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Vers le GDR et son séminaire

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Pendant les débats sur Femmes, Greniers et Capitaux (Meillassoux, 1975), sur la « rente en travail » et le dossier Apartheid et Capitalisme, réuni et traduit de l’anglais par Christine Messiant et Roger Meunier (1979), il y avait pour moi un « déjà-vu » : la création de l’apartheid au Sud-Ouest africain, suite au génocide des Herero et Nama (1904-1915). Au bout de six années de surexploitation aux conséquences meurtrières, Berlin revint sur le projet de créer dans la zone de police « une seule classe ouvrière de couleur », les Africains étaient ré-autorisés à élever du gros bétail – base d’une reproduction autonome minimale –, et envisageaient les avantages à long terme que le système des réserves promettait pour la gestion de la main-d’œuvre africaine : la coexistence relativement pacifique entre un système de production capitaliste dominant d’un côté, et de l’autre un système de (re)production autochtone, soumis bien que formellement indépendant, les deux spatialement séparés. L’État mit en place un autre réservoir de « matériel ouvrier », le pays owambo, partie septentrionale de la colonie restée, jusque-là, hors de portée des efforts allemands. Vu les rapports de force militaires, toute tentative d’y détruire les structures sociales afin de transformer les Ambo également en prolétaires à temps complet, de type métropolitain, s’y interdit d’avance.

L’avantage d’une telle articulation du point de la vue capitaliste est évident : le salaire d’un tel semi-prolétaire peut se réduire au prix du volume de sa consommation nécessaire pour reconstituer sa force de travail au jour le jour, car il est par ailleurs paysan vivant avec sa famille qui, elle, se reproduit hors marché. Dans sa petite contribution à La dernière séance du séminaire le 5/6/13, Jean Copans va :

Terminer… par le commencement, c’est-à-dire par ce qui s’est appelé pendant longtemps le Séminaire Meillassoux. Ce dernier, élève de G. Balandier et chercheur au CNRS à partir de 1964, ne relevait pas du Centre d’études africaines de l’EHESS. Mais il avait sollicité à partir de 1971 (ou 1972, date à vérifier) la direction d’un séminaire qui devenait rapidement l’un des plus importants séminaires africanistes parisiens. D’abord consacré à l’anthropologie historique de l’esclavage, puis de la critique de l’anthropologie française contemporaine, il devient à la suite d’un voyage en Afrique du Sud la caisse de résonance intellectuelle de la lutte contre l’apartheid et de soutien aux États lusophones. Ces différentes thématiques ont d’ailleurs donné lieu à des ouvrages importants sous la direction de Meillassoux ou d’autres chercheurs. Parallèlement le GDR fondé et animé alors par Meillassoux et d’autres chercheurs (comme M. Piault) se réoriente vers les situations de l’Afrique australe. J’en deviens d’ailleurs le responsable au départ de la retraite de Meillassoux en 1992. C’est donc dire si ce séminaire Afrique australe est très ancien, et peut-être unique en son genre, puisqu’il remonte à une trentaine d’années.

Et de rappeler l’histoire des thématiques du séminaire attachées globalement à l’expression géographique d’Afrique australe. Initialement, l’intérêt était militant : transformation des luttes de libération nationale des anciennes colonies portugaises en guerres civiles en Angola et au Mozambique, évolution toujours plus problématique du Zimbabwe, et bien sûr la dynamique en Afrique du Sud. Le parcours vers la fondation du GDR CNRS en 1986 est passé par les étapes institutionnelles Jeune équipe Afrique australe puis l’ATP Stratégies de développement dans le Tiers-Monde, et des publications par des membres de l’équipe à créer. Entre autres :

 1982, Claude Meillassoux, Brigitte Lachartre, Ingolf Diener, Apartheid, pauvreté, et malnutrition, Rome, étude FAO : développement économique et social 24, 109 p. Pour la première fois, la FAO avait confié une étude sur un pays anglophone à une équipe française ;

 1986, Afrique du Sud : Demain le feu. Antoine Bouillon présente les Analyses et comptes rendus des trois parties de ce numéro spécial des Temps modernes 479-480-481 et trouve le style de Jean Copans dans son introduction « impressionniste et très subjectif ». Quant à la première partie sur le « système sud-africain », spécifiquement conçu comme système d’exploitation et gestion de la force de travail, présentée par Alyde Kooy, autre membre de l’équipe, Bouillon la trouve carrément « rébarbative ». Dans la dernière partie, consacrée à l’Afrique du Sud dans sa dimension internationale, Jacques Marchand la met en avant comme une puissance propagandiste et aborde le contexte français (politique sud-africaine de la France et mouvement anti-apartheid).

 1986, Ingolf Diener, Apartheid ! La Cassure. La Namibie, un peuple, un devenir…, Paris, Arcantère/e.d.i., 341 p. présenté par Cl. Meillassoux.

Ses critiques franches, rassure Antoine Bouillon, « n’enlèvent rien à la qualité exceptionnelle de ce numéro comparativement à ce qui se trouve disponible sur le marché des publications de langue française. La meilleure preuve en est qu’un bon nombre de ses textes ont en eux-mêmes valeur de documents. »

Le séminaire a été créé dès 1983 dans cette phase pré-GDR pour organiser la régularité de nos réunions, et le Centre d’études africaines de l’EHESS nous a prêté sa bibliothèque une fin d’après-midi par quinzaine. Le Centre a bientôt accepté de nous intégrer dans son offre de séminaires. Une aubaine pour l’anthropologie française auto-enfermée dans son « pré carré » (néo-)colonial. Et pour nous c’était un hébergement au sens propre autant qu’institutionnel : nous avons accueilli et encadré les étudiant.es du Centre et venu.es d’autres universités. Claude Meillassoux m’a demandé d’en être le responsable. J’ai partagé ce rôle dans les premières années avec Antoine Bouillon, puis avec Roger Meunier, Christine Messiant, plus tard aussi avec Michel Lafon, au total je l’aurai été pendant trente ans. Le public du séminaire que nous avions accueilli et encadré était formé d’étudiant.es du Centre ou venu.es d’autres universités, membres du GDR, et des anti-apartheids. Nous avons très tôt commencé à enregistrer les exposés des intervenant.es et la discussion successive sur minicassettes, dont les membres pouvaient faire des copies. J’en ai encore aujourd’hui chez moi.

Le groupement de recherche (GDR) n° 846 Afrique australe a été fondé par Meillassoux en 1986, et animé par lui jusqu’à sa retraite en 1992, c’est Jean Copans qui l’a relayé pour le GDR renouvelé. Cinq ans est la durée maximale d’un GDR. Avec les budgets propres attribués par le CNRS, les chercheur.es avaient enfin les moyens d’aller sur le terrain. Sauf en Afrique du Sud et Namibie, où il fallait attendre la chute de l’apartheid pour obtenir un visa – 1990 en Namibie et 1995 en Afrique du Sud. Le GDR a été renouvelé une deuxième fois en 1997, pour trois ans. Pendant ses quatorze ans d’existence, le nombre d’institutions membres a augmenté et des chercheurs d’autres disciplines ont montré un intérêt.

La cohabitation entre les quatre membres bordelais et les nombreux membres parisiens n’était pas un fleuve tranquille. Ici un quatuor de politistes appartenant tous à une même structure, le Centre d’études d’Afrique noire de Bordeaux (CEAN-IEP Institut d’Études politiques de Bordeaux), qui a sa propre politique de reproduction institutionnelle, la poursuit résolument, et bénéficie d’un appui administratif. Et là, des membres disséminés entre diverses institutions (EHESS, Paris VIII, Paris X, Amiens…), puis d’autres sans aucun attachement institutionnel du tout qui leur permettrait de faire coïncider travail alimentaire et activité de recherche. Mais ils recherchaient pour savoir quelle est la méthode de la folie apartheid, afin de ne pas finir en victime de leur propre engagement – comme moi, si mon script de 1976 avait été publié avant mon mois sur le terrain. Deux trois photos diffusées par la propagande sud-africaine auraient suffi pour anéantir ma crédibilité. Ou comme Georges Marchais à la télévision dans les années 1980, quand il a véhémentement condamné comme propagande une émission télévisée donnant à voir un millionnaire noir à Soweto. Depuis mon étude FAO avec Meillassoux et Lachartre de 1981, je savais qu’il y a des millionnaires noirs, qui sont, et se sentent, victimes de l’apartheid : leur appétit du gain est restreint aux parties pauvres du pays, à savoir les townships et les bantoustans. Ces membres sans titres universitaires, chercheurs inorganisés, ayant de bonnes relations avec des organisations anti-apartheid et de solidarité (églises), étaient un solide soubassement pour nos activités. Ils avaient écrit déjà avant le GDR, et lui ont permis de recruter des chercheur.es de valeur.

Quant aux membres parisiens avec attachement institutionnel, ils étaient en partie enseignant.es-chercheur.es, ce qui limitait leur disponibilité pour la recherche. Et la logistique au sein du GDR était précaire, les tâches d’intendance ne tournaient pas, une fois attribuées, elles tendaient à coller. Du coup, plus personne ne faisait preuve d’empressement pour prendre le relais : cercle vicieux. Ainsi, j’ai assuré la permanence du séminaire encore et toujours, mais aucun bureau d’accueil ni de travail à ma disposition, tous les coups de fil à ma charge. Être membre d’un GDR implique de faire des recherches et publier. Mais quelles recherches sur quoi, comment et quand publier ? Dans ces conditions, délibérer n’est pas évident. Les thèmes généraux Villes et Démocratie n’étaient pas assez tracés, et le thème de l’ethnicité, chéri par les membres bordelais qui travaillaient sur les pays lusophones en Afrique australe, nos lusos, était mal perçu par les Parisiens qui y voyaient avant tout l’outil de manipulation de l’apartheid. Le contact entre lusos et anglos, pourrait-on dire, n’était pas suivi. C’est le séminaire qui était le seul lieu d’échange, limité, mais réel entre les membres. J’avais l’impression qu’il était le seul lieu d’existence permanent du GDR.

On était censé écrire des articles pour revues scientifiques. Mon projet de livre sur la Namibie contemporaine. Les premiers jalons d’une société post-apartheid ne cadraient donc pas. Mais depuis que des géographes de Nanterre, ayant arrêté leurs travaux sur la Côte d’Ivoire, s’étaient tournés vers la Namibie et l’Afrique du Sud, ce projet de livre avait le vent en poupe. C’est avec Olivier Graefe, jeune géographe brillant de Nanterre recruté par le GDR, que j’étais parti en duo de terrain. Trouver et motiver des Namibiens, surtout non blancs, pour écrire sur un domaine de leur compétence se heurtait à un net refus : « on se fiche de votre livre français, nous voudrions cela comme une contribution à nos propres débats ». D’accord, comme la plupart des chapitres seraient de toute façon en anglais, on traduirait en français tout ce qui sera en anglais ou en allemand. Karthala pour le français, et Gamsberg Macmillan de Namibie pour l’anglais. Ces deux petits éditeurs étaient même partants pour co-éditer les deux versions. Mais ils ne pouvaient pas attendre jusqu’à ce que chacun d’eux ait reçu la subvention demandée, celle de l’Unesco pour Karthala et celle de l’Ifra pour Gamsberg, condition pour une sortie simultanée à Windhoek et à Paris. Un beau scoop de coopération culturelle franco-namibienne de raté2.

À l’approche de la date pour le renouvellement ou non du GDR en été 1985, les membres bordelais annoncèrent d’urgence que Dominique Darbon serait le nouveau directeur du GDR : le seul moyen pour satisfaire encore dans les délais les conditions pour ce renouvellement par le CNRS. C’est finalement avec le soutien d’universités parisiennes, susceptibles de joindre le GDR, que Jean Copans avait été déposé et remplacé par Dominique Darbon. Pas de putsch, dit-on à Bordeaux. Une bonne année plus tard (21/3/97), le CEAN annonce la création d’un autre « Groupe de recherche Pouvoirs et Identités, religions, ethnicité, cultures. Groupe Informel des Luso-Africanistes. » Le GDR n 846 expire fin 1999. Le GDR était devenu une bonne carte de visite – même si on n’en avait longtemps pas. Me présenter sur le terrain namibien et sud-africain comme émissaire d’une structure française nommée National Center for Scientific Research m’a d’emblée valu écoute et estime, et était par la suite une référence que certains chercheur.es sur place n’ignoraient plus.

La suite présente quelques documents du séminaire (programmes, comptes rendus), avec quelques annotations ou mises en exergue, et surlignements couleur :

 p. 8 : Calendrier 1985-1986 : introduction des séances pédagogiques et séances de recherche ;

 p. 9 : Calendrier séances du premier semestre 87/88 ;

 p. 10 : Lettre Ingolf Diener de juin 1999 aux membres de l’ex-GDR Calendrier des séances ;

 p. 11 : Calendrier séances 2e et 3e trimestres 1999-2000 : ex-groupe de recherche CNRS ;

 p. 12 : Calendrier séances 2e et 3e trimestres 2001-2002 : nouveau trépied institutionnel ;

 p 13 : Jean Copans dans sa Petite contribution à la « dernière séance » [du séminaire] ;

 p. 14 : Les Afriques à Paris 8 ;

 p. 15 : Dernière affiche du séminaire, année 2012-2013 sur http://www.ipt.univ-paris8.fr/cerasa/ ;

 p. 18-19 : Annexe compte rendu de l’année 2012-13.


« Les intervenant.es de janvier sont de jeunes chercheur.es mozambicain.es formé.es par Michel Samuel par une pratique de terrain et venu.es poursuivre leur formation théorique en France jusqu’au niveau de la maîtrise. » [ID déc 2019]

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