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Introduction :
Rattrapé par le colonialisme allemand à Paris

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C’est l’amour qui m’avait fait venir à Paris. C’est à Cambridge que j’avais rencontré une Française, professeure d’anglais à Pointe Noire au Congo, venue recycler son anglais au profit de ses élèves, un profil peu ordinaire. Ce fut le coup de foudre. Elle avait accueilli chez elle deux enfants congolais, une fille de huit ans et son petit frère, qui passaient la semaine chez elle en « ville », et la fin de semaine en « cité » chez les parents. Viendrais-je la rejoindre ? Le temps d’obtenir mon diplôme de traducteur, et d’entamer à Francfort des études en philosophie, sociologie, et en ethnologie pour préparer mon voyage au Congo, nous avons fait travailler les postiers. La bourse sélective que j’ai pu décrocher m’a accordé une année sabbatique pour mon long séjour africain en 1969-1970. On était un mélange insolite avec nos enfants congolais, les seuls Noirs dans cette barre de dix étages cédée par l’armée française au Congo, et hébergeant des coopérants européens. Diana et moi partagions son salaire et son travail, elle faisait cours, et moi je corrigeais les copies. Grâce à ses contacts, mon projet d’apprendre une des deux langues vernaculaires, le munukutuba, un dérivé du kikongo, a avancé à bonne allure. En échange de leur aide, je donnais à ces jeunes des cours particuliers (anglais, français, mathématiques, droit commercial…). Cet Allemand de l’Ouest, fiancé d’une coopérante française, au Congo marxiste-léniniste, et dans ce coin névralgique où se jouxtent le Zaïre, l’Angola colonie portugaise et son enclave du Cabinda, c’est curieux. En effet, la RFA soutenait l’armée coloniale portugaise, alors que la RDA soutenait le MPLA, mouvement de libération angolais, accueilli à Brazzaville. J’ai dû expliquer que tout étant citoyen de la RFA, je ne soutenais nullement la politique du gouvernement de mon pays. On m’a laissé faire, et au bout de dix mois, j’ai pu éditer 500 exemplaires d’un Petit Vocabulaire Français-Anglais-Munukutuba avec 1 200 entrées, ronéotypé à la main au Centre culturel français de Pointe-Noire.

Je suis rentré à Francfort, ai profité de ma bourse, et un an plus tard, notre petite famille s’est retrouvée à Paris. « C’est la filiation Kant-Hegel-Marx-Freud qui vous intéresse ? Allez vous inscrire à Vincennes », m’a-t-on conseillé au service d’orientation pour étudiants étrangers. Donc philosophie, sociologie et anthropologie à Vincennes, et à l’École pratique des hautes études pour suivre le séminaire de l’auteur des Brazzavilles noires. À Francfort à cette rentrée 71/72, anticoloniaux, on en avait assez de Frobenius, le Griaule allemand, et il y avait un Groupe de travail d’ethnologues socialistes. Balandier en était à dessiner la situation coloniale et à déployer sa critique de Griaule, j’y ai observé qu’il y avait une parole magistrale, il y avait des interventions d’étudiant.es « avancé.es », et parmi eux Jean Copans et Marc Augé, et aussi Pierre Bonafé. J’ai continué à suivre ce séminaire… autour duquel a émergé le Comité Information Sahel… qui n’en était plus seulement à écrire sa critique, mais l’a portée au public. Tout un mouvement s’est organisé en campagne, j’en ai fait partie moi aussi : expliquer en public qu’une famine de cette ampleur ne pouvait pas simplement être mise au compte du ciel. Quand la pluie est revenue, le comité s’est trouvé privé de son objet et a fini par se dissoudre. Quelques-un.es se sont recasé.es dans le Comité anti-apartheid, où ils/elles ont découvert que de l’apartheid il n’y avait pas seulement en Afrique Sud, mais aussi en Namibie. Il fallait faire une brochure d’information. Mais la Namibie était une ancienne colonie allemande, la documentation était largement en allemand que les Français avaient du mal à lire. Ils se sont donc adressés à moi. C’est à ce moment que le colonialisme allemand m’a rattrapé à Paris. J’ai accepté, me suis plongé dans une documentation réunie en Allemagne et en Angleterre, et ai refait surface une année plus tard, en 1976, avec un script de 160 pages – avec le premier exposé détaillé du génocide des Herero et Nama en français. Le comité anti-apartheid était autant ravi qu’effrayé, car il n’avait pas les moyens de l’éditer, et moi encore moins. Et l’écho des maisons d’édition était unanime : les Français ne savent pas ce que c’est la Namibie, on ne vendrait même pas un tirage minimum. Échec sur toute la ligne. Le petit anthropologue en moi m’a persuadé d’aller sur le terrain avant toute autre suite. Notre petite famille a évolué, gardant des liens forts par-delà l’éparpillement, car Diana Maillart et moi avons été symboliquement incorporé.es dans la famille congolaise. C’est grâce à mes compétences linguistiques de traducteur et interprète en français-allemand-anglais, que j’ai pu assurer l’ordinaire tout en menant les études fondant mes engagements. Devenu universitaire en 1982 à Vincennes Saint-Denis et titularisé maître de conférences de sociologie en 1990, j’ai enseigné dans différents départements autour des pôles École de Francfort, Avenir du travail, Travail et environnement, et sur le thème Citoyenneté et dynamiques identitaires dans notre nouveau DEA d’anthropologie, ainsi qu’en comparant Afrique australe et Amérique latine avec mes collègues Olinda Celestino puis Aline Hémond.

Sur le terrain en été 1978, je me suis rendu compte d’une bourde fatale dans mon script à propos du nouveau township de Katutura pour Noirs de la capitale Windhoek avec son « hostel » (un foyer de masse passablement concentrationnaire) pour ouvriers migrants sous contrat venus du Nord. Dans un texte du journaliste sud-africain Peter Abraham on pouvait lire que ce qui était entouré d’un mur hérissé de barbelés et/ou de tessons, ce n’était pas seulement le hostel, mais le township entier – lecture colportée par toute la littérature anti-apartheid. Et j’ai pu assister le 26 août, à Okahandja en pays herero, au grand rassemblement annuel pour commémorer le rapatriement, en 1923, de la dépouille mortelle du chef Samuel Maharero qui avait mené la guerre anticoloniale contre l’Allemagne en 1904. La suite a été de remettre sur le métier mon ouvrage pour faire d’une œuvre militante une œuvre scientifique. Au lieu de reprendre ma thèse en philosophie sur la Critique de la conception de l’État chez Hegel, théoricien mal connu de la social-démocratie, déjà esquissé dans ma maîtrise, en mai 1975, j’ai changé de discipline (sociologie) pour jeter les bases d’une recherche francophone sur la Namibie à venir. Membre cofondateur du groupe de recherche 846 du CNRS États, Identités, Villes, créé en 1986 autour de Claude Meillassoux et Jean Copans, j’ai été co-responsable de son séminaire Afrique Australe, reconduit en un tandem CERASA-Paris 8/EHESS jusqu’à ma retraite en 2013. J’y ai régulièrement assuré un suivi scientifique sur les efforts des Herero, et aussi des Nama, pour amener l’Allemagne à reconnaître le génocide de 1904-1908. Dernières interventions en date, la diffusion parmi mes collègues français de l’Appel de la Fédération « Le génocide est imprescriptible » [09/06/2015], un exposé au colloque international du Mémorial de la Shoah et de l’Institut historique allemand à Paris fin février 2017, et participation à la Mission d’étude en France sur la recherche et l’enseignement des génocides et crimes de masse avec publication à la Documentation française et à CNRS Éditions en cours.

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