœur du monde. Sans être fort étendue, son instruction était solide; il savait surtout à fond tout ce qui concerne la Corse, ne parlait d’elle qu’avec un véritable enthousiasme, et se montrait à son égard d’une susceptibilité extrême; c’était mon homme.

Ce n’est pas que cette susceptibilité n’eût son côté désagréable, en ce sens qu’elle rendait parfois la discussion si difficile, que je n’osais ni le contrarier, ni le contredire, de peur de le voir bondir par-dessus bord, et disparaître dans les flots : mais lorsque, égarés par d’absurdes théories, tant d’hommes se moquent et rougissent du patriotisme, il me plaisait d’en rencontrer un qui s’en faisait honneur, et plaçait son pays avant tout.

Le ciel était splendide et les rayons du soleil se réfléchissaient dans la mer, comme dans un gigantesque miroir; pas la moindre agitation dans l’air et dans les flots; aussi filions-nous rapidement comme sur une glace unie, sans roulis ni tangage, sans mal de cœur par conséquent, sans le plus petit compte à régler avec Neptune. En rien de temps, la terre disparut à nos yeux, et nous fîmes dans la haute mer notre entrée solennelle.

Poètes et romanciers ont beau dire, étrange est l’impression que l’on éprouve généralement, lorsque, pour la première fois, abandonnant la terre qui résiste au toucher, pour la mer où le pied s’enfonce, on se sent isolé de tout secours humain, avec l’immensité du ciel sur la tête, l’immensité des eaux autour de soi, et sous ses pieds l’immensité de l’abîme, dont on n’est séparé que par l’épaisseur d’une planche! Cela est vrai par le temps le plus calme : mais c’est bien autre chose si les vents, la foudre et ses vagues, unissant leurs fureurs, vous ouvrent à la fois toutes les routes de l’autre monde ! Alors les uns s’écrient avec saint Pierre : Sauvez-nous, Seigneur, nous périssons! Les autres murmurent avec Horace : Illi robur et œs triplex.... Et, si l’on pouvait lire dans le cœur des matelots et de leurs chefs, on en verrait plus d’un dire tout bas en se grattant l’oreille : Je voudrais bien être chez nous!

Accoudé sur le rebord du navire, j’étais en extase en présence du spectacle étalé devant moi. Tantôt je suivais de l’œil comme des fleuves d’huile, dont la couleur plus foncée faisait contraste au reste de la mer : ou une chaîne de montagnes, qui semblaient courir à l’horizon, et n’étaient autre chose qu’une apparence produite par des vapeurs lointaines. Tantôt je regardais des volées d’hirondelles, changeant à chaque instant de place et rasant légèrement les eaux; ou une bande de dauphins, bondissant autour de nous, comme une troupe d’écoliers, qui joue au saut de mouton.

J’en étais là, quand se pose sur mon épaule une main, qui me fait songer au battoir des lessiveuses; c’est celle du capitaine.

— Nous allons, me dit-il, comme sur des roulettes; le navire marche tout seul. Le chauffeur excepté, tous mes hommes sont au repos; et moi-même, je n’ai littéralement rien à faire. Si donc vous le voulez, nous en profiterons, moi pour vous dire et vous pour écouter les histoires que je vous ai promises. Asseyons-nous là ; on va nous apporter des cigares et de la bière : mais d’abord permettez-moi de vous demander ce que vous venez faire en Corse; mon récit devant se modifier, selon que vous y venez en fonctionnaire, en spéculateur ou en touriste.

— Un de mes parents s’est marié à Bonifacio, pendant qu’il y tenait garnison. Je vais d’abord lui rendre visite; et puis, je ne suis pas fâché de voir de mes propres yeux un pays, dont on dit des choses si étranges, au risque de me faire assassiner par ses bandits.

— Assassiner par ses bandits!... C’est bien cela. Toujours des préventions aveugles, des idées préconçues, des partis pris d’avance! Assassiner par ses bandits... Et vous prétendez, jeune homme, avec de telles prédispositions, voir la Corse comme elle est, et porter sur son compte un jugement équitable?... Détrompez-vous. Les idées préconçues troublent la vue, égarent l’imagination, enlèvent aux pensées leur rectitude, à l’esprit sa liberté. Grâce à elles, vous allez tout voir de travers chez nous; et, le jour de votre départ, vous ne nous connaîtrez pas mieux qu’aujourd’hui.

Voilà pourquoi, au lieu de commencer par des histoires, que vous apprécieriez plus ou moins, nous ferions bien peut-être d’examiner ensemble les principaux préjugés répandus contre nous, et dont vous me semblez passablement imbu. Vous serez après cela dans de bien meilleures conditions pour bien voir et juger les hommes et les choses.

Le capitaine avait raison; je me promis de ne pas l’interrompre; et il commença en ces termes :

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